Horloge biologique : Quand nos rythmes influent sur notre santé

Des liens entre les dysfonctionnements de nos rythmes biologiques et certaines maladies métaboliques sont bien établis. Pour mieux saisir les mécanismes à l’œuvre, des chercheurs auscultent ce qu’il se passe à l’échelle moléculaire, là où nos horloges biologiques sont finement régulées. En ligne de mire : le développement de la chronopharmacologie.

Un article à retrouver dans le n°48 du magazine de l’Inserm

« Tic-tac-tic-tac » : ce bruit, nous ne l’entendons pas, mais notre organisme possède pourtant sa propre horloge interne. Grâce à elle, notre température corporelle est plus basse le matin qu’en journée. Si notre mémoire se consolide mieux pendant la nuit, c’est aussi de son fait. « Cette horloge permet à notre organisme d’anticiper les changements quotidiens prévisibles comme par exemple l’alternance jour/nuit afin d’optimiser les fonctions métaboliques ou immunitaires en les autorisant aux moments les plus propices », explique Hélène Duez1, de l’institut Pasteur de Lille. Ce rythme circadien, d’environ 24 heures, est parfois malmené : sa dérégulation peut entraîner la survenue de maladies métaboliques comme le diabète ou l’obésité, des maladies cardiovasculaires, des troubles immunologiques et certains cancers. « Le fonctionnement de nos sociétés modernes (travail nocturne ou en horaires décalés, prises alimentaires et exposition à la lumière en soirée ou la nuit, temps de sommeil réduit) ne correspond plus à nos rythmes circadiens intrinsèques, ce qui accroît le risque de développer ces maladies », constate la chercheuse. Bien qu’ils aient identifié les liens entre problèmes de rythme et certaines pathologies, les chercheurs connaissent moins les mécanismes moléculaires à l’œuvre. Or ceux-ci pourraient ouvrir la voie à une nouvelle ère dans les traitements : la chronopharmacologie – où comment améliorer la prise en charge thérapeutique des patients en les soignant au « bon » moment. 

Remettre les pendules à l’heure

À Lille, Hélène Duez est spécialiste de la protéine Rev-erbα. « Au niveau moléculaire, notre horloge fait intervenir plusieurs facteurs de transcription : ce sont des molécules qui régulent la première étape de lecture de l’ADN, la transcription, qui permet de transformer l’ADN en ARN avant qu’il soit ensuite traduit en protéines », décrit la chercheuse. Rev-erbα est l’un de ces facteurs de transcription et a la capacité de se lier à et de mettre en silence certains gènes à des moments précis de la journée. « Notre idée est de déterminer si nous pouvons, et si oui comment, réguler une protéine comme Rev-erbα afin de réparer un éventuel déphasage de l’horloge interne et de restaurer un rythme circadien normal – et par là améliorer les états pathologiques créés par ces dysfonctionnements », avance la spécialiste. L’équipe lilloise a ainsi déjà montré que la manifestation et la gravité de certaines maladies inflammatoires dépendaient de l’heure à laquelle elles surgissaient. C’est le cas de l’hépatite fulminante, provoquée par un surdosage en paracétamol, et qui peut aboutir à une dégradation rapide des tissus du foie du fait d’une inflammation excessive. « Ce phénomène inflammatoire suit un rythme circadien chez la souris : il est plus intense à certains moments de la journée qu’à d’autres : quand la protéine Rev-erbα est produite, elle atténue la réponse inflammatoire et prévient l’apparition de l’hépatite fulminante », décrit la scientifique. Étape suivante : la recherche d’une molécule capable d’augmenter l’action de Rev-erbα afin de traiter les victimes d’hépatite fulminante, mais aussi d’autres maladies caractérisées par un emballement de la réponse inflammatoire, comme la péritonite, le diabète ou l’athérosclérose.

L’horloge du foie…

L’équipe de Franck Delaunay2, à l’Institut de biologie Valrose à Nice, travaille sur la stéatose hépatique, une maladie caractérisée par une accumulation de graisses dans les cellules du foie. « Cet organe est un carrefour de la rythmicité de notre organisme : ses propres cellules, les hépatocytes, fonctionnent comme des horloges elles-mêmes contrôlées par l’horloge centrale de notre organisme », explique-t-il. Avec ses collaborateurs, il s’intéresse à KLF10, un autre facteur de transcription. Ils ont montré que des souris mâles déficientes en KLF10 étaient hyperglycémiques – elles possèdent un taux de glucides dans le sang trop élevé –, et que les femelles dépourvues du même facteur étaient hypertriglycéridémiques – elles présentent un excès de certains acides gras, les triglycérides. « KLF10 est une sorte de timer au niveau du foie, analyse le spécialiste. Quand il fonctionne bien, le métabolisme des glucides et des lipides est normal. En son absence, il dysfonctionne – ce qui peut aboutir à l’apparition de maladies métaboliques. Lorsque le foie est agressé, comme dans la stéatose hépatique, certaines cellules meurent. Si la protéine KLF10 est absente, c’est encore plus marqué. » Sur ces bases, les hypothèses des chercheurs fourmillent : une alimentation restreinte dans le temps, de type jeûne intermittent, influencée par la rythmicité d’expression de KLF10, pourrait-elle prévenir le développement d’anomalies métaboliques ? « Nous n’en sommes pas encore aux traitements, souligne le chercheur. Mais on peut déjà appliquer ces connaissances au diagnostic, par exemple en dosant les enzymes hépatiques, marqueurs de certains désordres métaboliques, le matin et non l’après-midi, quand elles sont moins synthétisées. »

… et celle des yeux

À l’Institut cellules souches et cerveau de Lyon, l’équipe d’Ouria Dkhissi-Benyahya3 se focalise sur nos yeux – des organes essentiels pour comprendre nos rythmes circadiens car ils captent l’information lumineuse du soleil, qui permet de caler notre horloge interne sur un cycle de 24 heures. « La rétine participe au fonctionnement de l’horloge centrale de notre corps mais elle possède aussi, comme le foie et d’autres organes, sa propre horloge interne, précise la chercheuse. Les cellules rétiniennes sensibles à la lumière, comme les cônes, les bâtonnets et les cellules ganglionnaires à mélanopsine, participent au rephasage de l’horloge centrale. Sont-elles aussi impliquées dans cette horloge interne ? » Les chercheurs ont découvert qu’il n’en était rien : seuls les bâtonnets y participent, et alors que l’horloge centrale réagit à de faibles quantités de lumière, le niveau d’intensité lumineuse doit être élevé pour influencer l’horloge rétinienne. « De nombreuses maladies de l’œil affectent les photorécepteurs : c’est le cas des glaucomes, avec les cellules ganglionnaires, ou de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), avec les bâtonnets », explique la spécialiste. En comprenant mieux comment fonctionnent ceux-ci, les scientifiques espèrent identifier quelles dérégulations des deux horloges, centrale et rétinienne, pourraient entraîner ces pathologies. « Pour la DMLA, peu d’ophtalmologistes posent la question de savoir si le malade a un bon sommeil, et donc si ses rythmes circadiens sont bien calés – alors qu’un lien a déjà été démontré », explique Ouria Dkhissi-Benyahya. Quid des traitements ? « Ils ne sont pas encore là, mais on espère, à terme, pouvoir rétablir le fonctionnement altéré des horloges centrale et rétinienne, à l’origine de maladies qui affectent la vision mais aussi l’humeur, et ce en jouant sur les photorécepteurs et les voies de transmission de l’information lumineuse », envisage-t-elle. 

Notes :
1 : unité 1011 Inserm/Institut Pasteur Lille/Université de Lille/CHRU Lille, équipe Récepteurs nucléaires et rythmes circadiens

2 : unité 1091 Inserm/CNRS/Université Côte d’Azur, Institut de biologie Valrose, équipe Biologie du système circadien

3 : unité 1208 Inserm/ Université Claude Bernard Lyon 1, Institut Cellules souches et cerveau, équipe Chronobiologie et troubles affectifs