Des tests d’audition pour mieux comprendre l’origine des vertiges

Parce qu’il existe au sein de l’oreille interne une continuité anatomique et fonctionnelle entre l’organe de l’audition et celui de l’équilibre, les pertes auditives pourraient aider à comprendre l’origine des pertes d’équilibre. C’est ce que des chercheurs montpelliérains viennent de décrire.

Avez-vous déjà souffert de vertiges ou de sensations d’instabilité ? Ces moments où l’on ressent une fausse impression de mouvement, la tête qui tourne comme sur un manège, comme si l’on chutait ou se balançait, ou encore comme si l’environnement – le sol, les murs, les objets – se mettait soudain à bouger autour de soi. Cela n’aurait rien d’étonnant, lorsque l’on sait que ces épisodes touchent 20 à 30 % de la population adulte. Ils conduisent souvent à consulter car ils sont toujours gênants, souvent désagréables, et peuvent parfois s’accompagner d’évanouissements ou de vomissements.

En pratique, ces phénomènes sont soit d’origine périphérique (dus à un trouble de l’oreille interne), soit d’origine centrale (causés par un trouble du système nerveux central). Pour trancher entre ces possibilités et adapter la prise en charge, les médecins utilisent généralement en premier lieu des tests vestibulaires, qui évaluent la fonctionnalité de l’organe de l’équilibre niché dans l’oreille interne : le vestibule. « Chaque test vestibulaire a une spécificité, mais tous ont plusieurs limites : ils sont souvent longs et inconfortables pour les patients, peu accessibles, et parfois difficiles à interpréter car leurs résultats sont variables, non seulement d’une personne à l’autre, mais aussi chez un même patient selon son état de concentration ou de fatigue », explique Jean-Luc Puel, responsable de l’équipe Audition à l’Institut des neurosciences de Montpellier (INM). Ils restent en outre des tests indirects, qui orientent mais nécessitent souvent d’être complétés par d’autres examens pour confirmer le diagnostic. « D’où notre démarche, reprend le chercheur. Pourquoi ne pas évaluer si les tests auditifs peuvent nous aider à filtrer, affiner ou compléter l’interprétation des résultats des tests vestibulaires ? »

Des points communs anatomiques et fonctionnels

Dans l’oreille interne, le vestibule est le voisin immédiat de la cochlée, quant à elle impliquée dans l’audition. Tous les deux comportent des cellules spécialisées similaires, dites « ciliées », et baignent dans le même environnement liquide. Avec une telle proximité anatomique et fonctionnelle, le chercheur et son équipe ont posé l’hypothèse que l’état de la cochlée et celui du vestibule pourraient suivre une évolution comparable. Dans ce cas, les tests d’audition, qui ont l’avantage d’être simples et rapides à conduire, pourraient constituer un moyen tout aussi simple et rapide de repérer les troubles vestibulaires. Pour valider cette hypothèse, le chercheur a encadré un travail d’analyse réalisé à partir des données de tous les patients qui avaient consulté entre 2015 et 2020 pour des troubles de l’équilibre dans le service de Cécile Nicolas-Puel à l’INM, soit 1 115 adultes. Tous avaient bénéficié des tests diagnostiques habituels (vestibulaires et neurologiques) : la moitié souffrait d’une atteinte du vestibule, 41 % de vertiges liés à des atteintes neurologiques bénignes ou graves (migraines vestibulaires, démences…), et les autres de troubles dus à des causes métaboliques ou musculaires (par exemple liés à une obésité ou à une immobilisation prolongée).

Tous avaient également bénéficié de tests d’audition : durant cet examen, appelé « audiométrie », le patient est exposé à des sons, des plus graves aux plus aigus, et indique ceux qu’il entend. Avec Jean-Charles Ceccato, l’équipe a procédé à une analyse statistique pour regrouper les personnes avec des profils auditifs semblables. Résultat : six groupes distincts, tous associés à des ensembles de troubles de l’équilibre d’origine différente ont pu être identifiés.

Près d’un patient sur deux avait une audition normale : il s’agissait surtout des personnes jeunes, majoritairement des femmes, qui souffraient principalement de migraines vestibulaires, des vertiges épisodiques et spontanés, sans rapport avec un changement de position, généralement associés à des maux de tête. Le groupe le moins nombreux (7 % des patients) présentait une perte d’audition liée à l’âge (presbyacousie), en lien avec une démence ou un vieillissement vestibulaire. Les patients de deux autres groupes montraient des pertes auditives plus ou moins importantes des deux oreilles, souvent liées au vieillissement, normal ou précoce, de l’oreille interne : des pertes auditives reflets d’atteintes bilatérales des vestibules de sévérité variable. Enfin, les profils avec une perte d’audition asymétrique (une oreille davantage touchée que l’autre) : ces derniers souffraient de troubles de l’équilibre liés à des atteintes asymétriques du vestibule (comme une névrite vestibulaire) ou bien à des troubles de toute l’oreille interne, comme la maladie de Ménière.

« Ce travail conforte le fait que la cochlée et le vestibule vieillissent ensemble et qu’il est donc possible d’utiliser l’audimétrie pour caractériser ces situations, explique Jean-Luc Puel. Cette technique pourrait aider à mieux orienter les patients qui se plaignent de vertiges, en évitant des examens longs ou inutiles, et parfois coûteux. » L’équipe pourrait même aller plus loin car sa base de données comporte aussi de nombreuses informations sur les éventuels troubles du sommeil des patients, leur statut métabolique, des données d’imagerie… « Les analyses de big data par intelligence artificielle pourraient nous aider à trouver des corrélations et poser l’hypothèse de nouveaux liens mécanistiques à étudier », entrevoit le chercheur.


Jean-Luc Puel dirige l’équipe Audition : surdités, acouphènes et thérapies à l’Institut des neurosciences de Montpellier (INM, unité 1298 Inserm/Université de Montpellier).


Source : Nicolas-Puel C. et coll. Audiometry as a predictive proxy for balance dysfunction. Scientific Reports, avril 2025 ; doi : 10.1038/s41598-025–97995‑0

Autrice : C. G.

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