Obésité : dès 2 ans, l’activité physique et la sédentarité sont déterminantes

Le suivi d’une cohorte de plus de 800 enfants montre que le temps passé à jouer en plein air ou à regarder la télévision pendant la petite enfance est déjà prédictif du risque d’obésité ultérieur.

Les comportements impliqués dans la balance énergétique et connus pour influencer le risque d’obésité interviennent très tôt dans la vie de l’enfant : ainsi, plus les garçons passent de temps devant des écrans à 2 ans, plus ils ont un pourcentage de masse grasse corporelle élevé à 5 ans. Chez les filles, ce sont celles qui passent le moins de temps à jouer en plein air à 2 ans qui présentent un risque accru de développement de la masse grasse. Pour limiter le risque d’obésité, il apparaît donc essentiel de prévenir au maximum l’installation de ces comportements dès cet âge, d’autant plus qu’ils tendent à se maintenir de la petite enfance à l’enfance, puis de l’enfance à l’âge adulte. 

Ces résultats, issus de travaux d’une équipe parisienne*, sont les premiers du genre, explique Sandrine Lioret, qui a co-encadré ce travail avec Patricia Dargent-Molina : « Différentes études ont été réalisées chez des enfants d’âge scolaire. Elles avaient déjà démontré que la sédentarité (mesurée à partir du temps passé devant les écrans), une moindre activité physique et la consommation d’aliments de forte densité énergétique étaient liés au surpoids. Mais on manquait de données prospectives chez les enfants de moins de 3 ans ». L’équipe Inserm a pu conduire ce travail auprès de 883 enfants de la cohorte EDEN, la première étude de cohorte généraliste française menée sur les déterminants pré- et postnatals précoces du développement et de la santé de l’enfant. Démarrée en 2003, cette étude a suivi des couples mère-enfant à Poitiers et Nancy, du le début de la grossesse jusqu’aux 10 ans de l’enfant. « Les parents ont répondu à plusieurs questionnaires au cours du suivi, leur demandant notamment, à 2 ans, de préciser la durée habituelle passée par l’enfant à jouer en plein air et devant les écrans aux différents jours de la semaine », explique la chercheuse. Ils ont aussi été questionnés sur la fréquence de consommation d’une trentaine de groupes d’aliments couvrant l’ensemble de l’alimentation. Ces informations ont été synthétisées sous forme de deux profils alimentaires, l’un caractérisé par une consommation fréquente d’aliments transformés de type snacking / fast-food, l’autre par des aliments en adéquation avec les recommandations nutritionnelles. L’ensemble de ces données ont ensuite été analysées et rapportées aux données anthropométriques à 5 ans : le pourcentage de masse grasse (mesurée par impédancemétrie) et l’indice de masse corporelle (IMC). 

Le risque lié à l’alimentation reste à préciser

L’analyse a été conduite de façon séparée pour les deux sexes, « car dès l’âge de 2 ans, l’activité physique et le pourcentage de masse grasse diffèrent entre les filles et les garçons » précise Sandrine Lioret. Chez les garçons, « le temps passé devant les écrans est du temps qu’ils ne passent pas à des activités plus dépensières en énergie. Il est également possible que l’exposition à la publicité alimentaire favorise le snacking. Leur temps d’écran à 2 ans était d’ailleurs associé à un recours plus fréquent aux aliments transformés de type snacking / fast-food. D’où un excédent probable du bilan énergétique de ces enfants ». Quant aux filles, il est possible que le temps de jeux en plein air soit un meilleur indicateur de l’activité physique totale chez elles : cela pourrait expliquer en partie pourquoi la relation inverse entre jeux en plein air et adiposité ultérieure n’ait été observée que chez elles dans cette étude. 

Même si ces résultats méritent d’être confirmés par d’autres travaux, « dans un souci de prévention précoce du surpoids chez l’enfant, il apparaît pertinent de ne pas s’intéresser uniquement à l’alimentation. On a tendance à croire que les jeunes enfants sont spontanément et suffisamment actifs, mais la littérature révèle qu’ils consacrent l’essentiel de leur temps à des activités sédentaires, et qu’il existe une grande variabilité interindividuelle pour l’activité physique. Ces résultats suggèrent l’importance de promouvoir et d’encourager les jeux en plein air dès le plus jeune âge, et de limiter l’exposition aux écrans : « C’est donc également sur ces pratiques qu’il faut appuyer les messages de prévention ».

Dans cette étude, l’alimentation à 2 ans n’apparaissait pas statistiquement discriminante vis-à-vis de l’adiposité ultérieure : « Des travaux antérieurs conduits à partir des données EDEN ont montré que les profils alimentaires à 2 ans tendaient à persister jusqu’à 5 ans. Il est possible que de mauvaises habitudes alimentaires prises dès la petite enfance ne s’expriment sur la balance énergétique que plus tardivement, lorsque l’activité physique diminue, puisque celle-ci diminue avec l’âge ». De plus, les familles EDEN avaient un niveau socio-économique globalement supérieur à la population générale. Or l’alimentation est socialement différenciée dès la première année de vie : « Il est donc possible que la relation entre alimentation et adiposité ait été sous-estimée », commente la chercheuse. « En outre, dans cette étude, les indicateurs d’activité physique et de sédentarité sont corrélés aux profils alimentaires des enfants. Pour toutes ces raisons, il est important de poursuivre les recherches pour préciser l’importance de l’alimentation chez le jeune enfant vis-à-vis du risque ultérieur d’obésité ».

Des travaux à venir pourraient prochainement compléter ce bilan, précise la scientifique : « Il faudra en particulier déterminer si le lien entre les comportements impliqués dans la balance énergétique à 2 ans et le risque d’obésité se maintient au-delà de 5 ans ». Pour cela, l’équipe va notamment s’intéresser à l’âge du rebond d’adiposité : le moment où l’IMC repart à la hausse après être passé par son point le plus bas. Il intervient généralement vers 6 ou 7 ans, mais, s’il se produit plus précocement, il est prédictif d’obésité ultérieure… Par ailleurs, ces analyses pourront être reproduites au sein d’une cohorte plus représentative de la population générale : la cohorte ELFE (Étude longitude Longitudinale Française depuis l’Enfance) dans laquelle près de 18 000 enfants nés en 2011 en France métropolitaine ont été recrutés. En plus des questionnaires portant sur le temps consacré à différentes activités, une partie de ces enfants a été équipée d’un accéléromètre durant une semaine, à l’âge de trois ans et demi, pour mesurer plus objectivement leur niveau d’activité physique. Enfin « l’étude interventionnelle ECAIL que nous démarrons prochainement va s’intéresser spécifiquement aux questions de nutrition et autres comportements précoces : elle suivra 800 femmes enceintes en situation de vulnérabilité sociale, ainsi que leur enfant jusqu’à ses 2 ans ». 

Note

* unité 1153 Inserm/Université Denis Diderot/Université Paris Nord/Inra, Centre de recherche épidémiologie et statistique Sorbonne Paris Cité, équipe ORCHAD(early ORigin of the Child’s Health And Development), Paris 

Source

C Saldanha-Gomes et coll. Prospective associations between energy balance-related behaviors at 2 years of age and subsequent adiposity : the EDEN mother–child cohort. International Journal of Obesity (2016), 1–8.