Ze[US] : un espoir pour révolutionner l’imagerie médicale

Porté par l’Inserm et financé dans le cadre du programme France 2030, Ze[US] est l’un des projets les plus ambitieux jamais lancés en imagerie médicale. Piloté par Mickaël Tanter, chercheur de l’institut Physique des ondes pour la médecine (unité 1273 Inserm / CNRS / ESPCI PSL Paris/ Paris Sciences et Lettres Université), ce projet de recherche de grande ampleur vise à révolutionner l’échographie ultrasonore. Son nom, Ze[US], pour Zetta UltraSound, reflète à la fois la puissance du système et son objectif : capter, traiter et analyser en temps réel des quantités colossales de données (jusqu’à 1 Zetta = 10²¹ octets) afin de rendre visible l’invisible dans le corps humain.

Quels sont les enjeux du projet Ze[US] en matière d’imagerie médicale ?

Mickaël Tanter : Ze[US] est né de l’ambition de transformer l’imagerie ultrasonore en une technologie inédite : visualiser en haute résolution l’ensemble des principaux organes du corps humain à des cadences extrêmement rapides, allant jusqu’à plusieurs milliers d’images par seconde. Nous désirons améliorer les fonctionnalités des dispositifs d’imagerie afin de filmer, par exemple, l’intégralité du réseau sanguin humain, jusqu’à ses composantes les plus infimes : les capillaires. Notre objectif : développer un prototype de rechercher capable d’augmenter de façon significative le volume de données recueillies, afin d’accélérer et d’enrichir considérablement le progrès technologique issu des différentes composantes du système mais aussi faire progresser la connaissance scientifique sur le fonctionnement du corps humain.

Avec Ze[US], nous entrons dans une nouvelle ère. Aujourd’hui, l’échographie est pratiquée par des spécialistes qui déplacent manuellement une sonde sur des zones précises du corps. Le problème majeur est que cet acte requiert une grande expertise, et la qualité du diagnostic dépend forcément de cette expertise humaine. L’échographie est donc opérateur-dépendante. Grâce à ses milliers de capteurs et cartes électroniques, le prototype Ze[US] devrait éliminer cette dépendance à l’opérateur : le système détectera instantanément des images ultra-détaillées de l’ensemble des organes. Ainsi, aucune zone ne sera oubliée, et il ne sera plus nécessaire d’avoir une qualification spécifique pour réaliser une échographie complète et fiable. Cela pourrait à terme garantir une prise en charge beaucoup plus sûre et exhaustive. Mais ce prototype de recherche unique va aussi nous aider à concevoir les échographes de demain, en incorporant ces avancées technologiques dans les instruments médicaux habituellement employés.

Quels sont les principaux défis technologiques à relever ?

Mickaël Tanter : Les défis sont multiples. Le premier demeure la conception des capteurs ultrasonores de très haute densité sur plusieurs centaines de centimètres carrés, capables de couvrir tout un organe en une seule acquisition. Les échographes actuels utilisent généralement une centaine d’éléments seulement, ce qui est insuffisant pour visualiser instantanément un organe complet.

Le deuxième défi consiste à développer un appareil capable de gérer ces dizaines de milliers de capteurs simultanément. Le flux d’informations généré sera gigantesque, atteignant plus d’un Terabit par seconde. Pour donner un ordre d’idée, cela équivaut à transférer l’équivalent de 100 films en haute définition chaque seconde.

Enfin, la troisième barrière est computationnelle : il faut créer une puissance de calcul suffisante pour traiter en temps réel ces données massives afin de ne conserver que les informations essentielles, ce qui limiterait les besoins de stockage.

Dans ce contexte, une première grande partie du projet réalisé par l’Inserm a consisté à établir précisément l’ensemble des cahiers des charges techniques de l’appareil et à lancer des appels d’offres. Nous avons réussi à sélectionner plusieurs entreprises françaises (Vermon, Moduleus, Iconeus et eMyoSound), expertes dans leur domaine, qui nous aident en ce moment à mettre au point ces technologies novatrices sur le sol national et contribuent à leur niveau à l’autonomie du pays en matière de recherche médicale et d’innovation.

Comment Ze[US] pourrait-il améliorer la qualité de la prise en charge des patients ? 

Mickaël Tanter : La technologie Ze[US] permettra par exemple d’imager et de suivre les variations des flux sanguins dans le réseau vasculaire complet des organes depuis les plus grosses artères jusqu’au vaisseaux de quelques microns. Grâce à sa capacité unique de micro-angiographie quantitative, Ze[US] pourrait bientôt révolutionner la détection précoce des tumeurs, le suivi des pathologies vasculaires ou du diabète, des maladies neurovasculaires, l’imagerie des coronaires ou des accidents vasculaires cérébraux. Par exemple, lorsqu’une tumeur se forme, elle développe initialement par angiogenèse un réseau de très petits vaisseaux sanguins pour assurer sa croissance. Les techniques actuelles, comme les scanners et les IRM, ne permettent pas de visualiser clairement ce processus initial et son évolution. Avec Ze[US], nous devrions être capables de détecter précisément ces premiers signes, d’améliorer significativement le dépistage précoce des cancers et d’intervenir plus tôt dans la prise en charge médicale.

Toutefois, il est crucial de souligner que le système complet Ze[US] ne vise pas à devenir un équipement clinique disponible dans tous les hôpitaux à court terme. Il s’agit d’un dispositif de recherche avancée, destiné à repousser les limites de l’imagerie médicale et à générer des données inédites sur le fonctionnement du corps humain pour la recherche biomédicale. En revanche, les briques technologiques développées pour Ze[US], telles que les capteurs, les cartes électroniques et les algorithmes contribueront à la conception d’une nouvelle génération d’appareils plus compacts et cliniquement exploitables, en quelque sorte des « mini Ze[US] ».

Ces dispositifs seront utilisés pour répondre à des besoins médicaux très concrets. Par exemple, un appareil spécialisé pour les nouveau-nés est en cours de développement afin de suivre, dès les premiers jours de vie, le fonctionnement cérébral et de détecter d’éventuels troubles du neurodéveloppement. D’autres systèmes permettront de diagnostiquer plus tôt certaines maladies, telles que l’insuffisance cardiaque, ou encore d’évaluer l’efficacité de traitements agissant sur les petits vaisseaux sanguins, un suivi qui, jusqu’à maintenant, était impossible grâce aux outils traditionnels.

Quelles sont les prochaines étapes de son déploiement ?

Mickael Tanter : Le projet avance à très grande vitesse. Cette année, nous allons finaliser la fabrication des premières cartes électroniques capables de piloter un grand nombre de capteurs simultanément, ainsi que des premières sondes ultrasonores de nouvelle génération. L’année prochaine, nous disposerons d’un système complet doté de 12 000 capteurs, intégrant toutes les briques technologiques développées. Ce système central sera alors prêt à être testé en recherche.

En parallèle, nous préparons déjà la phase clinique des « mini Ze[US] ». Notre objectif dans les quatre prochaines années : impliquer la technologie Ze[US] dans des études cliniques pour fournir des informations sans précédent sur le fonctionnement du corps humain, tout en optimisant et en concevant les systèmes échographiques de demain.