L’épitranscriptome : un code « invisible » sur l’ARN contrôle la progression tumorale

Tout comme l’ADN, l’ARN peut porter des modifications chimiques appelées « marques épigénétiques », dont l’ensemble constitue l’épitranscriptome. Lorsqu’elles sont présentes sur des ARN messagers, ces marques peuvent modifier la production des protéines codées. Un consortium d’équipes montpelliéraines vient de montrer que ce phénomène joue un rôle majeur dans l’agressivité du cancer colorectal et la résistance aux chimiothérapies. Ces travaux interpellent ainsi sur l’importance de l’épitranscriptome en clinique, et ouvrent la porte à de nouvelles pistes diagnostiques et thérapeutiques.

Épitranscriptome. Quel mot indigeste ! Pourtant il faudra s’y faire car vous en entendrez de plus en plus parler. À l’Institut de génomique fonctionnelle* de Montpellier, Alexandre David et ses collaborateurs viennent en effet de montrer qu’il joue un rôle majeur dans la pathogenèse du cancer. L’épitranscriptome correspond à un ensemble de modifications chimiques présentes sur les molécules d’ARN dans les cellules, notamment sur les ARN messagers qui servent à la synthèse des protéines. Ces modifications font varier leur stabilité ou encore leur capacité à être traduits en protéines selon le contexte (stress, maladie, conditions environnementales…). « Il s’agit d’un niveau de régulation supplémentaire de l’expression des gènes, qui était en quelque sorte « invisible » jusqu’ici, estime le chercheur. Quand une équipe de scientifiques cherche à savoir si une protéine est exprimée dans une cellule, elle recense les ARN qui lui correspondent mais elle ne tient pas compte de l’épitranscriptome. Cela peut totalement fausser ses estimations », clarifie-t-il. 

Environ 150 modifications « épitranscriptomiques » ont déjà été décrites dans la littérature, mais personne ne connaît leur fonction. Pour les étudier, Alexandre David a créé le consortium montpelliérain pluridisciplinaire Smart, en partenariat avec l’équipe de bioinfomatique d’Éric Rivals (Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique) et celle de spectrométrie de masse clinique dirigée par Christophe Hirtz (Institut de médecine régénérative et biothérapies, IRMB). Soutenus par un financement important de la région Occitanie et du Fonds européen de développement régional Languedoc-Roussillon, ce consortium a développé des outils uniques en France, qui lui permettent de rivaliser avec les meilleures équipes internationales dans l’étude de la chimie de l’ARN à des fins cliniques. 

Des modifications différentes selon les cancers

Le premier projet du consortium a porté sur la plus fréquente des modifications épitranscriptomiques : m6A, qui correspond à l’ajout d’un groupement méthyl (une méthylation) des bases d’adénosine entrant dans la composition de l’ARN. Cette modification peut être supprimée par une enzyme appelée FTO. Les chercheurs ont mis en évidence qu’une diminution de l’expression de FTO favorise l’acquisition de propriétés « souches » par les cellules de cancer du côlon. Les cellules souches cancéreuses représentent le cœur de la tumeur et sont à l’origine des résistances aux thérapies et des récidives. Plusieurs expériences menées in vitro et in vivo chez l’animal confirment que des taux de FTO bas sont associés à une plus grande agressivité des cellules cancéreuses : elles forment davantage de nouvelles tumeurs quand elles sont injectées à des souris, et la résistance aux chimiothérapies des tumeurs ainsi formées augmente. 

Une analyse plus poussée de l’activité de FTO dans des cellules cancéreuses colorectales a révélé que son déficit favorise l’apparition d’une autre marque sur les ARN messagers, m6Am. Cet effet est inhabituel. Une piste d’explication tient à la localisation atypique de l’enzyme dans ces cellules : l’enzyme y est retrouvée dans le cytoplasme (c’est-à-dire hors de leur noyau), alors qu’elle est localisée à l’intérieur du noyau dans la plupart des tissus sains et dans d’autres types de cellules cancéreuses. Cette étude met en évidence toute la complexité de l’épitranscriptome, mais aussi son rôle majeur dans le cancer. « Nos résultats, associés aux données déjà disponibles, soulignent l’importance du contexte tissulaire : certaines modifications épitranscriptomiques peuvent avoir des effets opposés d’un cancer à l’autre. Mais dans le cas précis du cancer colorectal, favoriser la déméthylation de m6Am par des agents chimiques offre de nouvelles perspectives thérapeutiques », indique Alexandre David, qui y travaille déjà. L’équipe cherche également à comprendre le rôle de m6Am dans le processus de transformation tumorale des cellules. Une nouvelle page de la biologie s’ouvre donc avec l’étude de cet épitranscriptome ! 

Note :
*unité 1191 Inserm/CNRS/Université de Montpellier, équipe Signalisation, plasticité et cancer, Institut de génomique fonctionnelle, Montpellier 

Source : S Relier et coll. FTO-mediated cytoplasmic m6Am demethylation adjusts stem-like properties in colorectal cancer cell. Nature Communications, édition en ligne du 19 mars 2021. Doi : 10.1038/s41467-021–21758‑4