Le pouvoir d’autorégulation de la thrombine sur le microbiote intestinal

Connue pour son rôle dans la coagulation et pour être fabriquée par le foie, la thrombine s’avère aussi produite dans l’intestin, sous l’action des bactéries qui en tapissent les parois. A Toulouse, les chercheurs à l’origine de cette découverte ont en outre de montré que la thrombine intestinale exerce un contrôle sur ce microbiote intestinal, empêchant l’infiltration bactérienne dans les tissus adjacents.

« La paroi de l’intestin constitue une source d’enzymes essentielles pour y maintenir un équilibre qui peut être rompu dans différentes situations pathologiques. En voulant décrire ces enzymes intestinales actives, nous avons été surpris de découvrir que non seulement l’épithélium intestinal humain produit de la thrombine, mais que celle-ci est régulée par le microbiote intestinal. En retour, celle-ci empêche l’expansion pathologique du microbiote vers les muqueuses », décrit Nathalie Vergnolle, directrice de l’Institut de recherche en santé digestive de Toulouse*, prix Recherche 2018, qui a conduit ces recherches publiées dans Nature Communications.

Si la thrombine est une enzyme bien connue, c’est pour son action dans la coagulation. Jusqu’à présent, on pensait qu’elle n’était produite que dans le foie, sous une forme inactive, puis qu’elle était activée sur les sites hémorragiques dans des situations d’urgence. La découverte toulousaine est donc majeure : en utilisant des biopsies de patients et des lignées cellulaires, les chercheurs ont en effet montré que la thrombine est également exprimée au niveau de l’intestin, mais aussi d’autres épithéliums comme la peau, le poumon ou la vessie. 

Un premier rôle physiologique pour la thrombine

Tous les facteurs associés de la cascade de la coagulation sont d’ailleurs également produits au niveau de l’épithélium intestinal, aboutissant à un relargage de thrombine active dans la lumière intestinale. « Nous avons fait l’hypothèse d’une activité in situ. Or qu’avons-nous dans la lumière intestinale ? Le microbiote, un ensemble de bactéries sous forme de biofilm », explique Jean-Paul Motta, premier auteur de l’article. Et les données montrent que l’expression de thrombine intestinale est effectivement régulée par la présence de ce microbiote : l’enzyme n’est pas exprimée chez des souris qui ne possèdent pas de microbiote, mais son expression peut être restaurée après recolonisation de leur intestin par un microbiote standard. 

Les chercheurs ont surtout démontré un premier rôle physiologique pour la thrombine, au-delà de son action bien décrite dans la coagulation en situation d’urgence. « Dans un modèle animal, en supprimant la thrombine, nous observons une expansion du biofilm bactérien, qui va même jusqu’à envahir le tissu épithélial, permettant ainsi aux bactéries qui le composent de circuler vers des organes distants », détaille Nathalie Vergnolle. La thrombine intestinale joue donc un rôle protecteur, s’exerçant via son action sur des protéines de la matrice bactérienne. 

Un équilibre à rétablir dans plusieurs situations

L’équilibre instauré s’avère particulièrement fin : la fragilité naturelle de l’enzyme l’empêche de totalement altérer le microbiote, par ailleurs essentiel au bon fonctionnement de l’intestin. Ce travail ouvre de nombreuses perspectives. La thrombine est par exemple produite en trop grande quantité dans l’intestin de patients souffrants de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, suite à des saignements des tissus abîmés. « Cette surproduction de trombine pourrait avoir une conséquence sur le biofilm des patients et alourdir leurs symptômes », soulignent Nathalie Vergnolle et Jean-Paul Motta. L’équipe essaie également de savoir si les fréquents dommages et saignements gastro-intestinaux observés chez des patients traités avec des anticoagulants administrés par voie orale, pour des maladies cardiovasculaires, ne pourraient pas en partie s’expliquer par une suppression de l’action protectrice de la thrombine intestinale. « Pourquoi observe-t-on des saignements s’il n’y a pas de dommage préalable aux tissus ? Nous faisons l’hypothèse qu’éliminer la thrombine avec des anticoagulants pourrait causer ces dommages. C’est une question importante car les saignements conduisent souvent à l’arrêt des traitements », estime la directrice de recherche. 

Note :
* unité 1220 Inserm/Inra/Université Toulouse 3‑Paul-Sabatier/Ecole nationale vétérinaire, équipe Physiopathologie de l’épithélium intestinal, Institut de recherche en santé digestive, Toulouse. 

Source : JP Motta et coll., Active thrombin produced by the intestinal epithelium controls mucosal biofilms. Nature communications (2019) 10 (1): 3224. DOI : 10.1038/s41467-019–11140‑w