Système digestif : Lorsque les intestins se déchirent

Longtemps considérées taboues, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin prennent de l’ampleur et touchent près de 3 millions de personnes en Europe, dont 250 000 en France, sans véritable espoir de traitement. Mais aujourd’hui, de nouvelles perspectives thérapeutiques sont en vue…

Un article à retrouver dans le n°44 du magazine de l’Inserm

Douleur abdominale, diarrhée fréquente et fatigue extrême, voici un aperçu du quotidien de patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Et pour les plus malchanceux, des problèmes en plus au niveau des articulations, des yeux, du foie ou de la peau. Représentées principalement par la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, les MICI se caractérisent par une inflammation d’une partie de la paroi du tube digestif. En cause ? Une hyperactivité du système immunitaire qui « agresse » cette paroi au lieu de la protéger et qui y entraîne l’apparition de lésions. Des facteurs environnementaux et génétiques ainsi que le microbiote intestinal, c’est-à-dire l’ensemble des microorganismes qui colonisent notre tube digestif, semblent aussi jouer un rôle dans leur apparition. En ce qui concerne la maladie de Crohn, toutes les parties du système digestif, de la bouche à l’anus, peuvent être touchées. Mais dans le cas de la rectocolite hémorragique, seuls le côlon et le rectum sont atteints. 

Avec un pic diagnostique entre 15 et 35 ans et une augmentation des cas chez les enfants et adolescents (près de 20% des patients), il n’existe à ce jour aucun traitement pour guérir définitivement de ces maladies. Cependant, certains médicaments (anti-inflammatoires, corticoïdes, biothérapies…) permettent d’atténuer les symptômes et de favoriser la cicatrisation des lésions. Mais qu’en est-il de leur efficacité et de leur sécurité à long terme ? Une précédente étude menée sur la cohorte Césame a montré qu’un traitement à base de thiopurines, des immunosuppresseurs, semblait prévenir le risque d’apparition du cancer colorectal favorisé par les MICI. Mais, comme revers de la médaille, ce traitement augmentait le risque de développer un lymphome, cancer qui affecte le système immunitaire, ainsi qu’un cancer de la peau de type non-mélanome. En vue d’étendre ces travaux aux biothérapies, molécules désormais utilisées de façon abondante chez ces patients, un projet européen nommé I‑Care a été lancé en 2009. 

Cap sur une étude européenne

Cette cohorte d’observation, qui a inclus près de 11 000 patients atteints de MICI jusqu’en avril 2019, est unique en son genre. Et pour cause, elle représente la plus grande étude prospective sur ces maladies réalisée à travers 15 pays européens. Pilotée entre autres par Laurent Peyrin-Biroulet*, gastroentérologue au centre hospitalo-universitaire de Nancy, « I‑Care a pour principal objectif de mieux comprendre les risques et bénéfices des traitements actuels, ainsi que la fréquence d’apparition d’infections sévères et de cancers, et en particulier des lymphomes ». Pour cela, des patients volontaires âgés de plus de 18 ans ont été suivis pendant 3 ans. Ces derniers, véritables acteurs de l’étude, ont renseigné de façon régulière un ensemble d’informations concernant leur maladie sur une plateforme en ligne. Parmi ces données figurent les traitements reçus avant et pendant le suivi, l’évolution des symptômes, la nature et les doses des médicaments pris, les hospitalisations, les traitements chirurgicaux et l’impact de la maladie sur la vie socioprofessionnelle. « L’efficacité de trois grandes classes de bio- thérapies (anti-TNF, vedolizumab, ustekinu- mab), qui agissent sur divers acteurs de la réponse immunitaire et sont utilisées depuis plusieurs années dans le traitement des MICI, sera comparée lors de cette étude », précise le chercheur. En attendant les premiers résultats, ce dernier se félicite du taux exceptionnel d’adhésion des patients à travers l’Europe. Près de 90% d’entre eux ont rempli chaque mois le questionnaire. Autant de données récoltées qui permettront de faire avancer la recherche sur les MICI. 

Des maladies multifactorielles

Outre les traitements qui ciblent la réponse immunitaire, de nouvelles approches thérapeutiques commencent à voir le jour. Il n’est pas rare en effet que des patients fassent des rechutes avec ces traitements immunosuppresseurs. Pourquoi et comment y remédier ? Nathalie Vergnolle**, directrice de l’Institut de recherche en santé digestive à Toulouse, s’est penchée sur la question. « Chez des patients atteints de MICI, il semblerait que l’épithélium intestinal, la couche de cellules qui joue un rôle de barrière au niveau de la paroi de l’intestin, n’assure plus correctement sa fonction et favorise de nouvelles réactions inflammatoires », décrit la chercheuse. Dans ce contexte, les organoïdes, ces reproductions d’organes miniatures in vitro, représentent un outil précieux pour étudier ces défauts de barrière intestinale. Fabriqués à partir de biopsies de côlon de patients, ces mini-organes épithéliaux présentent un aspect anormal qui interpelle les chercheurs. « Nous avons constaté que ces organoïdes, malgré l’absence de système immunitaire in vitro, se développent mal et présentent un dysfonctionnement de la barrière épithéliale, précise Nathalie Vergnolle. À terme, ils permettront d’identifier des facteurs impliqués dans ces anomalies que nous pourrons ensuite cibler grâce à de nouvelles approches thérapeutiques. Le but ultime étant de pouvoir réparer l’épithélium intestinal des patients. »

Une autre cible thérapeutique intéressante dans les MICI est le microbiote intestinal. Chez les patients, on observe un déséquilibre dans la composition de cette flore où prolifèrent davantage de bactéries pro- qu’anti-inflammatoires. Face à cette situation, Harry Sokol***, gastroentérologue à l’hôpital Saint- Antoine à Paris, a voulu évaluer l’effet de la transplantation fécale sur le microbiote intestinal. Cette technique consiste à restaurer la flore intestinale d’un patient en y introduisant un microbiote issu des selles d’un individu sain. Le chercheur a ainsi dirigé le tout premier essai clinique de transplantation fécale dans la maladie de Crohn. « Les patients ont tout d’abord été traités par de la cortisone, qui bloque la réponse immunitaire suractivée, pour induire une guérison temporaire dite “rémission clinique”. Puis, la moitié a reçu une transplantation fécale et l’autre une “fausse” transplantation servant de placebo. Ensuite, la cortisone administrée a été progressive- ment diminuée puis arrêtée. » Les données obtenues sont encourageantes et suggèrent que la transplantation fécale favoriserait le maintien de la rémission clinique induite par la cortisone dans la maladie de Crohn. Toutefois, de plus amples études sont attendues pour confirmer ces résultats. 

Une chose est sure, il faudra encore quelques années pour savoir si ces perspectives thérapeutiques conduiront à de nouveaux traitements contre les MICI. Mais aucun doute : la recherche s’active pour améliorer le quotidien des patients ! 

Notes :
* unité 1256 Inserm/Université de Lorraine, Nutrition, génétique et exposition aux risques environnementaux, Vandœuvre-lès-Nancy
** unité 1220 Inserm/Inra/École nationale vétérinaire/Université Toulouse III-Paul Sabatier, Institut de recherche en santé digestive, Toulouse
*** unité 938 Inserm/Sorbonne Université/APHP, Centre de recherche Saint-Antoine, Paris