Maladie de Crohn : vers un nouveau moyen de limiter l’inflammation intestinale

A Clermont-Ferrand, des chercheurs viennent de découvrir la voie par laquelle les cellules épithéliales intestinales se défendent contre des bactéries, les AIEC, impliquées dans la maladie de Crohn. Surreprésentées chez environ 40% des patients, ces souches provoquent et entretiennent une réponse inflammatoire majeure, propice à la maladie.

En montrant comment les cellules épithéliales intestinales empêchent des bactéries pro-inflammatoires de se multiplier, des chercheurs d’une unité Inserm* de Clermont-Ferrand viennent d’ouvrir une nouvelle piste thérapeutique pour lutter contre la maladie de Crohn.

La maladie de Crohn est due à une réaction immunitaire exacerbée contre des bactéries de la flore intestinale. Elle dépend à la fois de facteurs génétiques, environnementaux et microbiens. La composition de la flore intestinale semble notamment jouer un rôle important dans la pathogenèse. Ainsi, près de 40% des patients présentent une surpopulation de bactéries E. coli nommée AIEC (pour Adherent-Invasive Escherichia coli), contre seulement 6% des individus de la population générale. Or, ces bactéries ont la capacité de traverser le mucus qui tapisse la paroi intestinale et d’envahir les cellules épithéliales qui constituent cette paroi. Cela provoque une réponse immunitaire forte, avec la production de plusieurs médiateurs d’inflammation qui contribuent à la maladie. 

L’autophagie, mécanisme clé pour se défendre des AIEC

Pour se défendre contre cette invasion, les cellules épithéliales intestinales déclenchent un mécanisme d’autophagie, consistant à repérer la bactérie qui s’est introduite et à l’isoler dans une vacuole qui, en fusionnant avec le lysosome, entraine la dégradation du pathogène. Une réaction précieuse pour lutter contre l’inflammation associée à cette infection. Seulement voilà, les chercheurs ne comprenaient pas comment ce mécanisme était activé… 

Pour le découvrir, ils ont travaillé sur des cellules en culture et des modèles murins infectés par une souche AIEC. Mais surtout, ils ont étudié le rôle d’une voie de signalisation déjà utilisée par ces cellules pour se défendre d’autres bactéries intestinales, à savoir Shigella et Salmonella. Le fonctionnement de cette voie est moins complexe que la prononciation son nom (EIF2AK4-EIF2A/eIF2α-ATF4 !) : « En cas d’infection par Shigella ou Salmonella, une carence en acides aminés active le facteur de transcription ATF4, qui provoque lui-même l’expression de gènes impliqués dans l’autophagie, explique Hang Nguyen, responsable de ces travaux. Nous avons voulu savoir si cette même voie était impliquée dans la lutte contre les AIEC ».

En procédant à différentes expériences, les chercheurs ont constaté que le fait d’inhiber la voie EIF2AK4-EIF2A/eIF2α-ATF4 entraine une augmentation considérable de la prolifération intracellulaire des bactéries AIEC dans les cellules épithéliales. A l’inverse, la stimuler empêche les bactéries de se multiplier. Ils ont ensuite étudié le niveau d’activation de cette voie dans des biopsies de patients : elle s’est avérée inactivée dans les zones enflammées du tissu intestinal et, au contraire, en bon état de marche dans les zones non enflammées. 

Vers une piste diagnostique et thérapeutique

Moduler le niveau de cette réponse autophagique chez les patients porteurs de bactéries AIEC pourrait donc aider à contrôler l’inflammation. L’idée n’est d’ailleurs pas totalement nouvelle. « De précédents travaux ont montré qu’une protéine appelée mTOR régule négativement l’autophagie. Il pourrait être intéressant d’inhiber cette molécule chez les patients, mais elle a de nombreuses autres fonctions régulatrices dans l’organisme : nous pouvons donc nous attendre à de nombreux effets indésirables. Cette fois, nous montrons qu’une voie spécifique à l’infection par des AIEC peut être activée pour augmenter la réponse autophagique, indépendamment de mTOR », clarifie la chercheuse. 

Celle-ci se penche déjà sur la piste des acides aminés (éléments constitutifs des protéines), des acteurs centraux de la régulation de la voie EIF2AK4-EIF2A/eIF2α-ATF4. « Nous avons déjà constaté que des déficits protéiques sont associés à la maladie de Crohn. J’aimerais donc vérifier si le profil en acides aminés dans le sang périphérique des patients est corrélé à ces mécanismes d’autophagie et s’ils pourraient éventuellement servir d’outil thérapeutique pour moduler ces derniers », conclut la chercheuse. 

Note

*M2iSH, unité 1071 Inserm/Inra/Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand 

Source

A Bretin et coll. Activation of the EIF2AK4-EIF2A/eIF2α-ATF4 pathway triggers autophagy response to Crohn disease-associated adherent-invasive Escherichia coli infection. Autophagy, édition en ligne du 17 mars 2016