VIH : une bataille qui ne faiblit pas

Alors que la journée annuelle mondiale de lutte contre le sida s’est tenue il y a quelques jours, le 1er décembre, revenons sur cette épidémie qui fait l’objet d’une méconnaissance massive alors-même qu’elle continue à sévir. L’occasion aussi de faire le point sur la recherche médicale actuelle, pour améliorer le quotidien des personnes vivant avec le VIH et espérer un jour parvenir à éradiquer ce virus.

Cet article est la retranscription de l’émission « Eurêka » diffusée sur l’antenne de RCF Alsace le 12 décembre 2024, en partenariat avec la Délégation régionale Inserm Est. Cet épisode est réécoutable en cliquant ici.

Nous sommes en 1981 : plusieurs jeunes hommes, qui se trouvent être homosexuels, succombant d’un mal mystérieux s’apparentant à une pneumonie. Le nombre de malades, hommes, femmes et enfants, augmente, et l’année suivante un premier cas est signalé dans l’Hexagone. En 1983, Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, chercheurs à l’Institut Pasteur, identifient le virus à l’origine de cet affaiblissement radical du système immunitaire. Découverte qui leur vaudra d’ailleurs 25 ans plus tard le Prix Nobel de médecine.

Ce récit très succinct des événements semble relater les prémices d’une épidémie rapidement contrôlée et appartenant au passé. Dans l’imaginaire collectif, les « années sida » sont largement révolues et la menace caduque. Pourtant, l’épidémie continue de sévir. D’après les dernières données de l’ONUSIDA, en 2022, 39 millions de personnes vivaient avec ce virus dans le monde et 1,3 million de personnes ont été infectées en 2023. Depuis le début de l’épidémie, plus de 88 millions de personnes ont contracté le VIH, et 42 millions ont succombé à des maladies liées au sida. Sur le territoire alsacien, en 2023, 2704 personnes suivies dans les bases de données vivaient avec le VIH. Leur moyenne d’âge était de 50 ans et parmi les 72 nouveaux cas enregistrés en 2023, un quart était des femmes.

Bien sûr, être porteur du VIH en 2024 n’a pas les mêmes implications que dans les années 1980 ; d’une maladie mortelle on est passé à une infection chronique. Mais commençons par le commencement : quel est donc ce virus à l’origine du sida ? Et d’ailleurs, quelle est la différence entre « VIH » et « sida », souvent confondus ?

Le virus de l’immunodéficience humaine, ou VIH, est une infection qui attaque le système immunitaire. Le sida correspond au stade le plus avancé de l’infection, lorsqu’elle n’est pas traitée. Être porteur du VIH ne signifie donc pas être malade du sida, et il y a bien plus de personnes qui vivent avec le VIH que de personnes qui ont le sida. Ce stade critique est atteint lorsque le virus est venu à bout du système immunitaire, qui devient une proie facile pour des maladies dites « opportunistes ».

En effet, le VIH s’attaque notamment à une catégorie de globules blancs, ces cellules de défense du corps contre les infections. Leur nom ? Les lymphocytes T CD4, cruciaux dans la riposte de notre organisme face à une agression extérieure.

Comme les autres virus, le VIH est incapable de se répliquer seul : il doit pénétrer à l’intérieur d’une cellule et en prendre le contrôle pour faire des copies de lui-même. Il peut s’y introduire grâce à la forme des protéines qui recouvrent sa surface : elles coïncident parfaitement avec les récepteurs CD4 de ces lymphocytes, et s’enclenchent comme une clé dans une serrure. Une fois que le virus en a atteint le noyau, il intègre son matériel génétique dans le génome de la cellule immunitaire, qui va alors produire des protéines virales malgré elle et ne plus remplir son rôle initial de défense de l’organisme. Les particules virales vont bourgeonner à la surface de la cellule, puis voguer vers de nouvelles cellules à infecter, donnant ainsi lieu à un cycle viral infernal produisant jusqu’à 10 milliards de copies du VIH par jour.

L’armée de globules blancs menée par les lymphocytes T CD4 va attaquer ces virus ; mais la bataille est rude, et au bout d’environ 8 ans, le système immunitaire s’est épuisé. Le virus prend le dessus et le stade sida se profile alors.

Une image de microscopie électronique à transmission montre une cellule infectée par le VIH
Bourgeonnement du VIH : cellule infectée par le VIH examinée en microscopie électronique à transmission (MET) ©Inserm – Philippe Roingeard

Un virus difficile à dompter 

Mais pourquoi ne parvient-on pas à dompter ce virus, 41 ans après sa découverte ?

D’abord, vous l’avez bien compris, le VIH infecte des cellules du système immunitaire ayant vocation à nous protéger, on ne peut donc pas les cibler directement au risque sinon de les détruire. Surtout, ce virus présente une très grande variabilité : il évolue et s’adapte pour être toujours plus résistant. Ces mutations entrainent la production d’une multitude de variants différents. Le VIH n’est donc pas exactement le même d’une personne à l’autre et pas exactement le même qu’il y a 10, 20 ou 30 ans !

Ensuite, la difficulté à juguler l’épidémie est liée à un accès aux traitements très inégalitaire : dans le monde, une dizaine de millions de personnes infectées ne disposent pas de traitement leur permettant de vivre avec la maladie, principalement sur le continent africain. Par ailleurs, en 2022, 180 000 personnes vivaient avec le VIH en France, parmi lesquelles environ 25 000 l’ignorent. Or les personnes qui ne connaissent pas leur statut vis-à-vis de cette infection et celles qui n’ont pas accès aux traitements contribuent à 80% des nouvelles infections.

Enfin, et c’est l’une de caractéristiques redoutables du VIH : une fois intégré dans le génome de nos cellules, il rentre en latence virale. Il forme des réservoirs viraux, particulièrement difficiles à atteindre, dans lesquels il séjourne incognito jusqu’à « se réveiller » dès l’interruption du traitement. Autrement dit, pour guérir, il faut éliminer 100% de ces réservoirs car il suffit d’une cellule dormante résiduelle pour que l’infection reparte. C’est donc un véritable cache-cache immunitaire qui se joue…

D’un point de vue clinique, chez les personnes bien suivies, le contrôle de l’infection par le VIH est aujourd’hui performant grâce à un arsenal thérapeutique efficace et varié de traitements antirétroviraux qui permettent de normaliser l’espérance de vie.

On passe de plus en plus d’un traitement quotidien à des traitements allégés. Dans des contextes particuliers, une prise du traitement de manière intermittente (par exemple 4 ou 5 jours par semaine) s’avère aussi efficace. Une autre nouvelle stratégie consiste en l’utilisation de traitements injectables, intramusculaires ou sous-cutanée, avec des prises espacées de 2 à 6 mois. Ces traitements sont efficaces dans des contextes donnés et leur prescription est étudiée au cas par cas.

Rappelons aussi qu’il s’agit de traitements à vie : pour l’heure, faute de pouvoir en guérir, on vit avec l’infection. Les quelques cas très médiatisés de guérison sont à relativiser : ils existent mais sont au sens propre hors-du-commun au regard de nombreux critères. C’est pourquoi la recherche biomédicale continue à œuvrer.

Guérir, prévenir : quelles pistes à l’étude ?

A Strasbourg, Pierre Gantner est chercheur au sein de l’unité Immuno-rhumatologie moléculaire, affiliée à l’Inserm et à l’Université de Strasbourg, mais également praticien hospitalier au laboratoire de virologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Sa double casquette lui permet à la fois d’être auprès des personnes vivant avec le VIH et de faire progresser les connaissances sur le virus pour mieux l’attaquer. Il mène ainsi ses recherches in vitro, au laboratoire, et in vivo, auprès de volontaires d’une large cohorte de plus de 500 personnes à Strasbourg.

Le cheval de bataille de Pierre Gantner, ce sont les cellules infectées par le virus. Même lorsque la personne porteuse du VIH suit un traitement, le virus reste tapi dans les fameux réservoirs viraux que nous avons évoqués. Or les traitements antirétroviraux n’ont pas d’effet sur ces cellules infectées dormantes. Pierre travaille à mieux les caractériser afin de pouvoir les cibler dans le cadre d’un traitement à visée de guérison. Récemment, il s’est par exemple focalisé sur les cellules infectées au stade tardif de l’infection, dont le profil est moins documenté. Mieux décrire les cellules infectées, à différents moments, permet d’affiner le portrait-robot dont on dispose d’elles. Et, comme nous aimons à le répéter dans cette émission, améliorer le niveau général de connaissances débouche tôt au tard sur des avancées.

A quelques couloirs delà, dans le dédale de l’Institut de Virologie de Strasbourg, Christiane Moog travaille elle sur un vaccin anti-VIH, en lien avec le Vaccine Research Institute ; il n’est donc plus ici question de guérison, mais de prévention. Actuellement, il n’y a plus aucun candidat-vaccin en phase avancée. Mais récemment, un candidat-vaccin qui vise à induire une réponse immunitaire contre le VIH en ciblant des cellules dites dendritiques a montré des résultats encourageants chez des volontaires sains. Surtout, il semble maintenir cette réponse immunitaire durablement dans le temps. Pour autant, le chemin est encore long. Pas de quoi effrayer Christiane Moog, chercheuse Inserm depuis une trentaine d’années, qui reste stimulée par ce défi scientifique d’une complexité inouïe. Rappelons-le, la variabilité très importante du virus rend extrêmement difficile la mise au point d’anticorps efficaces contre l’ensemble des nombreux variants.

D’ailleurs, les recherches dans ce champ sont loin d’avoir été vaines : elles ont par exemple permis la mise au point extrêmement rapide du vaccin contre le SARS-CoV‑2, à l’origine de la Covid-19. Les technologies utilisées dans ces vaccins ont été par le passé imaginées, développées et testées contre le VIH, sans succès.

Ceci étant dit, les maux causés par le VIH ne sont pas seulement biologiques : la stigmatisation dont sont victimes les personnes concernées est encore prégnante… lequel de ces deux maux est le plus difficile à éradiquer ?

Enrayer le virus... et la stigmatisation des personnes vivant avec

Le constat est cynique : si le VIH/sida n’est plus une maladie mortelle dans un contexte d’accès au traitement, il ne s’agit pas d’un virus comme les autres en raison de ce que lui associe la société. Cette stigmatisation est dangereuse et liée à une méconnaissance massive de la population, et parfois-même du corps médical.

Martelons-le : il existe uniquement trois modes de transmission du VIH, via des contacts étroits avec des fluides biologiques d’une personne infectée et non-traitée :

  • la voie sexuelle par l’intermédiaire du sperme, du liquide pré-séminal et des sécrétions vaginales lors de rapports non protégés.
  • la voie sanguine, lorsqu’il y a échange de sang lors de l’injection de drogues avec des seringues contaminées ou lors de soins médicaux avec du matériel mal stérilisé.
  • de la mère à l’enfant pendant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement.

En d’autres termes, le VIH ne peut pas se transmettre par un baiser, un éternuement, une piqûre de moustique ou le partage d’un verre… Peut-être ces rappels vous font-ils sourire, mais ces fausses informations demeurent vivaces.

Surtout, les personnes vivant avec le VIH et suivant un traitement ne sont pas contagieuses. Il est impossible qu’une personne sous antirétroviraux avec une charge virale indétectable (c’est-à-dire suivant un traitement efficace depuis au moins 6 mois) transmette le VIH, y compris dans les situations décrites précédemment.

Par ailleurs, le virus ne fait pas de tri dans ses victimes et touche aussi bien les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes que les hommes et les femmes ayant des rapports hétérosexuels – c’est d’ailleurs le principal mode de transmission du virus à l’échelle mondiale. Dans les pays criminalisant l’homosexualité, les personnes homosexuelles sont de fait plus vulnérables face au virus. Les femmes, surtout les jeunes filles, les migrantes et les travailleuses du sexe, sont également plus exposées, en raison de facteurs anatomiques, sociaux et d’accès aux soins limités dans nombre de pays et de contextes politiques.

Un mot enfin sur les stratégies de prévention, qui s’ajoutent à l’usage de préservatifs et de gel lubrifiant. Il est possible de réaliser un dépistage du VIH au sein de n’importe quel laboratoire d’analyses biologiques, gratuitement et sans ordonnance. Notons aussi l’existence de la PrEP, un traitement préventif et intégralement pris en charge, qui protège les personnes séronégatives en cas de pratiques à risque.