Maladie de Crohn : une arme bactérienne dévoilée

Certaines bactéries de la flore intestinale produisent une protéine qui leur permet de traverser le mucus intestinal, pour infecter les cellules sous-jacentes et accroitre l’inflammation chez les personnes atteintes par la maladie de Crohn. Inhiber cette protéine pourrait donc constituer une nouvelle voie thérapeutique.

Une enzyme bactérienne pourrait bien devenir la cible d’un futur traitement contre la maladie de Crohn. Une équipe Inserm vient en effet de montrer qu’une souche particulière d’Escherichia coli produit une protéine capable de dégrader le mucus intestinal pour le traverser plus facilement. Ces bactéries parviennent ainsi à infecter les cellules du côlon ou de l’iléon (dernier segment de l’intestin grêle), générant une forte inflammation intestinale. 

Des propriétés d’adhésion et d’invasion exceptionnelles

La maladie de Crohn est pathologie inflammatoire chronique de l’intestin due à une réaction immunitaire exacerbée contre des bactéries de la flore intestinale. Une prédisposition génétique est impliquée dans ce dérèglement, mais la composition de la flore intestinale semble également participer à la survenue de la maladie : on observe en effet une surreprésentation de certaines souches bactériennes chez les patients qui en sont atteints. C’est par exemple le cas d’une souche d’E. coli nommée AIEC (pour Adherent-invasive Escherichia coli), présente chez au moins 40% des malades. Identifiée à la fin des années 90, cette souche est capable de traverser le mucus qui tapisse les parois de l’intestin. Le mucus intestinal constitue pourtant normalement une barrière de protection qui empêche les agents infectieux de parvenir aux cellules intestinales. Les AIEC atteignent malgré tout ces dernières, déclenchant une réaction immunitaire ainsi qu’une inflammation exacerbée qui contribue aux symptômes de la maladie. 

Une enzyme clé

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© Inserm, M. Gauthier Bacilles coliformes : Escherichia Coli, entérobactérie, hôte normal du tube digestif. Escherichia Coli a été très utilisée par les généticiens. Certaines souches peuvent être pathogènes (infections urinaires).

Les chercheurs ont voulu savoir comment cette souche bactérienne parvenait à cette prouesse. Pour cela, ils sont partis des connaissances relatives à des pathogènes intestinaux qui traversent également le mucus : Shigella, bactérie responsable de la shigellose, ou encore Vibrio cholerae, l’agent du choléra. Ces bactéries secrètent des enzymes appelées mucinases, qui dégradent des molécules constituant le mucus (les mucines). Les chercheurs ont voulu savoir si les AIEC produisaient elle-aussi une telle enzyme. 

Ils ont donc étudié leur génome, en quête d’analogies de séquences évoquant la présence d’un gène codant pour une mucinase. Cette stratégie s’est révélée payante : un gène répondant aux critères recherché a été identifié et sa fonction testée : lorsque le gène en question est expérimentalement supprimé du génome des bactéries, ces dernières perdent leur capacité à dégrader le mucus intestinal. D’autres expériences ont permis de confirmer le rôle de ce gène, baptisé Vat-AIEC.

Une nouvelle cible thérapeutique

« L’enzyme codé par Vat-AIEC contribue à la virulence de souches d’E. coli pathogènes, et pas seulement à celle des AIEC, puisque nous avons retrouvé ce gène chez la moitié des E. coli responsables d’infections urinaires », précise Julien Delmas*, coauteur des travaux. 

Le chercheur entend donc s’attaquer frontalement à cette enzyme, pour tenter de bloquer son action et ainsi de réduire l’inflammation induite par les bactéries qui la produisent. « Il est tout à fait envisageable d’inhiber cette mucinase, car elle est facilement accessible dans le milieu extracellulaire et n’est pas indispensable à la survie des bactéries. La bloquer ne modifiera pas l’équilibre de l’écosystème intestinal et n’entrainera pas d’apparition de résistance comme avec les antibiotiques », poursuit le chercheur. « Maintenant, l’idée est donc de développer une famille d’inhibiteurs de mucinases. Il faut pour cela cribler des banques de molécules, par bio-informatique, à la recherche de candidats spécifiques. Ce projet est en cours », conclut-il.

Note

*Unité 1071 Inserm/Inra/Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand 

Source

L Gibold et coll. The Vat-AIEC protease promotes crossing of the intestinal mucus layer by Crohn’s disease-associated Escherichia coli. Cell Microbiol, édition en ligne du 24 octobre 2015