Pourquoi les enfants dyspraxiques ont-ils aussi des difficultés en maths ?

Les troubles de la coordination des gestes des enfants dyspraxiques rendent difficile l’apprentissage de l’écriture mais aussi, de façon moins intuitive, celui des nombres. L’explication pourrait se situer au niveau du regard…

La dyspraxie est un trouble d’origine développementale qui engendre des difficultés de coordination motrice chez des enfants sans problème d’intelligence conceptuelle et sans pathologie organique associée. Ils peuvent souffrir d’un retard dans l’acquisition de la marche, être maladroit et montrent souvent des perturbations de l’écriture manuscrite. Mais les enfants dyspraxiques peuvent aussi avoir des troubles en mathématiques et dans l’apprentissage des nombres, sans que les mécanismes impliqués soient à ce jour parfaitement établis. 

Une équipe de chercheurs vient précisément d’explorer cette difficulté, en menant une série d’expérimentations auprès de 20 enfants dyspraxiques et de 20 enfants « contrôles » (sans troubles dys), âgés d’environ 8 ou 9 ans. Il est apparu que le sens inné du nombre des premiers est altéré. En d’autres termes, là où un enfant « contrôle » peut identifier le nombre d’objets dans un petit groupe d’un simple coup d’œil, sans avoir à les compter un par un, un enfant dyspraxique a plus de mal. Les enfants dyspraxiques présentent en outre une difficulté pour compter les objets, difficulté qui pourrait reposer sur une perturbation des mouvements oculaires. Explications : 

Un comptage plus lent et moins précis

Dans cette étude, les enfants dyspraxiques et les enfants « contrôles » ont passé deux types de tests sur ordinateur : apparaissaient sur l’écran des groupes de un à huit points, soit de façon « flash » (moins d’une seconde), soit sans limite de temps. Dans les deux cas, les enfants devaient indiquer le nombre de points présentés. « Lorsqu’ils ont une limite de temps, l’expérience fait appel à la capacité de subitizing des enfants, c’est-à-dire le sens inné du nombre qui permet de déterminer instantanément le nombre d’un petit groupe d’objets, sans avoir besoin de les compter un par un. Dans le second cas, il s’agit d’un comptage » précise Caroline Huron*, qui a dirigé ce travail. Parallèlement, les mouvements oculaires ont été enregistrés et analysés (par eye tracking).

« Les enfants dyspraxiques apparaissent moins précis et plus lents dans les deux tâches. Qu’ils aient ou non le temps de compter, ils commencent à faire des erreurs au-delà d’un nombre de 3 points. Et lorsque le nombre est supérieur, ils sont plus lents à donner leur réponse, qui est plus souvent fausse. L’eye tracking a permis de voir que leur regard a du mal à rester fixé. Leurs yeux quittent la cible et les enfants font généralement des erreurs de plus ou moins un. Cela suggère qu’ils ont compté deux fois certains points ou en ont sauté lors de leur comptage », résume la chercheuse. 

Reste à déterminer l’origine de ces mouvements oculaires dysfonctionnels, et à évaluer s’ils sont le reflet d’une difficulté cognitive ou attentionnelle. Des tests en neuroimagerie permettront d’explorer si des différences apparaissent entre les deux groupes d’enfants dans certaines régions cérébrales, comme la région pariétale, qui est impliquée dans le nombre. 

Mais sur un plan plus pratique, ce travail suggère que ces enfants ne peuvent pas construire un sens du nombre et des quantités de façon très solide, puisqu’une même quantité d’objets ne correspond pas toujours au même nombre à leurs yeux. Cela engendre des difficultés ultérieures en mathématiques qu’il pourrait être possible de limiter en proposant une approche pédagogique adaptée : « Il faudrait déconseiller les exercices de comptage tels qu’ils sont souvent pratiqués en classe. Pour aider l’enfant, l’enseignant devrait pointer chaque objet un à un pour lui permettre d’acquérir le sens du nombre. Il existe aussi des logiciels adaptés pour aider à compter ainsi. Nous avons d’ailleurs développé une banque d’exercices spécifiques pour aider ces enfants dans le cadre du travail conduit avec le Cartable fantastique, une association qui a pour but de faciliter la scolarité des enfants dyspraxiques. » 

Dyspraxie : maladroit, vraiment ? – animation pédagogique – 1 min 53 – déc 2019 

Note :
* unité 992 Inserm/CEA/Université Paris-Sud et unité 1284 Inserm/Université de Paris 

Source : A Gomez et C Huron. Subitizing and counting impairments in children with developmental coordination disorder. Res Dev Disabil, édition en ligne du 22 juin 2020. https://doi.org/10.1016/j.ridd.2020.103717