Pourquoi faut-il s’alimenter le jour ? (si l’on dort la nuit !)

S’alimenter en horaire décalé par rapport aux horloges biologiques naturelles affecte le fonctionnement de l’organisme et entraine de multiples pathologies. Des chercheurs viennent de décrypter les mécanismes moléculaires à l’origine de ce phénomène, associé à un décalage de ces horloges.

Se nourrir en période de repos – la nuit chez l’homme, le jour chez la souris – perturbe la machinerie corporelle : mieux vaut manger lors de sa période d’activité – le jour pour l’homme, la nuit pour la souris ! Si ce phénomène est connu depuis plusieurs années, une équipe strasbourgeoise* vient de montrer pourquoi. 

C’est au début des années 2000, alors qu’ils s’intéressaient à l’impact du rythme des repas sur les horloges biologiques, dites circadiennes, que des chercheurs suisses avaient commencé à s’intéresser à la question. Ils avaient forcé des souris à se nourrir uniquement pendant leur période quotidienne de repos. Cela n’avait pas modifié leur comportement général (elles se reposaient toujours pendant le jour et restaient actives pendant la nuit), mais leurs horloges périphériques étaient décalées de douze heures : au cours des périodes d’activité, les organes se comportaient comme s’ils étaient au repos, et réciproquement. En découlait une production inadaptée de métabolites, d’hormones ou encore de neurotransmetteurs. Ainsi, les auteurs en avaient conclu que les horloges périphériques, mais non l’horloge centrale, étaient sensibles au changement de rythme alimentaire. 

Les horloges biologiques en pratique 

Ces horloges sont calées sur un rythme de 24 heures, avec une alternance de périodes d’activité (le jour chez l’homme et la plupart des mammifères, mais la nuit chez la souris) et de repos (la nuit chez l’homme, le jour chez la souris). L’horloge « maîtresse » centrale, sensible à la lumière, est nichée au cœur du cerveau, au niveau de neurones localisés dans l’hypothalamus. Son fonctionnement repose sur l’expression cyclique d’une quinzaine de gènes qui régulent des fonctions biologiques importantes. Elle synchronise aussi de semblables horloges, dites périphériques, qui contrôlent la plupart des fonctions métaboliques au niveau des organes, grâce à l’expression transitoire et coordonnée de deux groupes de gènes, spécifiques des périodes d’activité et de repos. 

Les chercheurs de l’IGBMC de Strasbourg ont voulu en savoir plus sur ce décalage spécifique des horloges périphériques, afin de comprendre le phénomène au niveau moléculaire. Pour cela, ils ont soumis des souris au même rythme alimentaire décalé, puis ils ont analysé toutes les conséquences biologiques d’une alimentation restreinte à la période de repos. 

Les acides gras libres incriminés

Il est alors apparu que cette inadéquation temporelle entre apports alimentaires et besoins énergétiques entraine des processus d’adaptation inhabituels… Pour produire de l’énergie en période d’activité, faute de pouvoir utiliser des glucides directement disponibles dans le sang, l’organisme procède à la libération d’acide gras dans le sang sous l’effet de l’insuline. Mais ces acides gras se lient et activent un récepteur logé dans le noyau des cellules, le récepteur PPARa. Celui-ci contrôle l’expression de nombreux gènes et son activation conduit certains d’entre eux à s’exprimer de façon inopportune. « D’où le décalage des horloges périphériques qui atteint une douzaine d’heures en quelques jours », clarifie le Pr Pierre Chambon qui a supervisé ces travaux. 

Les premiers troubles métaboliques apparaissent alors, avec des anomalies des taux de glucides et de lipides et, plus tardivement, avec une résistance à l’insuline évoquant un état pré-diabétique. Ces anomalies métaboliques ont elles-mêmes des répercussions sur la production d’autres facteurs tels que des hormones ou des neurotransmetteurs. De quoi engendrer des complications bien au-delà du métabolisme : troubles de la vigilance, troubles de l’humeur...

Adapter son rythme alimentaire

« Ces résultats expliquent pourquoi les personnes qui travaillent la nuit tout en continuant à se nourrir le jour, présentent des problèmes métaboliques. Pour l’éviter, elles devraient s’alimenter essentiellement au cours de la nuit. A l’inverse, pour les personnes vivant « normalement », ces résultats indiquent qu’elles devraient s’alimenter pendant la journée et se coucher l’estomac à moitié vide, ainsi que le préconise d’ailleurs un vieil adage », clarifie Pierre Chambon. 

Ces travaux ont également permis de comprendre pourquoi l’horloge centrale n’est pas affectée par le changement de rythme des repas. En effet, les chercheurs ont montré que le récepteur PPARa est absent des neurones formant l’horloge « maîtresse » : la libération d’acides gras ne peut pas décaler l’expression de ces gènes. « Cela explique que les périodes d’activité et d’inactivé normales soient conservées et restent en phase avec l’alternance jour/nuit, indépendamment du moment des repas », conclut Pierre Chambon. 

Note

*unité 964 Inserm/CNRS/Université de Strasbourg, IGBMC, Illkirch 

Source

Mukherji et coll. Proc Natl Acad Sci USA, édition en ligne du 16 novembre 2015, doi:10.1073/pnas.1519807112 et doi:10.1073/pnas.1519735112