Des microrobots à l’assaut des tumeurs cérébrales

Le glioblastome multiforme est un cancer du cerveau très agressif dont on ne peut véritablement guérir à l’heure actuelle. Mais demain, il sera peut-être soigné par des nanoparticules magnétiques dirigées à distance pour le détruire de l’intérieur.

Imaginez des microrobots qui, une fois injectés dans le sang, sont téléguidés vers le cerveau pour atteindre une tumeur cérébrale. Ils pénètrent alors dans les cellules cancéreuses et y déposent un traitement qui les détruit de l’intérieur. De la science-fiction ? Peut-être plus pour longtemps. Un tel projet vient en effet d’être sélectionné pour bénéficier d’un financement du plan Cancer de l’Inserm sur trois ans. Coordonné par Joël Eyer, directeur de recherche Inserm* à l’université d’Angers, il implique aussi deux équipes de l’Institut national des sciences appliquées (INSA) Centre-Val de Loire. Ensemble, ces chercheurs vont associer leurs savoir-faire afin de développer cette solution thérapeutique innovante contre le glioblastome multiforme. Faute de traitement efficace, ce type de cancer du cerveau très agressif réduit en effet à quinze mois en moyenne l’espérance de vie des quelques 3 000 personnes diagnostiquées chaque année en France. 

Un peptide très sélectif

Le peptide (en vert) dans la cellule de glioblastome (au centre) provoque une destruction du réseau de microtubules (en rouge) ©Inserm/EA 3143
Le peptide (en vert) dans la cellule de glioblastome (au centre) provoque une destruction du réseau de microtubules (en rouge) ©Inserm/EA 3143

L’origine de ce projet ambitieux remonte aux travaux de Joël Eyer et de son équipe sur des éléments essentiels du cytosquelette des neurones : les neurofilaments. Ces chercheurs ont notamment mis en évidence qu’un constituant de certains neurofilaments, un peptide composé d’une quinzaine d’acides aminés, pénètre les cellules de glioblastome in vitro mais aussi in vivo dans des modèles expérimentaux de ce cancer du cerveau. « Ce peptide s’introduit dans les cellules cancéreuses mais il ne pénètre pas dans les neurones sains, précise Joël Eyer. Nous avons alors eu l’idée de l’utiliser pour injecter des produits anticancéreux spécifiquement dans les cellules de glioblastome et ainsi épargner les tissus non touchés. » Dans ce but, les chercheurs ont développé des nanocapsules. Ces sortes de gélule de taille nanométrique – soit mille fois plus petite que l’épaisseur d’un cheveu – sont composées d’une enveloppe de lipides qui renferment des substances thérapeutiques. L’ajout du peptide à leur surface leur permet de pénétrer plus facilement les cellules du glioblastome. Des travaux sur des souris modèles de ce type de cancer ont d’ailleurs confirmé que lorsque ces nanocapsules présentent ce peptide à leur surface, un plus grand nombre d’entre elles pénètrent les cellules cancéreuses, ce qui réduit d’autant plus la taille des tumeurs de ces rongeurs. 

Aujourd’hui ce projet lauréat du plan Cancer de l’Inserm consiste à amener ces nanocapsules jusqu’au site de la tumeur dans le cerveau de manière peu invasive. C’est là qu’entre en jeu l’équipe de nanorobotique d’Antoine Ferreira de l’INSA Centre-Val de Loire de Bourges**. « Les systèmes robotisés que nous avons développés permettent en effet le contrôle du mouvement de particules magnétiques dans un fluide biologique », précise Antoine Ferreira. Fondés sur le principe de la résonnance magnétique, notamment exploité par l’imagerie médicale, leurs appareils utilisent des électroaimants pour faire varier finement un champ magnétique dans toutes les directions de l’espace et ainsi déplacer les particules aimantées qui s’y trouvent. L’équipe de Joël Eyer cherche donc à conférer des propriétés magnétiques aux nanocapsules qu’ils ont développées pour qu’elles puissent être téléguidées dans la circulation sanguine. Ce qui peut être fait en intégrant par exemple au cœur de celles-ci de la magnétite, un oxyde de fer naturellement aimanté. 

Par ailleurs, pour maximiser les chances de réussite, les chercheurs ne misent pas tout sur le même cheval. En parallèle, une équipe de l’INSA Centre-Val de Loire de Tours*** dirigée par Gaël Gautier développe en effet un autre type de nanoparticules à base de silicium poreux, un élément biocompatible qui se dissout lentement dans l’organisme. « Le silicium présente l’avantage d’être photoluminescent, ce qui permet de le localiser dans les tissus par une méthode non invasive », poursuit Gaël Gautier. Par ailleurs, « la surface de ce type de particules peut être facilement modifiée pour incorporer des molécules telles que le peptide découvert par l’équipe de Joël Eyer. » Et à l’image des nanocapsules lipidiques, leurs propriétés magnétiques peuvent être ajustées grâce à des particules de fer. 

Un guidage en temps réel 

Électroaimants utilisés pour téléguider les particules magnétisées dans les modèles expérimentaux du laboratoire de l’INSA Centre-Val de Loire de Bourges ©Inserm/Joël Eyer
Électroaimants utilisés pour téléguider les particules magnétisées dans les modèles expérimentaux du laboratoire de l’INSA Centre-Val de Loire de Bourges ©Inserm/Joël Eyer

« Les premiers tests de téléguidage de ces deux types de nanocapsules magnétisées devraient avoir lieu sur des rats en début d’année prochaine », poursuit Antoine Ferreira. Concrètement, le rongeur, placé au centre des électroaimants, se verra injecter les nanoparticules magnétiques par voie intraveineuse. Celles-ci seront alors guidées vers le cerveau le long d’une trajectoire dans le réseau sanguin préalablement cartographiée à l’aide d’IRM et de rayons X. Leur déplacement sera suivi en temps réel par échographie ou par fluorescence, ce qui permettra de rattraper les possibles erreurs de trajectoire. Une fois arrivées dans le cerveau, les nanocapsules devront traverser la barrière hémato-encéphalique, cette interface physiologique qui protège notre cerveau des substances toxiques et des agents pathogènes potentiellement présents dans le sang. « Il est possible d’échauffer localement les particules par résonnance magnétique, affirme le nanoroboticien. L’élévation de température occasionnée dilatera les pores de la barrière hémato-encéphalique, ce qui devrait faciliter le passage des nanocapsules. » Une fois passée cette barrière, elles devraient alors pénétrer préférentiellement dans les cellules du glioblastome pour y libérer les substances thérapeutiques qu’elles contiennent. 

Grâce à ces études sur des modèles expérimentaux, les chercheurs sauront prochainement si ces microrobots pourront remplir pleinement leur mission. Dans ce cas, le degré de toxicité du peptide devra alors être établi avant d’envisager des essais cliniques. D’ici trois années, pense Joël Eyer, qui espère ainsi apporter sa contribution au combat contre ce cancer. Mais pas seulement. Car si ce concept fait ses preuves, il pourra trouver de nombreuses applications en médecine, par exemple dans la lutte contre la maladie d’Alzheimer ou encore dans la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC).

Un article à retrouver dans le prochain numéro du Magazine de l’Inserm

Notes

*unité 1066 Inserm/CNRS/Université d’Angers – CHU d’Angers, Micro et nanomédecines translationnelles (MINT)

**équipe d’accueil 4229/INSA Centre-Val de Loire de Bourges/Université d’Orléans, Laboratoire pluridisciplinaire de recherche en ingénierie des systèmes, mécanique, énergétique (PRISME)

***UMR 7347 CNRS/INSA Centre-Val de Loire de Tours/Université François Rabelais de Tours, Matériaux, microélectronique, acoustique, nanotechnologies (GREMAN)

Sources

R. Berges et coll. Molecular Therapy, 10 avril 2012 ; doi : 10.1038/mt.2012.45

J. Balzeau et coll. Biomaterials, 4 février 2013 ; doi : 10.1016/j.biomaterials.2013.01.068