Paludisme et toxoplasmose : comment le parasite infecte les cellules hôtes

À Montpellier, une équipe de chercheurs vient de mettre au jour les premiers éléments d’un mécanisme crucial pour la virulence des agents du paludisme et de la toxoplasmose, les parasites Plasmodium et Toxoplasma. Cette découverte devrait permettre de comprendre enfin comment les cellules hôtes sont envahies par ces pathogènes, avec à la clé de nouvelles stratégies thérapeutiques qui ciblent spécifiquement ce mécanisme.

Les mécanismes d’infection des parasites Plasmodium et Toxoplasma, respectivement responsables du paludisme et de la toxoplasmose, sont très mal connus. On sait que ces parasites de la famille des apicomplexes envahissent les cellules hôtes en y déversant un amas de molécules qu’ils stockent dans un compartiment intracellulaire en forme de sac allongé, la rhoptrie. Cette sécrétion est essentielle à l’initiation et au développement de l’infection, mais le mécanisme sous-jacent reste un mystère. Une chose est sûre, il ne ressemble à aucun autre déjà décrit chez les bactéries ou dans les cellules de mammifères, probablement parce que ces différentes formes de vie sont trop éloignées sur le plan de l’évolution pour partager un tel système. 

Maryse Lebrun, directrice de recherche Inserm à Montpellier*, s’intéresse depuis plusieurs années à ces parasites. Elle a eu une idée pour contourner ce problème : « Nous avons pensé que nous pourrions peut-être obtenir plus d’informations en examinant les mécanismes de sécrétion dans des espèces biologiques plus proches ». Elle s’est alors penchée sur un arbre phylogénique et s’est arrêtée sur les ciliés, des organismes unicellulaires non pathogènes, présents dans les eaux (rivières, mers, lacs…), éloignés de plusieurs millions d’années des apicomplexes, mais malgré tout cousins de Plasmodium et Toxoplasma.

D’anciens travaux avaient révélé comment les ciliés sécrètent eux aussi le contenu de sacs internes, dans leur cas pour se défendre contre des prédateurs. Cette sécrétion dépend d’une structure originale appelée « rosette », formée à partir de protéines de la membrane organisées en cercle, à laquelle se fixe le sac. Des gènes responsables de la formation de ces rosettes, les gènes Nd, ont même été décrits.« De manière très intrigante, une rosette similaire avait aussi été détectée au site de sécrétion des rhoptries chez Toxoplasma ou Plasmodium, dans les années 1970. Mais cette structure n’avait pas fait l’objet d’études après sa découverte », relate la chercheuse. 

Un mécanisme de sécrétion unique

Pour tester l’hypothèse d’un mécanisme similaire entre ciliés et parasites, Maryse Lebrun et son équipe ont recherché les gènes Nd chez Plasmodium et Toxoplasma. Sur cinq gènes existant chez les ciliés, les chercheurs en ont retrouvé deux conservés chez les apicomplexes. Lorsqu’on les inactive, on constate l’absence de sécrétion des molécules depuis les rhoptries et la perte de pathogénicité des parasites, devenus incapables d’infecter des cellules hôtes. Grâce à la microscopie électronique, l’équipe a ensuite montré que la rosette normalement observée à proximité des rhoptries des parasites sauvages est absente lorsque les gènes Nd sont inactivés. 

L’équipe a en outre identifié des molécules qui se lient aux protéines codées par les gènes Nd, semblables chez les parasites et les ciliés où elles jouent des rôles identiques. « Ces résultats suggèrent fortement l’existence d’une machine de sécrétion unique et commune entre ces deux types d’organismes », clarifie la chercheuse. 

Pour observer cette machinerie plus en détail chez les parasites, l’équipe montpelliéraine a fait appel à un laboratoire spécialisé en cryomicroscopie électronique de l’université de Pennsylvanie, aux États-Unis. Cette méthode d’imagerie permet d’obtenir des détails sur des structures cellulaires complexes, à des résolutions de l’ordre de la dizaine de nanomètre. Les chercheurs ont retrouvé la rosette dans la membrane de Toxoplasma et constaté la présence d’une vésicule qui sépare cette structure de la rhoptrie. « Nous supposons que cette vésicule sert à la formation de la rosette, et peut-être même à l’injection du contenu des rhoptries dans la cellule hôte. Nous devons encore le vérifier et, surtout, comprendre comment tout cela est induit, sous l’effet de quels signaux cellulaires, explique Maryse Lebrun. Cette étude va servir de base pour une analyse plus exhaustive de ce mécanisme. Le but ultime est bien sûr d’élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques : la sécrétion des rhoptries est un mécanisme atypique, spécifique de ces parasites, ce qui en fait une cible thérapeutique attractive pour lutter contre le paludisme ou la toxoplasmose. »

Note :
*UMR 5235 CNRS/Université Montpellier, Biogenèse membranaire et interactions avec la cellule hôte chez Plasmodium et Toxoplasma, équipe Invasion de la cellule hôte et survie intracellulaire des parasites Apicomplexa, Montpellier

Source : E Aquilini et coll. An Alveolata secretory machinery adapted to parasite host cell invasion. Nat Microbiol du 25 janvier 2021. doi : 10.1038/s41564-020–00854‑z