Organoïdes : Quelle place dans la recherche de demain ?

À mi-chemin entre modèles in vivo et cultures de cellules in vitro, un nouvel outil voit le jour qui pourrait densifier les découvertes médicales : le modèle ex vivo organoïde.

Un article à retrouver dans le n°43 du magazine de l’Inserm

Organoïde de côlon en microscopie confocale
Organoïde de côlon en microscopie confocale – IRSD, unité 1220 Inserm/UT3PS ©Inserm/Delapierre, Patrick

Depuis des décennies, les cultures in vitro ont été limitées par des environnements plastiques plats, physiologiquement aberrants. Mais depuis peu, les études s’en détachent au profit de constructions 3D plus proches de la réalité : les organoïdes. Ces représentations en culture in vitro d’organes maintenus en 3D ont des architectures et des fonctionnalités qui se rapprochent de celles des tissus dont elles dérivent. Tels des miniorganes, elles sont formées à partir de cellules souches, ou de cellules progénitrices un peu plus différenciées, qui s’auto-organisent dans un environnement 3D adapté (hydrogel, environnement matriciel poreux…). Le tout grâce à des facteurs de croissance et de différenciation, dont la nature, la quantité et la fenêtre d’exposition vont guider la nature des futures cellules. 

« Dans une boîte de Petri, les cellules vont se coller au fond et rester immobiles, mais dans l’hydrogel qui fournit une matrice extracellulaire en 3D, les cellules ont une tendance spontanée à s’agréger en tissus fonctionnels, décrit Nathalie Vergnolle, directrice de l’Institut de recherche en santé digestive* de Toulouse. Il n’y a pas de magie. » Entre cultures en 2D et organoïdes en 3D, seule l’architecture change et, pourtant, elle fait toute la différence. Tout comme une cellule seule ne se comporte pas de la même manière qu’une cellule en groupe, la formation tridimensionnelle révèle des fonctionnalités et des caractéristiques génétiques plus représentatives du vivant. Mais certains ne laissent pas la formation des organoïdes au hasard. Jean-Christophe Fricain et les chercheurs de l’accélérateur de recherche technologique BioPrint** à Bordeaux se sont lancés le défi de la bioimpression de tissus. « L’auto-organisation spontanée de cellules en 3D, bien qu’une progression par rapport à la 2D, est encore loin de retranscrire la fonctionnalité de l’organe au complet, d’où l’idée de diriger la formation de l’organoïde par bioimpression. » Si la technologie est plus onéreuse, l’impression donne davantage d’informations et de détails aux mini-organes. 

Des outils incontournables…

Cette quête vers la représentation de l’organe en culture la plus physiologiquement pertinente n’est pas sans raison. Ce défi légitime l’utilisation des organoïdes pour certaines découvertes scientifiques et médicales. Si, au départ, ils ont été conçus pour étudier et comprendre les processus d’organisation et d’arrangement des tissus, ils sont depuis devenus d’excellents outils pour la recherche. « Pouvant être maintenus en culture beaucoup plus longtemps qu’une biopsie et étant beaucoup plus fonctionnels que les cultures 2D, les organoïdes ont une place incontestable entant que modèle d’étude de compréhension des mécanismes de la physiologie et de la physiopathologie, précise Nathalie Vergnolle, qui fabrique des organoïdes intestinaux et vésicaux murins et humains pour l’étude des maladies intestinales (MICI, cancer colorectal) ou vésicales (cystite, cancer de la vessie) et de leurs traitements. En effet, nous nous sommes aperçus que les organoïdes issus de tissus malades n’ont pas les mêmes morphologies et comportements que ceux provenant de tissus sains. »

C’est également un outil qui devient incontournable pour comprendre la toxicité et l’action d’une molécule pharmacologique, une nécessité pour la mise sur le marché de tout nouveau médicament. Prévitox, un réseau de 35 laboratoires et infrastructures dédié à l’évaluation de la toxicité médicamenteuse, financé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et piloté par l’Inserm, s’appuie sur une expertise en organoïdes. Les chercheurs projettent notamment d’associer différents organoïdes, comme le foie et les reins, pour modéliser les étapes d’assimilation des molécules dans le corps et « obtenir une vue intégrée du métabolisme et de la toxicité des médicaments dans un système complexe », explique Bruno Clément, directeur de l’institut Nutrition, métabolisme et cancer*** à Rennes, à la tête de l’aventure. Ce laboratoire développe notamment des organoïdes porcins de foie et d’intestin pour le projet. Les chercheurs envisagent même de créer des organoïdes à partir de cellules de patients pour tester, adapter et optimiser les thérapies à chacun. Encore à un stade précoce, cette médecine personnalisée pourrait voir le jour, notamment pour certains types de cancers peu sensibles aux traitements. 

« Il me paraît évident que les organoïdes vont se banaliser dans le domaine de la pharmacotoxicologie », assure Jean-Christophe Fricain. « Particulièrement en association avec les nouvelles technologies d’édition génomique comme CRISPR-Cas9 qui commencent à permettre l’étude des conséquences génétiques sur les organoïdes humains, comme on le fait aujourd’hui sur l’animal », ajoute Karim Si-Tayeb de l’Institut du thorax**** à Nantes, qui utilise des cellules souches pluripotentes induites de patients hyper et hypocholestérolémiques différenciées en structures hépatiques 3D pour comprendre la régulation du cholestérol. « C’est en élargissant le travail sur l’humain que les organoïdes prennent toute leur valeur », complète Robert Barouki, directeur de l’unité Inserm Toxicologie environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs***** à Paris, qui étudie des polluants et perturbateurs endocriniens sur des organoïdes de foie humain. 

L’organoïde est-il donc destiné à remplacer les autres modèles in vitro et in vivo ? Les chercheurs imaginent plutôt un outil supplémentaire qui élargirait la gamme déjà proposée. 

… et complémentaires

Les cultures cellulaires in vitro en 2D existent depuis des décennies, et même si nous arrivons à la limite du système et que la 3D semble l’éclipser, cela ne veut pas dire pour autant que leur étude sera écartée. « Elles restent simples et peu chères comparativement. Elles auront donc leur utilité en première approche » assure Karim Si-Tayeb. Quant à la recherche animale, même si l’assemblage de mini-organes commence à se développer, ce système ne pourra jamais être aussi complet et représentatif que le modèle animal. Les organoïdes permettent de mieux comprendre la complexité du vivant sans pour autant en devenir un substitut. « Ces nouvelles technologies ne vont pas diminuer le besoin de recherche animale. En revanche, elles vont rendre la connaissance du vivant plus fine et vont augmenter l’arborescence et la densité des connaissances. Il est clair que cela rendra la recherche animale plus efficace, précise et ciblée, ce qui diminuera le nombre d’animaux utilisés. Mais l’organoïde ne remplacera pas l’animal entier. S’il venait à le faire, c’est qu’il serait devenu animal », affirme Bruno Verschuere, vétérinaire pour le Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche animale (Gircor).

Les organoïdes promettent donc de prendre une place cruciale dans la recherche de demain en tant que révolution technique mais également préclinique, voire clinique. L’outil deviendra-t-il aussi marquant que les vaccins, les antibiotiques ou encore la chimiothérapie dans la guerre contre les maladies ? Il faudra encore patienter quelques années pour le savoir. 

La différenciation des cellules souches pluripotentes humaines en organoïdes intestinaux – Mooc – 5 min – Coproduction Université de Nantes/Inserm, réalisation Ouest Médias (2018).

A lire aussi au sujet des organoïdes : Du tissu adipeux humain reproduit en laboratoire (communiqué de presse du 14 juin 2019)

Notes :
*unité 1220 Inserm/Inra/Ecole nationale vétérinaire de Toulouse/Université Toulouse 3, IRSD, Toulouse
**unité 1026 Inserm/Université de Bordeaux, Biotis, Bordeaux
***unité 1241 Inserm/Université de Renne 1, Numecan, Rennes
****unité 1087 Inserm/CNRS/Université de Nantes – CHU de Nante, Institut du thorax, Nantes
*****unité 1124 Inserm/Université Paris Descartes, T3S, Paris