Enseignement : Les enfants apprennent-ils moins bien à distance ?

Les écoliers qui ont dû poursuivre leur scolarité depuis chez eux au printemps 2020 ont-ils été retardés ou pénalisés dans leurs apprentissages ? Présenteront-ils des lacunes durables ? Il est aujourd’hui difficile de se positionner avec si peu de recul. Toutefois, plusieurs études ont été lancées et des indices commencent à émerger. Une épidémiologiste, un sociologue et un professeur de psychologie du développement nous donnent leur point de vue sur la question.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°49

C’est l’un des effets collatéraux de la crise sanitaire : pendant le confinement, les enfants ont dû poursuivre leur éducation scolaire depuis chez eux, avec une communication élève-enseignant, des routines de travail et des supports éducatifs qui se sont trouvés considérablement changés. Une situation qui suscite des interrogations concernant la faisabilité d’une véritable continuité pédagogique, la capacité des enfants à apprendre à distance et les possibilités matérielles pour y parvenir. Les parents ont aussi joué un rôle important dans ce nouveau contexte scolaire, ce qui implique des inégalités en fonction de leur disponibilité. La génération d’écoliers qui a vécu ce confinement va-t-elle présenter des lacunes ? 

Le point de vue de Maria Melchior

Maria Melchior.

Si le confinement a eu un impact sur les apprentissages, il sera plus important pour les enfants de familles défavorisées. En effet, la France est un pays où les inégalités d’apprentissage sont parmi les plus importantes, hors contexte sanitaire. Suite au confinement, elles se sont encore accentuées. Et pour cause, les enfants de familles modestes apprennent surtout à l’école car ils bénéficient de moins d’aide de la part de leurs proches, et leurs conditions de travail à la maison sont moins bonnes. Au Royaume-Uni, les recherches ont montré que ces enfants ont en moyenne passé une heure de moins par jour que ceux des familles aisées à étudier pendant la période où les écoles étaient fermées. À la fin du confinement, ils ont accumulé plusieurs mois de retard dans les apprentissages, ce qui ne semble pas être le cas des enfants venant d’un milieu davantage privilégié. En réalité c’est un phénomène bien connu, observé à toutes les rentrées scolaires de septembre. Suite aux deux mois de vacances, l’écart observé entre familles modestes et aisées se creuse. Par ailleurs, les données des évaluations annuelles des élèves de CP et de CE1 suggèrent l’existence d’un effet concret de la distance sur l’apprentissage. Cette année, par rapport à la rentrée 2019, les élèves de CE1 semblent avoir un niveau plus faible, qui se traduit notamment par des difficultés avec l’apprentissage de la lecture. Ceci s’observe davantage dans les écoles les plus défavorisées, dans la mesure où cette compétence requiert particulièrement le savoir-faire et l’implication de l’enseignant. Il est difficile de déterminer si ce phénomène sera durable, et quelles seront les conséquences sur la réussite scolaire des enfants. Pour amorcer des réponses, il serait intéressant de comparer les pays où l’école se fait à distance depuis le printemps dernier et ceux, comme la France, où il y a beaucoup plus d’apprentissages en présentiel. 

Maria Melchior est épidémiologiste à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (unité 1136 Inserm) à Paris.

Le point de vue de Bertrand Geay

Bertrand Geay.

Les données produites grâce aux cohortes Elfe (qui suit 18 000 enfants nés en 2011) et Epipage 2 (qui suit des enfants nés prématurés) nous fournissent quelques indices pour répondre à cette question. Tout d’abord, nous avons pu constater que, malgré la fermeture des écoles, il n’y a pas eu de rupture pédagogique : presque tous les parents interrogés ont indiqué que l’enseignant avait envoyé du matériel pédagogique. Mais à la différence des collégiens ou des lycéens qui ont eu des cours en visioconférence, les familles que nous avons suivies ont très peu eu accès au dispositif du Cned « Ma classe à la maison », qui permet de voir l’enseignant par visioconférence. Il n’a été utilisé que dans 20% des cas. Le fait que les parents fassent la classe à leurs enfants, aussi bons soient les supports que les enseignants ont pu envoyer, n’a bien sûr rien à voir avec le modèle classique, avec l’enseignant en présentiel : les parents ont dû transmettre aux enfants de nouvelles notions ou les accompagner dans cette découverte. Il y a fort à parier que cela a eu des effets inégalitaires, pas uniquement en matière de comportement et de suivi, mais aussi d’apprentissage. Nous pourrons le vérifier avec l’enquête que nous avons menée dans les écoles concernées à la rentrée 2020, avec des tests de connaissances en français et en mathématiques. Nous avons aussi observé une assez forte disparité dans suivi selon le milieu. Chez les plus modestes, le temps passé par un membre de la famille à aider les enfants pour les devoirs augmente, ce qui témoigne d’une forte implication mais aussi probablement de difficultés à mettre les enfants au travail de manière autonome. Enfin, le reste du temps est fortement occupé par l’usage des écrans alors que dans les familles des catégories supérieures, le temps de l’enfant se répartit davantage entre apprentissages scolaires, écrans, sorties et activités partagées avec les parents. Des activités qui participent également à l’apprentissage de ces enfants et leur apportent un avantage supplémentaire par rapport aux enfants de familles plus modestes. 

Bertrand Geay est sociologue, directeur adjoint de l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe)

Le point de vue de Grégoire Borst

Grégoire Borst.

La question « peut-on apprendre à distance ? » revient à demander « peut-on apprendre avec le numérique ? ». Ce qui est sûr, c’est que, contrairement à certaines croyances, le numérique n’est pas mauvais en soi. Tout est une question de contenu. L’avantage du numérique et de certains logiciels existants, c’est que l’on peut, par exemple, utiliser l’intelligence artificielle pour apporter une démarche pédagogique différenciée. C’est-à-dire qu’on s’adapte à la courbe d’apprentissage de chaque élève. On travaille dans la zone proximale de développement de chacun, à la frontière entre les connaissances qu’il maîtrise et celles qu’il est sur le point d’acquérir. C’est évidemment une chose compliquée à réaliser par un enseignant avec un groupe de 30 élèves ! En outre, le numérique permet un retour sur les erreurs, ce qui est fondamental en apprentissage. Autre avantage, il rend l’apprentissage ludique, ce qui a pour conséquence de maintenir le niveau de motivation. Un aspect important, surtout quand l’élève est seul chez lui. Les évaluations de certains de ces outils ont montré des gains d’apprentissage, en particulier chez des élèves moyens. Des outils numériques utiles et efficaces existent donc. Mais il manque une réflexion pédagogique autour de leur usage. Pendant le premier confinement, le recours au numérique s’est essentiellement limité à l’envoi de fichiers PDF et à la visioconférence... Heureusement, nous avons observé un regain d’intérêt pour les dispositifs numériques dans les mois qui ont suivi, et il est certain que si nous devions vivre un second confinement strict, leur utilisation serait différente. L’un des grands objectifs des pouvoirs publics en ce qui concerne la transition numérique dans l’éducation est d’ailleurs de réussir à convaincre les enseignants, qui sont généralement plutôt réticents, de s’y impliquer. Néanmoins, le numérique reste un outil. Pour que les enseignants puissent y recourir davantage, il faut qu’ils disposent du matériel adapté, ainsi que de formations. Ils ont besoin d’un accompagnement. 

Grégoire Borst est professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université de Paris, directeur du Lapsydé (CNRS) à Paris