Maladie d’Alzheimer : la protéine Tau serait aussi impliquée dans les troubles métaboliques

Quelles sont exactement les fonctions assurées par la protéine Tau, dont l’accumulation sous forme anormale est incriminée dans de nombreuses démences, dont la maladie Alzheimer ? Des travaux récents renforcent l’idée qu’en dehors de son rôle structural déjà connu, la protéine Tau serait aussi impliquée dans les effets de l’insuline au niveau du cerveau, indispensable à la mémoire et à l’homéostasie glucidique.

Dans la maladie d’Alzheimer, deux phénomènes pathologiques cérébraux sont bien décrits : l’accumulation de peptides béta-amyloïdes et la transformation de Tau, protéine de structure, en des formes anormalement phosphorylées et agrégées. Ensemble, elles favorisent progressivement la dégénérescence neuronale, la perte de la mémoire et des fonctions exécutives. Mais derrière ce constat, plusieurs questions persistent, et notamment celle de la fonction exacte de la protéine tau : est-ce la toxicité de ses formes phosphorylées et agrégées, ou bien la perte d’une de ses fonctions physiologiques qui explique le phénomène pathologique ? 

David Blum et Luc Buée, directeurs de recherche au Centre de recherche Jean Pierre Aubert* (Lille), consacrent leur travail à l’étude de la maladie d’Alzheimer et des autres pathologies neurodégénératives associées à la protéine Tau, appelées tauopathies. Avec plusieurs autres équipes** Inserm et internationales***, ils viennent de décrire l’impact direct de la protéine Tau sur la sensibilité du tissu cérébral à l’insuline. « Le mécanisme que nous avons décrit permet d’apporter un nouvel éclairage sur les manifestations de la maladie d’Alzheimer et d’envisager un nouvel angle d’attaque pour limiter les troubles cognitifs et la démence propres à la maladie ».

Au cœur de la relation entre insuline et mémoire 

La protéine Tau a surtout été décrite comme une protéine jouant un rôle dans la structure des neurones et le maintien de leurs réseaux de transport interne. Mais cette protéine dévoile progressivement d’autres propriétés, comme l’expliquent les scientifiques : « Dans des modèles animaux n’exprimant pas Tau, la réponse à l’insuline est réduite et la plasticité cérébrale, indispensable à la qualité de la mémoire, est diminuée. Certains travaux sur les tauopathies ont décrit une résistance du tissu cérébral à l’insuline. Or, au-delà de sa fonction bien connue sur la régulation glucidique en périphérie, l’insuline est également indispensable à la plasticité dans le cerveau. Il était donc intéressant de comprendre précisément les mécanismes biologiques derrière cette association »

Légende : Dans la maladie d’Alzheimer, et d’autres démences, l’agrégation de la protéine Tau induit une dégénérescence neurofibrillaire dans les neurones.

L’étude que les chercheurs viennent de publier dans le Journal of Experimental Medicine décrit l’importance de Tau dans cette homéostasie cérébrale : « L’hippocampe, qui joue un rôle important dans la mémoire, est largement touché dans la maladie d’Alzheimer. Nous avons montré que cette région cérébrale présente une réponse anormale à l’insuline chez la souris déficiente en Tau. De plus, nos travaux ont permis de montrer que l’hypothalamus pouvait aussi être affecté : celui-ci permet normalement d’envoyer un signal anorexigène lorsqu’il est stimulé par l’insuline. L’absence de protéine Tau le rendrait insensible à l’effet de cette hormone, augmentant la prise alimentaire et les troubles de l’homéostasie glucidique en périphérie »

Ces deux phénomènes semblent éclairer certaines observations cliniques : « Les malades d’Alzheimer présentent une résistance de leur cerveau à l’insuline et, souvent, des troubles de l’homéostasie du glucose en périphérie ». Alors que de nombreuses études se sont intéressées au lien entre métabolisme et le risque de développer la maladie d’Alzheimer, cette étude permet de mieux comprendre un lien mutuel et mal connu entre maladie d’Alzheimer et troubles métaboliques. 

Les travaux doivent maintenant se poursuivre : « Nous avons décrit les phénomènes anormaux liés à l’absence de Tau. Nous devons maintenant vérifier si les mêmes se produisent lorsque la protéine Tau est anormale. Si tel est bien le cas, il serait ensuite possible de réfléchir aux moyens d’agir sur les voies de régulation moléculaire que nous avons décrites derrière la perte de sensibilité à l’insuline. L’idée étant de pouvoir la rétablir, de maintenir la plasticité cérébrale et donc d’éviter les troubles de la mémoire qui sont associés à la maladie d’Alzheimer ou à d’autre tauopathies »

Notes

Ce travail a bénéficié du soutien de France Alzheimer/Fondation de France, de la Fédération Hospitalo-Universitaire VasCog et du LabEx DISTALZ. 

* unité Inserm 1172, Centre de recherche Jean Pierre Aubert, Equipe Alzheimer et Tauopathies, Lille
** unité Inserm 1011 (EGID, Lille), Unité Inserm 1016 (Institut Cochin, Paris), Unité Inserm 1167 (RID AGE, Lille)
*** Laboratory of Biological Psychology (KU Leuven, Belgium), Department of Experimental Neurodegeneration (University Medical Center, Goettingen, Germany) 

Source

E. Marciniak et coll. Tau deletion promotes brain insulin resistance (2017) The Journal of Experimental Medicine, 26 juin 2017.