Que peut-on encore manger ?

En juin 2025, dans l’Aisne, de la viande contaminée par la bactérie Escherichia coli (E. coli) a intoxiqué plusieurs enfants, dont un est mort. Ces dernières années, plusieurs autres incidents similaires ont été rapportés. Ainsi en 2022, des pizzas surgelées, infectées par E. coli, ont provoqué le décès de deux enfants – c’est ce que la presse a baptisé « le scandale Buitoni ». Et en 2024, plus de 70 personnes ont été malades à cause de fromages fermiers contaminés par des bactéries salmonelles. Pathogènes, mais aussi pesticides, additifs, métaux et autres polluants… sans compter le trop de sucre, de sel et de graisses caractéristiques de la « malbouffe » : l’alimentation moderne peut renfermer divers éléments potentiellement nocifs. Faut-il donc encore lui faire confiance ? Que peut-on encore manger ?

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°66

Pour Mathilde Touvier

Mathilde Touvier © Iris Hatzfeld
Mathilde Touvier © Iris Hatzfeld

Mathilde Touvier est directrice de l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle au Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (Inserm/Inrae/Université Sorbonne Paris Nord/Université Paris-Cité).

Il n’y a pas d’aliment interdit : tout est question de fréquence et de quantité… Mais il est important de décrypter ce que contiennent réellement nos assiettes. Au-delà du risque microbiologique, il faut s’intéresser à trois autres grandes dimensions. La première est la qualité nutritionnelle des aliments : trop de sucre, de sel, de graisses saturées augmente les risques d’obésité, de maladies cardiovasculaires comme l’infarctus et l’AVC, de diabète de type 2 et/ou de certains cancers ; tandis que les fibres, fruits, légumes et légumineuses sont bénéfiques. Un outil simple et validé par plus de 130 publications scientifiques permet de s’y retrouver : le logo Nutri-Score, développé par notre équipe et déjà utilisé dans sept pays européens. Deuxième dimension à surveiller : la transformation et la formulation industrielles des aliments. Grâce à la cohorte NutriNet-Santé, qui inclut plus de 180 000 participants, nous avons observé pour la première fois des liens entre la consommation d’aliments « ultra-transformés », leurs additifs (édulcorants, émulsifiants, nitrites…) et plusieurs maladies : pathologies cardiovasculaires, cancers, diabète… Désormais, nous explorons l’impact sur la santé de certains de leurs contaminants, en particulier ceux liés aux emballages. Enfin, troisième aspect, éviter autant que possible les pesticides, utilisés pour lutter contre les nuisibles des cultures, en privilégiant les produits bio. Le site mangerbouger.fr du Programme national nutrition santé et l’application gratuite Open Food Facts sont de bons alliés pour choisir une alimentation saine.

Pour Robert Barouki

Robert Barouki © Iris Hatzfeld
Robert Barouki © Iris Hatzfeld

Robert Barouki est médecin biochimiste et toxicologue, directeur de l’institut thématique Santé publique de l’Inserm.

Mon expertise porte notamment sur les contaminations des aliments par des substances chimiques. À ce titre, je pense qu’il faut porter une attention particulière aux aliments susceptibles de contenir des polluants organiques dits « persistants » (POP), comme les dioxines, les PCB (pour polychlorobiphényle), certains pesticides (DDT, chlordécone…) ou les PFAS (substances polyfluoroalkylées). De fait, notre organisme – comme celui de tous les animaux – est doté d’un système de détoxication présent notamment dans le foie, capable d’éliminer un grand nombre de contaminants chimiques. Cependant, les POP ont des liaisons chimiques quasi indestructibles qui échappent à ce système – d’où leur qualificatif « persistants ». Conséquence : qu’ils soient d’origine naturelle (incendie, volcan…) ou industrielle (incinérateurs de déchets, industrie chimique, textile…), ces composés se dégradent très lentement et s’accumulent dans la chaîne alimentaire ; notamment dans les graisses des animaux. Or plusieurs travaux ont montré qu’une exposition à long terme à ces substances est nocive pour les systèmes nerveux, immunitaire et hormonal. De plus, ils pourraient aussi altérer la reproduction et entraîner des cancers. Donc, gare à l’excès de poissons gras (saumon, thon…), d’œufs, de lait, de produits laitiers et de viandes. À noter : la limitation de ces dernières est d’autant plus intéressante que l’excès de viande rouge (bœuf, mouton, porc…), riche en acides gras saturés (« mauvaises graisses »), est associé à diverses pathologies chroniques : diabète, maladies cardiovasculaires, cancers…

Pour Benoît Chassaing

Benoît Chassaing © Iris Hatzfeld
Benoît Chassaing © Iris Hatzfeld

Benoît Chassaing est directeur de recherche et chef de groupe Interactions microbiome-hôte à l’institut Pasteur.

Selon les travaux de mon équipe – et de plusieurs autres en France et dans le monde –, il faut se méfier des additifs présents dans les aliments ultra-transformés. Émulsifiants, conservateurs, édulcorants… : ces composés sont largement utilisés pour modifier l’apparence, la texture, le goût ou la durée de conservation des aliments. Or certains pourraient être nocifs pour notre santé ; et plus particulièrement pour celle de notre microbiote intestinal, l’ensemble de micro-organismes qui vit dans notre tube digestif. Ces dernières années, plusieurs études – dont une publiée en 2015 par mon équipe – ont suggéré que certains, comme l’émulsifiant carboxyméthylcellulose, peuvent perturber notre microbiote et favoriser des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin et des troubles métaboliques (obésité et diabète de type 2). Comme l’indique une autre de nos recherches parues en 2025, les méfaits de ces additifs ne seraient pas les mêmes chez tous. Car chacun possède un microbiote qui lui est aussi personnel qu’une empreinte digitale, avec une composition différente selon des milliers de facteurs, dont la génétique, l’environnement, mais aussi et avant tout selon ce que nous mangeons. Donc il est difficile d’édicter une règle universelle concernant les additifs qu’il faut éviter… En attendant le développement d’outils pour tester la sensibilité de chacun à tel ou tel additif, mieux vaut privilégier une alimentation simple et diversifiée, peu transformée et riche en fibres (fruits et légumes). Ceci est crucial pour préserver un microbiote riche et équilibré, garant d’une bonne santé à long terme !

Propos recueillis par K. B.

À lire aussi

[2013-10-29] INFRv4_programme, nutrition, coeur_IAU.jpg