Hépatite B : un score fondé sur les comportements pour prédire le risque de cancer du foie

L’hépatite B chronique est un facteur de risque majeur de cancer du foie. Cependant, évaluer le risque individuel de chaque patient reste un défi en pratique clinique. Pour y répondre, des chercheurs français ont développé un score prédictif innovant, qui combine des facteurs comportementaux et des paramètres biologiques simples, disponibles lors du suivi médical habituel.

L’hépatite B chronique touche près de 250 millions de personnes dans le monde. Or cette maladie infectieuse, causée par le VHB (virus de l’hépatite B),est un facteur de risque majeur de carcinome hépatocellulaire (CHC), la forme la plus courante de cancer du foie. S’il est possible d’anticiper la survenue de cette complication et de proposer des mesures de suivi adaptées, encore faut-il pouvoir identifier les patients les plus à risque.

Dans ce type de situation, les professionnels de santé utilisent souvent des outils appelés « scores prédictifs » pour évaluer la probabilité qu’un patient donné développe une pathologie. L’hépatite B ne fait pas exception : « Il existe plus d’une trentaine de scores prédictifs du développement d’un cancer hépatique chez les patients infectés par le VHB, mais la majorité d’entre eux repose sur des données biologiques qui nécessitent des analyses complexes, comme la recherche d’une mutation génétique ou le dosage d’un marqueur sanguin spécifique », explique Clémence Ramier, doctorante en santé publique au Sesstim à Marseille. De ce fait, le recours à ces scores est rare, cantonné aux services d’hépatologie ou à la recherche clinique. Aussi, « notre objectif était de concevoir un score qu’il est possible de calculer à partir des données disponibles dans le cadre du suivi standard des patients atteints d’hépatite B chronique », complète Camelia Protopopescu, ingénieure de recherche en charge des aspects méthodologiques de l’étude.

Plus de 4 000 patients suivis sur huit ans

Les chercheurs ont utilisé les données de la cohorte française ANRS CO22 Hepather, mise en place en 2012 afin d’évaluer l’efficacité des nouveaux traitements contre les hépatites virales. Cette cohorte suit plus de 20 000 personnes atteintes d’hépatite B et/ou C chronique. L’équipe a analysé les données de 4 370 d’entre elles, chroniquement infectées par le VHB. Parmi elles, 56 ont développé un cancer du foie au cours des huit années de suivi. « Nous avons commencé par tester tous les facteurs disponibles afin d’identifier ceux qui étaient associés au risque de carcinome hépatocellulaire. Nous les avons ensuite intégrés dans un même modèle statistique : chacun d’entre eux s’est vu attribuer un poids relatif en fonction de son importance, permettant de construire un score global. Nous avons ensuite pu déterminer un seuil de risque le plus fiable possible pour identifier avec précision les personnes les plus à risque », explique Camelia Protopopescu. Ces travaux ont abouti à la création de deux scores.

Le premier score est nommé Adaptt, un acronyme qui regroupe les initiales des six facteurs qui le composent : A pour l’âge du patient, D pour la surinfection par le virus de l’hépatite Delta (VHD), A pour une consommation d’alcool à risque pour la santé, P pour un faible taux de plaquettes (moins de 200x109/L), T pour le tabagisme (20 paquets par année ou plus), et le deuxième T pour le traitement anti-VHB. Ce dernier paramètre est un reflet indirect du niveau de l’atteinte hépatique : en effet, aucun traitement actuel ne permet de guérir cette maladie, qui disparaît rarement spontanément. Les médicaments antiviraux sont donc prescrits lorsque le virus est trop actif ou que le foie est trop sévèrement atteint, afin de ralentir la progression de la maladie.

Parmi les facteurs qui interviennent dans ce score, le rôle de l’alcool est bien connu du grand public pour favoriser l’évolution vers un cancer du foie. Mais d’autres le sont moins comme l’infection par le VHD : « La transmission de ce virus ne peut se produire que simultanément ou ultérieurement à une infection par le VHB, car le VHD a besoin du matériel génétique de ce dernier pour se répliquer. Or, la présence du VHD est associée à une progression plus rapide vers des formes sévères de la maladie hépatique, ce qui impose son dépistage chez tous les patients infectés par le VHB », précise Camelia Protopopescu. Le rôle du tabac reste quant à lui souvent sous-estimé, alors qu’il contribue également au risque de cancer.

Avec ou sans soda

Le second score, Sadaptt, reprend les six mêmes facteurs et en ajoute un supplémentaire : S pour la consommation quotidienne de sodas. Cette consommation est connue pour favoriser la stéatose hépatique (qu’on appelle aussi la maladie du foie gras ou du soda), une affection qui peut évoluer vers la fibrose du foie puis la cirrhose, deux étapes intermédiaires qui peuvent aboutir au cancer hépatique. « Bien qu’elle soit facile à recueillir, cette consommation est une donnée rarement disponible dans les études de cohorte. Ainsi, pour faciliter l’utilisation de notre score dans un grand nombre de contextes, nous avons choisi d’en proposer deux versions : l’une avec, et l’autre sans la consommation de sodas », souligne Clémence Ramier.

Pour calculer les deux scores, chacun des facteurs retenus est associé à un certain nombre de points lorsqu’il est présent chez un patient. En additionnant ces points, on obtient un score global qui va de 0 à 14 pour Adaptt et de 0 à 13 pour Sadaptt. Un score Adaptt ou Sadaptt supérieur ou égal à 3 indique un risque accru de carcinome hépatocellulaire, avec de bonnes performances en matière de prédiction. Et « plus le score est élevé, plus le risque l’est aussi », précise Clémence Ramier. Les performances prédictives des deux scores sont par ailleurs comparables à celles des outils prédictifs déjà existants, mais avec l’avantage d’utiliser des données simples et des comportements facilement identifiables, ce qui ouvre la voie à une utilisation en médecine de ville ou dans des contextes à ressources limitées.

Mieux prévenir en agissant sur les comportements

L’objectif est clair : permettre une évaluation précoce du risque de cancer du foie chez tous les patients atteints d’hépatite B chronique, pour leur proposer un suivi et une prise en charge adaptés. Cela passe aussi par des recommandations concrètes : réduire ou arrêter le tabac et l’alcool, limiter la consommation de boissons sucrées, bien suivre les traitements prescrits et respecter les rendez-vous de suivi préconisés par le médecin.

La prochaine étape consistera à valider les scores dans d’autres cohortes, dans des contextes géographiques variés. « Cela permettra de s’assurer que les scores ne sont pas influencés par des facteurs liés à l’origine ethnique », conclut Clémence Ramier. Il reste aussi à diffuser l’outil dans la communauté médicale. Les scores Adaptt et Sadaptt pourraient compléter des outils déjà bien connus, comme le score FIB‑4, utilisé pour évaluer la fibrose hépatique à partir des paramètres simples (âge, taux de transaminases et de plaquettes). En ciblant spécifiquement le risque de cancer du foie, les scores Adaptt et Sadaptt permettraient un suivi précis à chaque stade de l’évolution de la maladie hépatique.


Clémence Ramier est doctorante en santé publique et Camelia Protopopescu ingénieure de recherche Inserm dans l’équipe Cancer et lutte contre les inégalités dans la prévention et dans les soins (Calipso) au sein de l’unité Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale (Sesstim, unité mixte de recherche 1252 Inserm/IRD/Aix-Marseille Université), à Marseille.


Source : C. Ramier et coll. Behaviour-Based Predictive Scores of Hepatocellular Carcinoma in People With Chronic Hepatitis B (ANRS CO22 HEPATHER). Liver International, 2025 Apr;45(4):e70065 ; DOI:10.1111/liv.70065

Autrice : C.G.

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