Nanomédicaments : Les acides nucléiques thérapeutiques, du cancer à la Covid-19

Les acides nucléiques thérapeutiques, et notamment les approches antisens, constituent une technologie récente, porteuse d’importants espoirs. Développées jusqu’à présent dans certains domaines comme les affections ophtalmologiques, métaboliques, neuromusculaires ou néoplasiques, ces approches pourraient rapidement aboutir à des nanomédicaments contre la pandémie de Covid-19.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°49

[mis à jour le 26.03.21]

Devant l’urgence sanitaire de la pandémie de Covid-19, la recherche s’est intensifiée de façon inédite afin de développer des traitements fondés sur le repositionnement de médicaments préexistants ou sur la mise au point de nouvelles molécules. En règle générale, ces dernières sont très longues à développer. Mais les thérapies à base d’acides nucléiques ont changé la donne : les premières stratégies vaccinales anti-Covid-19 qui utilisent l’ARN messager (ARNm) du virus ont été développées en moins d’un an. Dans leur sillage, d’autres traitements de nouvelle génération pourraient rapidement voir le jour. 

À la base de ces approches donc, l’acide nucléique. D’abord celui de l’ARNm, qui est une copie d’un gène fabriquée par nos cellules pour synthétiser la protéine correspondante. Ensuite, celui des oligonucléotides thérapeutiques : des ARN ou des ADN complémentaires de l’ARNm et qui permettent d’en moduler la fonction. Hautement spécifiques et relativement rapides à développer, les oligonucléotides antisens (OAS) sont les acides nucléiques thérapeutiques les plus prometteurs contre la Covid-19. 

Palma Rocchi*, au Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM), est l’une des spécialistes internationales dans ce domaine. En 2020, son équipe s’est portée volontaire pour proposer et développer plusieurs OAS spécifiques du SARS-CoV‑2. « Les OAS constituaient une approche émergente au début des années 2000 lorsque je m’y suis formée au sein d’un laboratoire précurseur canadien », raconte la directrice de recherche Inserm. De retour en France, elle a d’abord exploré cette stratégie contre le cancer de la prostate hormonorésistant, difficile à traiter. Après avoir montré que le phénomène de résistance était sous l’influence de la protéine Hsp27 surexprimée par les cellules tumorales, elle a pu mettre au point avec son équipe un oligonucléotide qui cible l’ARNm correspondant. Une technologie qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet avec licence internationale. L’OAS ainsi formulé a montré de premiers résultats cliniques encourageants. Depuis, la chercheuse a été sollicitée par plusieurs équipes au niveau national et international afin de développer des OAS pour d’autres indications, notamment contre les maladies rares, les maladies neurologiques ou d’autres pathologies tumorales. « La synthèse chimique d’un oligonucléotide n’est que la première étape du travail, précise Palma Rocchi. Il faut ensuite délivrer les OAS pour qu’ils puissent parvenir facilement jusqu’aux cellules cibles et y pénétrer. »

L’étape cruciale de la formulation

Dans le cas d’Hsp27, l’enjeu était aussi de délivrer l’oligonucléotide au niveau des cellules tumorales, et d’épargner au mieux les cellules saines dans lesquelles la protéine est indispensable en cas de stress. Une compétence physicochimique et médicale est donc nécessaire. « Je travaille de concert avec Clément Paris*, spécialiste de la chimie des oligonucléotides, ainsi que David Taïeb**, médecin nucléaire. Réunir nos trois expertises dans un même laboratoire est assez inédit dans notre domaine. Cela nous permet de gagner énormément de temps en confrontant continuellement les impératifs liés à ces différentes dimensions nécessaires au transfert clinique », détaille la scientifique. Pour répondre à ces problématiques, des nanomicelles ont été développées par son équipe et celle de Philippe Barthélémy*** dans l’unité ARN : régulations naturelle et artificielle (Arna) à Bordeaux. Ces objets, qui ont été brevetés, sont capables d’être internalisés dans les cellules cancéreuses pour y délivrer l’OAS. Dans un second temps, ces nanomicelles ont été perfectionnées afin de délivrer sélectivement une combinaison de médicaments au niveau de la tumeur. Fortes de cette expertise internationale, Palma Rocchi et son équipe ont pour projet de créer une start-up afin de proposer un service de design, de synthèse et d’évaluation biologique de formulation d’OAS pour les chercheurs qui ne disposent pas de ces compétences. 

Des perspectives contre la Covid-19

« La recherche sur les acides nucléiques thérapeutiques est particulièrement active depuis une dizaine d’années et la lutte contre la Covid-19 bénéficie des connaissances engrangées depuis, ce qui explique l’accélération des innovations thérapeutiques », reconnaît la chercheuse. Avec un consortium international et multidisciplinaire de chercheurs, elle évoque le potentiel de ces approches dans la lutte contre la pandémie à travers deux revues de la littérature dans des journaux prestigieux : Molecular Cell et Trends in Biochemical Sciences. À commencer par les vaccins à ARNm qui utilisent un ARNm codant pour l’une des protéines structurales clés du virus qui induit une réaction immunitaire spécifique anti- SARS-CoV‑2. Du côté des OAS, les données sont plus expérimentales, mais l’existence d’OAS déjà commercialisés dans le traitement de certaines affections ophtalmologiques et génétiques métaboliques ou neuromusculaires, et les résultats préliminaires intéressants dans d’autres maladies infectieuses et virales rendent l’approche tangible. Les candidats mis au point par l’équipe de Palma Rocchi ont été confiés à des équipes partenaires pour des études précliniques. Ensuite, pourrait débuter l’étape de formulation, suivie de premiers essais cliniques. « On pourrait à terme développer des cocktails micellaires contenant des OAS contre plusieurs protéines virales afin de réduire le risque d’échappement du SARS-CoV‑2 et choisir des cibles peu sensibles aux mutations, afin de conserver leur efficacité contre les nouveaux variants », suggère-t-elle. 

Deux autres approches sont également étudiées dans la lutte contre la pandémie : les siRNA, de petits ARN interférents double brin qui modulent la synthèse de protéines, et les ciseaux à ADN CRISPR-Cas9 [prix Nobel de chimie en 2020, ndlr.]. Les premiers ont un mécanisme d’action comparable aux OAS : ils se fixent aussi sur l’ARNm et conduisent à son élimination. Ils ont donné des résultats encourageants dans des maladies hépatiques et génétiques. Les seconds ont un potentiel très élevé pour de nombreuses maladies génétiques. Dans le cadre de la pandémie, ils pourraient cibler directement le génome du coronavirus ou perturber l’expression des protéines de l’hôte qu’il utilise pour sa réplication. 

L’arsenal thérapeutique contre la pandémie pourrait donc rapidement s’étoffer, et le pronostic de la maladie s’améliorer en combinant par exemple des médicaments conventionnels et d’autres issus de ces nouvelles approches, telles des nanomicelles spécifiques, déjà développées et brevetées par les unités Inserm CRCM et Arna. 

Notes :
*unité 1068 Inserm/CNRS/Aix-Marseille université/Centre de lutte contre le cancer, groupe Nanoparticules et ciblage thérapeutique, Centre de recherche en cancérologie de Marseille
**CHU La Timone, Cerimed, Aix-Marseille université, département de médecine nucléaire
*** unité 1212 Inserm/CNRS/Université de Bordeaux, ARN : régulations naturelle et artificielle (Arna)