La réponse cardiaque à l’écoute d’un récit serait prédictive de l’état de conscience

Face à un patient atteint de troubles aigus de la conscience comme le coma, les cliniciens ont besoin d’outils d’évaluation pour prédire ses chances de récupération. En étudiant l’impact sur le corps de récits écoutés, une équipe Inserm a constaté une association entre synchronisation de la fréquence cardiaque et compréhension du texte entendu. Cette synchronisation pourrait devenir un marqueur du niveau de conscience de certains patients.

Évaluer les chances de récupération de la conscience de personnes dans le coma, tout simplement en leur lisant un texte à haute voix ? C’est la piste étudiée par Jacobo Sitt* et son équipe de l’Institut du cerveau à Paris, en collaboration avec deux équipes au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Ce chercheur travaille depuis plusieurs années auprès de personnes dans le coma ou en état de conscience minimale suite à un accident grave. Il développe des outils pour évaluer le niveau de conscience de ces patients et prédire leurs chances de récupération. Alors que de nombreux travaux ont déjà porté sur le fonctionnement cérébral et puisque celui-ci contrôle la fonction cardiaque, Jacobo Sitt a voulu vérifier si cette dernière pouvait être un indicateur de l’état de conscience. Pour cela, le chercheur et ses collaborateurs ont réalisé différentes expériences en utilisant comme stimulus la narration, c’est-à-dire la lecture d’un texte à haute voix.

En premier lieu, la fréquence cardiaque de plusieurs volontaires en bonne santé a été enregistrée pendant qu’ils écoutaient un passage de Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. Les chercheurs ont constaté la synchronisation du rythme cardiaque de tous les participants : la fréquence des battements de leur cœur montait ou baissait aux mêmes moments du récit. Si les participants écoutent des histoires différentes, cette synchronisation n’apparaît pas : « Ce phénomène semble se produire uniquement quand des individus comprennent une histoire de la même façon, probablement parce que le cerveau fait des prédictions, et que cela génère des signaux similaires qui se répercutent sur la fonction cardiaque des personnes qui écoutent la même chose », explique Jacobo Sitt.

Synchronisation et compréhension

Dans une seconde série d’expériences, les volontaires écoutaient toujours un même texte, mais l’attention de certains était distraite : ils devaient compter à rebours pendant la lecture. Dans ce cas, la synchronisation ne se faisait pas. Une observation qui suggère qu’un engagement dans l’histoire, une compréhension du texte et une conscience de celui-ci sont nécessaires pour que la synchronisation ait lieu.

Ensuite, les chercheurs ont comparé les niveaux de synchronisation observés avec la capacité de mémorisation du texte par les volontaires. Ils ont constaté une corrélation entre les deux : quand une personne est distraite et que sa fréquence cardiaque ne se synchronise pas sur celle des autres participants, elle se rappelle moins bien les détails de l’histoire. Inversement une bonne synchronisation, révélatrice d’une attention soutenue et d’une bonne compréhension du texte, est associée à une bonne mémorisation.

En dernier lieu, les chercheurs ont soumis aux mêmes tests des patients qui souffrent de troubles de la conscience (coma, état végétatif ou état de conscience minimale), pris en charge à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Dans la grande majorité des cas, même sans distraction, leur fréquence cardiaque ne se synchronisait pas sur celle d’individus en bonne santé, attestant du fait que leur engagement et leur compréhension de l’histoire ne sont pas au même niveau que celles des personnes « pleinement conscientes ». Toutefois, cette synchronisation a eu lieu chez deux malades. Or l’un d’eux a récupéré un état de conscience satisfaisant dans les semaines qui ont suivi. En outre, chez ces deux personnes, l’IRM révélait un meilleur état de préservation des connexions neuronales que chez les autres.

« Ces observations sont très intéressantes car elles suggèrent que le niveau de synchronisation de la fréquence cardiaque à la lecture d’un texte pourrait être un indicateur du niveau de conscience et de la capacité de récupération d’un malade. Il faut évidemment confirmer ces résultats, mais cela nous encourage à poursuivre le développement de cette approche dans l’évaluation des patients. Elle a en effet l’énorme avantage d’être facilement reproductible et réalisable partout, sans équipement technique », conclut Jacobo Sitt.

Synchronisation interindividuelle du rythme cardiaque : un nouveau signe de l’état de conscience – Interview de Jacobo Sitt – 3 min 38 – Institut du cerveau, 2021

Note :
*unité 1127 Inserm/CNRS/Sorbonne Université, équipe PICNIC – Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle, Institut du cerveau, Paris

Source : P. Pérez et coll. Conscious processing of narrative stimuli synchronizes heart rate between individuals. Cell Rep du 14 septembre 2021. doi : 10.1016/j.celrep.2021.109692.

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