Plasticité cérébrale : et si on s’occupait de la santé de notre cerveau ?

Notre organe chef d’orchestre fascine de par ses facultés. Il y a d’abord la mémoire, qui contribue à forger notre identité et est au cœur de notre capacité à nous adapter au monde. Mais derrière la question des souvenirs, se joue celle de la plasticité cérébrale : notre cerveau est en effet capable de remodeler ses propres circuits en permanence… et ce, tout au long de la vie ! Voilà une bonne raison de se défaire de certaines habitudes préjudiciables à cette formidable propriété.

Cet article est la retranscription de l’émission « Eurêka » diffusée sur l’antenne de RCF Alsace le 3 avril 2025, en partenariat avec la Délégation régionale Inserm Est. Cet épisode est réécoutable en cliquant ici.

Il est notre chef d’orchestre, il fascine, il continue de donner du fil à retordre aux scientifiques même si on le comprend de plus en plus finement, il est aussi l’objet de moult idées reçues… Je veux parler de notre cerveau. Pas besoin de se creuser longtemps les méninges pour imaginer sa complexité, tant il régit à peu près tout ce qui se passe dans notre corps, et ce 24h/24. Il y a bien sûr les mouvements et actions en tout genre que nous effectuons, y compris celles auxquelles on ne prête même pas attention, comme la respiration ou l’activité cardiaque. Mais notre cerveau joue également un rôle primordial dans les diverses fonctions cognitives, vous vous en doutez, qu’il s’agisse de la créativité, de la prise de décision, de l’expression des émotions, de la sociabilité, de la mémoire, etc… Bref, c’est un véritable super-ordinateur de bord. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si notre cerveau est l’organe le mieux protégé, par la boite crânienne, en baignant dans un liquide amortissant les chocs, et enveloppé par trois couches protectrices : les fameuses « méninges ».

Derrière cette forteresse se tapit un organe au poids modeste, d’environ 1,4kg (soit 2% de poids du corps), mais qui consomme à lui seul 20% de l’énergie totale produite par l’organisme, sous forme de sucre principalement. Un impressionnant réseau de vaisseaux sanguins lui achemine également de l’oxygène en quantité importante puisque, contrairement aux autres organes, le cerveau ne stocke pas les ressources dont il a besoin.

Nombre d’éléments expliquent que notre machinerie cérébrale soit si énergivore, à commencer par les 90 milliards de neurones qu’elle abrite. Ces cellules aux propriétés uniques sont spécialisées dans le traitement, la réception et la transmission des informations électrochimiques vers d’autres cellules nerveuses. Les branches appelées dendrites dont sont dotés les neurones rendent possible cette passation d’informations. En moyenne, chaque neurone est en liaison avec 10 000 autres neurones, formant un enchevêtrement particulièrement dense !

En réalité, les neurones ne se touchent pas tout à fait et de petits interstices, qu’on appelle les synapses, les séparent. Pour transmettre l’information, les neurones émettent donc des molécules chimiques, les neurotransmetteurs ; vous en connaissez peut-être certains, comme la sérotonine, l’adrénaline, ou encore la dopamine. Ces neurotransmetteurs vont franchir la synapse et se fixer sur le neurone suivant où ils seront reconnus par des récepteurs. A son tour, ce neurone va réagir selon l’information reçue et ainsi de suite, créant une fulgurante réaction en chaîne.

Bien qu’ils aient longtemps accaparé l’attention des chercheurs, les neurones ne sont de loin pas les seules cellules présentes dans le cerveau. Certes, en bon chef d’orchestre, notre cerveau s’appuie sur ses premiers solistes, mais eux seuls ne suffisent pas à jouer une partition parfaitement harmonieuse ! Depuis plus de 30 ans, on a découvert le rôle fondamental des cellules gliales, présentes en encore plus grand nombre. Ce sont elles qui prélèvent le glucose acheminé jusqu’au cerveau et alimentent les neurones ou protègent notre cerveau des infections. Autre mission capitale pour éviter les fausses notes : elles participent au système glymphatique, ce système d’évacuation des déchets cérébraux : la bonne santé du cerveau passe en effet par l’élimination quotidienne des toxines produites par son métabolisme très actif.

Ah, et profitons-en aussi pour éliminer l’idée reçue selon laquelle nous n’utiliserions que 10% de notre cerveau : c’est faux. Aucune partie du cerveau n’est inutile et des zones différentes s’activent selon ce qu’on fait ; surtout, des milliards d’années d’évolution auraient depuis longtemps corrigé ce mauvais ratio entre utilisation et consommation d’énergie !

Mémoire(s) et rapport au monde

Parmi les facultés du cerveau, il en est une qui occupe une place singulière tant elle contribue à forger notre identité et est au cœur de notre capacité à nous adapter au monde : la mémoire. Siège de nos souvenirs, de nos apprentissages et de nos savoir-faire, la mémoire est indispensable autant pour vivre le présent que pour anticiper le futur.

La mémoire renvoie à l’ensemble des activités mentales qui permettent d’enregistrer des informations, de les conserver, et de les réutiliser. Pour autant, il n’y a pas un centre de la mémoire dans le cerveau mais plutôt des réseaux neuronaux dynamiques et imbriqués où les différents types de mémoires interagissent. Oui, vous avez bien lu ! Parler de « la » mémoire est un abus de langage ; en réalité, on recense cinq types de mémoire. Du côté des mémoires à court terme, on distingue d’abord la mémoire perceptive, qui s’appuie sur nos 5 sens ; grâce à elle, nous reconnaissons un bruit familier ou le goût des aliments. Ensuite, la mémoire de travail est celle du présent, qui permet de retenir un numéro de téléphone pour le noter, ou que vous vous souveniez encore du début de cette émission.

Du côté des mémoires à long terme, la mémoire sémantique est celle du langage et des connaissances sur le monde et sur soi : on connaît l’alphabet ou son prénom, sans pour autant se souvenir quand et comment on a intégré ces connaissances. La mémoire épisodique, elle, consigne les souvenirs d’événements ou de moments personnellement vécus et permet de nous projeter dans le futur ; raconter ses dernières vacances ou songer aux prochaines font appel aux mêmes circuits cérébraux. Enfin, la mémoire procédurale est celle des habitudes, des automatismes et des habiletés motrices et cognitives : on peut conduire ou jouer de son instrument de musique sans avoir à réapprendre à chaque fois !

Parmi les neuroscientifiques s’intéressant à la mémoire, Anne Pereira de Vasconcelos est chercheuse Inserm à Strasbourg, au Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives, affilié au CNRS et à l’Université de Strasbourg. Après avoir consacré la première moitié de sa carrière à une meilleure compréhension de l’épilepsie, elle a rejoint il y a une vingtaine d’années une équipe de ce laboratoire. Ensemble, ils tâchent de comprendre la manière dont les souvenirs se forment. Au niveau cellulaire et moléculaire, quels paramètres font qu’un souvenir va durer dans le temps, ou pas ? Comment, avec le temps, les traces laissées par les souvenirs se déplacent littéralement dans le cerveau, créant de nouvelles connexions ?

Ces champs de recherche permettent de mieux comprendre le fonctionnement de la mémoire, de certaines maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, mais aussi le vieillissement dit « normal », c’est-à-dire en l’absence de pathologies. L’âge va ordinairement de pair avec un déclin cognitif, généralement synonyme d’un ralentissement des connexions : apprendre à utiliser un nouvel appareil ou retrouver le nom d’un acteur peut ainsi prendre un peu plus de temps.

Maintenir son cerveau à flot

Pour autant, pas question de penser qu’une fois adulte, notre cerveau ne fait que décliner. Anne Pereira de Vasconcelos le martèle : à tout âge, notre cerveau garde cette incroyable faculté de pouvoir remodeler, reconfigurer ses propres circuits en permanence. Autrement dit, tout au long de la vie, au gré de nos activités et de nos expériences, notre cerveau évolue et forme de nouvelles connexions. C’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale ; cette propriété qui rend notre cerveau malléable fait de nous des êtres en perpétuelle évolution ! 

Bien sûr, cette plasticité connaît son heure de gloire chez l’enfant et l’adolescent, lorsque le cerveau est en pleine croissance ; d’ailleurs, le cerveau finit de se développer relativement tard, autour de 25 ans. Mais une fois adulte, ces ramifications de réseaux neuronaux continuent d’être forgées par tout ce que nous faisons, écoutons, essayons, rencontrons… Stimuler son cerveau, ce n’est pas nécessairement être un expert aux mots fléchés ; c’est s’adonner à des activités variées, quelles qu’elles soient, c’est maintenir des relations sociales, c’est s’essayer à la nouveauté, c’est apprendre des choses que l’on ignorait jusqu’alors… Une plasticité de champion, c’est une plasticité en trois dimensions avec une stimulation du corps, des sens, et cognitive !

A contrario, ce qu’on ne fait pas façonne aussi cette plasticité. Une route n’a pas lieu d’être construite ou entretenue si personne ne l’emprunte jamais… ce qui n’est pas pour autant forcément négatif car la mémoire et l’oubli vont de pair : si on se souvenait de tout on deviendrait fou ! Simplement, dans le cerveau, plus on emprunte une route, meilleur est son état et les chemins perdus offrent l’opportunité d’en créer de nouveaux. Finalement, contrairement aux autres organes, plus on se sert de notre cerveau et moins il s’abîme ; et ceci, grâce à notre plasticité cérébrale.

Moins dormir + moins bouger = moins de plasticité

Anne Pereira de Vasconcelos bat en brèche ce qu’on a longtemps cru sur un supposé immobilisme voire un déclin inéluctable du cerveau une fois adulte. Mais elle déplore également certaines habitudes préjudiciables à notre plasticité cérébrale, et donc à la santé du cerveau, rendant notre pâte à modeler en matière grise de moins en moins malléable… Nos modes de vie ont tendance à aller à l’encontre de deux acteurs-clé de notre santé cérébrale et de notre bien-être : le sommeil et l’activité physique.

L’importance de cette dernière s’explique par une simple donnée : notre cerveau à lui seul contient 650 km de vaisseaux sanguins, soit la distance entre Strasbourg et Prague en République-Tchèque ! On le sait, une bonne santé cardiovasculaire passe notamment par la pratique d’une activité physique quotidienne ; le cerveau et ses vaisseaux ne sont pas en reste, et la sédentarité leur est tout à fait préjudiciable.

Quant au sommeil, il revêt une importance capitale pour notre cerveau. D’une part, nos souvenirs se consolident lorsque nous dormons : le cerveau rejoue les événements de la journée et les consolide plus durablement. D’autre part, c’est aussi pendant le sommeil que le cerveau élimine les déchets et toxines accumulés dans la journée. Souvenez-vous des cellules gliales, dont certaines contribuent au système glymphatique : les vaisseaux de ce système augmentent de 50% de volume durant la nuit, signe du caractère nocturne de ce nettoyage ! D’ailleurs des scientifiques font l’hypothèse qu’une mauvaise élimination de ces déchets, et donc leur accumulation dans le cerveau, pourrait favoriser la survenue de maladies comme Alzheimer.

Or, selon le dernier baromètre de Santé publique France sur le sommeil, les nuits des Français ont été raccourcies entre 1 heure et 1h30 en 50 ans ! Autant de temps en moins pour que ces mécanismes physiologiques puissent se dérouler.

Alors, quel est le facteur commun entre la sédentarité accrue et la baisse du temps de sommeil ? Parmi les causes identifiées, la surconsommation des écrans. Indépendamment du contenu visionné, passer du temps devant un écran c’est passer du temps en étant statique. Par ailleurs, chez les ados comme chez les adultes, rester sur son téléphone le soir repousse notre heure de coucher et donc raccourcit nos nuits. Maintenir cet éveil cognitif voire émotionnel peut altérer la qualité du sommeil et chamboule notre horloge biologique qui régit les fonctions de l’organisme selon des cycles de 24 heures environ. Sa synchronisation se fait essentiellement grâce à la lumière, or les écrans inondent nos pupilles de lumière bleue, bloquant la production de l’hormone du sommeil, la mélatonine. Le cerveau ne reçoit pas le signal lui indiquant qu’il est l’heure de dormir, conduisant à ce que 90% des 15–24 ans manquent de sommeil selon l’enquête menée en 2018 par l’Institut national du sommeil et de la vigilance.

Une mauvaise nouvelle pour la plasticité cérébrale, pourtant cruciale chez les enfants et adolescents dont le cerveau est en plein développement, mais aussi, vous l’aurez compris, tout au long de la vie. Tâchons donc de retrouver une bonne hygiène de sommeil et de lumière, en limitant la surconsommation des écrans le soir : votre cerveau vous le rendra bien !