Covid-19 : les engelures, dommages collatéraux d’une immunité performante

Une équipe de chercheurs s’est penchée sur les engelures, ces lésions cutanées bénignes dont la fréquence a augmenté durant l’épidémie de Covid-19. Leurs travaux, confortés par les données de la littérature, suggèrent que ces atteintes peuvent découler d’une immunité innée très (trop ?) efficace contre le SARS-CoV‑2.

Les engelures sont des atteintes cutanées douloureuses qui apparaissent en réaction au froid. Dues à des troubles de la microvascularisation cutanée, elles se manifestent par des doigts rouges ou violacés, avec parfois la présence de petites cloques pouvant prendre un aspect nécrotique (peau morte). Au tout début de l’épidémie de Covid-19, une fréquence inédite de consultations pour engelures a été rapportée en Italie puis en France. Afin d’évaluer leurs liens avec l’infection par le SARS-CoV‑2, une équipe de chercheurs a démarré une étude afin d’étudier toutes les personnes reçues par la cellule Covid du CHU de Nice entre le 9 et le 17 avril et qui présentaient ce type de lésions. Au cours de cette période, 40 patients souffrant d’engelures ont été accueillis. Aucun d’entre eux n’avait présenté une forme grave de Covid-19 et la plupart étaient jeunes (âge médian de 22 ans). S’ils avaient tous été cas contacts ou suspectés d’être infectés par le SARS-CoV‑2 dans les 3 semaines précédant la consultation, le résultat de la recherche du virus au niveau nasopharyngé (PCR) était négatif pour l’ensemble de ces patients, et une sérologie positive n’a été retrouvée que chez un tiers d’entre eux. 

« Il a déjà été décrit que des manifestations cutanées généralisées, comme des urticaires… peuvent apparaître après une infection virale respiratoire, mais la survenue de réactions localisées de ce type est inédite, explique le Pr Thierry Passeron* qui a dirigé ce travail. Si la causalité entre les lésions cutanées et le SARS-CoV‑2 n’est pas démontrée par cette étude, elle est malgré tout fortement suspectée, notamment parce que le nombre de patients présentant des engelures à cette époque de l’année dans notre région est particulièrement surprenant. De plus, nous avons observé des regroupements de cas : plusieurs personnes simultanément atteintes d’engelures dans quelques fratries ou familles. » Par ailleurs, des données de la littérature décrivent des éléments de causalité et confortent cette hypothèse. 

Des variants génétiques de l’immunité

Ainsi, les données biologiques et cliniques des patients concernés – leur âge plutôt jeune, la rareté de leurs symptômes associés à la Covid-19 ou encore la négativité des tests PCR et sérologique – suggèrent une immunité innée (la première ligne de défense de l’organisme face aux agents pathogènes) particulièrement efficace. De plus, « les engelures sont observées dans certains troubles immunitaires génétiques, notamment dans certaines interféronopathies, des maladies où des médiateurs clé de l’immunité innée, les interférons (IFN) de type I, sont surexprimés ».

Pour confirmer cette hypothèse, la production d’IFNɑ par des cellules de l’immunité innée (cellules dendritiques) de patients a été stimulée in vitro et mesurée. Les chercheurs ont comparé l’activité des cellules de trois groupes de patients : ceux qui ont présenté des engelures, ceux qui ont développé d’autres formes non graves de Covid-19 et ceux hospitalisés en raison de cette infection. « Les cellules des premiers présentent des taux d’expression de l’IFNɑ bien plus élevés que celles des deux autres groupes. Les taux mesurés dans les cellules des patients hospitalisés, avec des formes sévères de Covid-19, sont même particulièrement bas », résume le dermatologue. 

Ainsi, si les formes graves de Covid-19 semblent liées à un défaut de l’immunité adaptative, qui rend impossible une production suffisante de cellules et d’anticorps spécifiques du SARS-CoV‑2, les engelures pourraient se situer à l’autre extrémité du spectre, et constituer l’illustration d’une surréaction de l’immunité innée. Cette diversité de réponses reposerait sur des variants génétiques associés à l’activité des médiateurs de l’immunité.

« On voit le nombre de ces engelures augmenter à nouveau depuis quelques semaines, à l’image de ce que l’on a observé durant la première vague de l’épidémie, note Thierry Passeron. Il faut néanmoins rassurer les personnes qui en souffrent : même si elles sont douloureuses, ces atteintes ne sont pas graves et régressent sans séquelles sur quelques jours à quelques semaines. Elles signent un épisode infectieux à SARS-CoV‑2 qui est déjà terminé dans la majorité des cas. Les patients concernés ont éliminé le virus efficacement et rapidement après leur infection. »

Ces observations vont dans le sens de celles constatées lors de précédentes épidémies à coronavirus (SARS et MERS), au cours desquelles les personnes les moins symptomatiques produisaient peu d’anticorps, fruits de la seconde ligne de défense immunitaire après l’intervention de l’immunité innée. Des questions restent toutefois en suspens, comme la contagiosité des patients qui présentent ces engelures, ou leur capacité à être contaminés une seconde fois. Le décryptage des mécanismes de la réaction immunitaire au niveau de l’épithélium respiratoire pourrait aussi apporter de précieux enseignements. 

Note :
* unité 1065 Inserm/Université de Nice Sophia Antipolis, Centre méditerranéen de médecine moléculaire, Nice et service de Dermatologie, CHU Nice, France. 

Source : T Hubiche et coll. Clinical, Laboratory, and Interferon-Alpha Response Characteristics of Patients With Chilblain-like Lesions During the COVID-19 Pandemic. JAMA Dermatol, édition en ligne du 25 novembre 2020. DOI : 10.1001/jamadermatol.2020.4324