Maladies transmissibles : Faut-il toujours orienter la prévention vers les personnes les plus à risque ?

Les stratégies de prévention ciblées sur les individus les plus à risque demandent des moyens et des infrastructures aptes à atteindre ces populations. Dans le cas du VIH, ces conditions peuvent être difficiles à réunir dans les pays à ressources limitées ou ceux où la population infectée est stigmatisée. Des chercheurs ont voulu savoir si, dans ces conditions, élargir l’accès à la prévention ne serait pas une alternative plus efficace.

La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est un traitement médicamenteux prophylactique qui vise à prévenir l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) chez les personnes qui sont exposées à un haut risque d’infection. Elle est schématiquement recommandée à la communauté des hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HSH), car ils sont plus à risque d’être en contact avec le virus. Mais beaucoup de questionnements ont encadré sa commercialisation, et notamment celui de sa population cible : la PrEP doit-elle être proposée à tous les HSH ou seulement à ceux qui sont les plus exposés au risque d’infection ? Car l’objectif n’est pas uniquement de proposer une protection à l’échelle individuelle, mais aussi de mieux contrôler l’épidémie à l’échelle de la population.

L’équipe d’Eugenio Valdano*, épidémiologiste spécialisé dans les maladies infectieuses transmissibles, a modélisé la question. Et la réponse des chercheurs n’est pas univoque : « Notre travail indique que plus l’efficacité des moyens de prévention disponibles s’éloigne de 100 %, plus il est pertinent d’élargir la population cible », résume Eugenio Valdano. Or, beaucoup de pays ne proposent la PrEP qu’aux HSH qui prennent le plus de risque. Le bénéfice sur le plan de la santé publique ne serait donc pas optimal.

La complexité des politiques publiques de prévention

« En matière de prévention, la priorité est le plus souvent de proposer les moyens disponibles (vaccins, médicaments) à ceux qui courent le plus grand risque d’exposition. Par ailleurs, ces personnes sont généralement aussi celles qui ont le plus de risque de transmettre le virus une fois contracté. Ce qui peut réellement survenir si les outils de prévention utilisés n’ont pas une efficacité optimale », explique le chercheur. Or c’est le cas avec le VIH : l’efficacité de la PrEP varie parmi les populations, notamment en fonction de son observance. « En étudiant l’interaction entre l’efficacité des méthodes de prévention et les caractéristiques épidémiologiques de la population ciblée – comme le taux d’infection par le VIH ou le taux de personnes dont l’infection est traitée –, on peut calculer s’il faut prioriser les personnes à haut risque ou si cette approche n’est pas la bonne. »

Pour conduire ses travaux, le chercheur utilise des outils standards de modélisation informatique et mathématique, mais également des programmes dédiés à l’étude des systèmes complexes qui sont placés sous l’influence de très nombreux paramètres et dont l’évolution est difficilement prévisible par des modèles « simples ». Il s’agit des mêmes méthodes que celles employées pour étudier le dérèglement climatique ou les mouvements de foule. Pour cette étude, le chercheur a utilisé des données relatives à des communautés de HSH de 58 pays et a modélisé l’efficacité des différentes stratégies de diffusion de la PrEP possibles. Au bout du compte, il apparaît donc qu’il ne peut y avoir d’approche unique : si tous les paramètres sont en faveur d’une efficacité globale très élevée des moyens de prévention disponibles, il est pertinent de réserver la PrEP à des personnes cibles particulièrement à risque. En revanche, si cette efficacité est plus réduite, il est préférable de la proposer plus largement. « Par exemple, dans un pays à ressources limitées ou dans un pays où la population cible est fortement stigmatisée, lorsque le taux de circulation du virus est élevé et que l’accès aux traitements contre le VIH est faible, la PrEP ne peut être réservée aux HSH à haut risque : élargir la population cible à des personnes moins à risque évite davantage d’infections, et ne risque pas d’augmenter sa stigmatisation. Et d’un point de vue de santé publique, cette stratégie est plus simple à mettre en œuvre », précise le chercheur.

Le modèle développé par Eugenio Valdano offre aussi un moyen d’appréhender les futures dynamiques : si dans ces mêmes pays l’utilisation de la PrEP devient plus régulière, ou si des formulations à longue durée d’action sont disponibles et améliorent l’observance du traitement, l’efficacité globale de la PrEP pourrait être modifiée, ce qui inviterait les décideurs à repenser leur stratégie initiale de diffusion de la PrEP.

Optimiser la prévention d’autres infections

Le même type d’approche peut être appliqué à l’optimisation de la prévention de toutes les infections virales, dès lors que les données sur les modes de contamination, les modes de prévention existants, l’efficacité des traitements ou les comportements de population sont disponibles. Cela nécessite cependant d’intégrer des paramètres spécifiques pour chaque pathogène considéré : « Par exemple, concernant le SARS-CoV‑2 un tel modèle devrait notamment intégrer la notion de formes graves, qui est absente dans notre modélisation relative à la PrEP. Pour ma part, je souhaite appliquer une approche comparable afin d’évaluer le bénéfice des vaccins contre le paludisme, qui viennent d’être recommandés chez les enfants des pays où cette maladie est endémique. »

Le chercheur compte aussi poursuivre ses travaux autour du VIH : « Je veux évaluer si les préconisations faites à la communauté des HSH sont pertinentes pour les travailleurs du sexe. Chez les premiers, les contaminations se font essentiellement “en vase clos”, alors que les seconds sont au contact de clients issus d’une population à risque moindre, qui peuvent ensuite devenir vecteurs d’infections dans la population générale. Le modèle est donc plus complexe. » La question des autres infections sexuellement transmissibles (IST) mérite aussi d’être explorée : « Être infecté par d’autres maladies, comme la syphilis ou la gonorrhée, augmente le risque de contracter le VIH. Dès lors, il serait intéressant de bâtir un modèle qui engloberait aussi ces infections. » Ces études, globales et transversales, peuvent aider à proposer des approches de prévention davantage réalisables et plus efficaces, pour la santé individuelle et collective.

Note :
*unité 1136 Inserm/Sorbonne Université, équipe Surveillance et modélisation des maladies transmissibles, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (IPLESP)

Source : B Steinegger et coll. Non-selective distribution of infectious disease prevention may outperform risk-based targeting. Nature Comm, publié le 31 Mai 2022. Doi:10.1038/s41467-022–30639‑3

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