Mode d’emploi pour limiter les résistances aux antigrippaux

Haro sur l’utilisation des antiviraux oseltamivir et zanamivir en prévention, et respect du timing d’administration en cas d’infection grippale : telles sont les recommandations préconisées par des chercheurs de l’Inserm pour préserver l’efficacité de ces médicaments.

Voilà que certains virus de la grippe deviennent résistants aux antiviraux disponibles, réduisant à néant leur efficacité sur la durée et la sévérité des symptômes de l’infection. Si l’apparition de ces résistances est un phénomène naturel et inéluctable, leur importance peut être drastiquement limitée en manipulant habilement les médicaments… à condition de savoir comment. 

C’est ce qui a conduit une équipe Inserm* à simuler l’émergence de résistances à l’oseltamivir, (l’antiviral le plus utilisé en cas de grippe) en fonction des différences étapes de l’infection. L’objectif était de trouver le meilleur moyen de réduire le risque de résistance, tout en profitant du bénéfice de l’antiviral.

Un modèle sophistiqué

© Inserm, M. Rosa-Calatrava, E. Errazuriz Etude du virus de la grippe

Les chercheurs ont pour cela utilisé un modèle informatique conçu il y a deux ans pour reproduire la dynamique de l’infection chez les patients : vitesse d’introduction du virus dans les cellules, quantité de nouveaux virions produits par l’organisme, importance des symptômes, modulation par la réponse innée... Ce travail avait été réalisé à partir de données issues de patients sains, volontairement infectés par le virus dans le cadre d’essais cliniques destinés à tester des antiviraux. « Il s’agit de données réelles qui ont permis de tenir compte de la variabilité individuelle. Parfois la quantité de virus excrétée peut être très importante mais les symptômes rester très modestes, ou l’inverse », précise Fabrice Carrat, co-auteur de ces travaux. 

Ce modèle a donc été repris pour simuler l’apparition de résistances sous l’effet de l’oseltamivir. Les chercheurs l’ont programmé en estimant que des mutations survenaient à chaque réplication virale et qu’environ une de ces mutations sur un million touchait un gène impliqué dans la réponse au médicament, aboutissant alors à une résistance. « Grâce à cette méthode, nous avons pu simuler l’apparition discrète et aléatoire de résistance, en tenant compte de millions de cellules potentiellement infectées, de la présence de centaines de millions de virus et suivant le stade l’infection : réplication virale plus ou moins active, apparition de l’immunité acquise… « , explique le chercheur. 

Attention en prévention

Ce travail leur a permis de constater que le risque d’apparition d’une résistance est maximal si les antiviraux sont pris pendant la phase d’incubation de la grippe, c’est à dire juste après l’inoculation du virus dans l’organisme, avant l’apparition des symptômes. La réplication virale est alors très active, voire exponentielle. Elle s’accompagne donc d’un risque accru de mutations sous la pression de sélection exercée par l’oseltamivir. Ainsi, les personnes qui prennent de l’oseltamivir à faible dose en prévention de la grippe mais qui sont en réalité déjà infectées, risquent fort de voir apparaître ces résistances. Ce risque concernerait 20 à 25 % des personnes ainsi exposées, estime Fabrice Carrat. 

Pour les chercheurs, le médicament ne doit donc pas être pris en prévention, ou uniquement après avoir vérifié que le patient n’est pas déjà infecté. Et dans ce cas, il devra être pris à des doses équivalentes à celle du traitement. En outre, pour être efficace, l’oseltamivir doit être pris le plus tôt possible après l’apparition des symptômes. Le rythme des réplications est beaucoup plus faible à ce moment-là, ce qui limite le risque d’apparition et de diffusion des résistances. Passées 48h après l’infection, le médicament n’est plus efficace et il est donc inutile d’y avoir recours. 

Si les auteurs ont travaillé avec l’oseltamivir qui est le plus prescrit des antiviraux en cas de grippe, ces résultats s’appliquent potentiellement à l’ensemble des autres antiviraux pour lesquels des mutations de résistance peuvent être observées, notamment au zanamivir qui est également fréquemment utilisé. 

Note

* étude mise en œuvre par Laetitia Canini au sein de l’unité 1136 Inserm/Université Pierre et Marie Curie, Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique, Paris. 

Source

L. Canini et coll. Impact of Different Oseltamivir Regimens on Treating Influenza A Virus Infection and Resistance Emergence : Insights from a Modelling Study. PLoS Comput Biol 10(4): e1003568. doi:10.1371/journal.pcbi.1003568