Covid-19 : 250 molécules candidates pour cibler le corécepteur TMPRSS2

Parmi les milliers de médicaments en développement ou présents sur le marché, il existe peut-être des traitements efficaces contre le virus du Covid-19. Des chercheurs ont passé au crible informatique plus de 10 000 d’entre eux afin d’identifier ceux qui pourraient inhiber l’indispensable interaction que le SARS-CoV‑2 entretient avec la protéine TMPRSS2 pour entrer dans nos cellules.

Le développement de traitements pour cibler spécifiquement le SARS-CoV‑2 et les mécanismes qui lui permettent d’infecter nos cellules bat son plein. Mais la mise au point de nouvelles molécules demande traditionnellement plus d’une décennie, avec plusieurs phases incompressibles de recherche préclinique puis clinique. Il existe cependant une alternative plus rapide : celle du repositionnement thérapeutique. Il s’agit alors d’évaluer si, parmi les dizaines de milliers de molécules thérapeutiques déjà existantes et dont la toxicité et la posologie sont déjà connues, certaines présentent des propriétés intéressantes contre le virus. 

Comment identifier ces molécules ? Au départ, le repositionnement thérapeutique a souvent été le fruit du hasard et de l’observation clinique. Il se fonde aujourd’hui le plus souvent sur des méthodologies expérimentales plus rationnelles, et le développement d’outils informatiques puissants révolutionne encore cette approche. Des chercheurs français viennent justement d’y avoir recours pour identifier in silico une liste de plusieurs dizaines de molécules possiblement capables de bloquer l’entrée du SARS-CoV‑2 dans nos cellules. Les plus prometteuses vont très prochainement faire l’objet de premiers tests précliniques. 

Une cible alternative à l’ACE2 et à la protéine S

Le SARS-CoV‑2 pénètre dans les cellules de l’organisme en arrimant sa protéine de surface Spike (protéine S) aux récepteurs ACE2 de l’hôte. Ces deux structures ont d’ailleurs été les premières cibles visées dans la recherche d’un traitement contre le nouveau coronavirus. Mais une fois fixé à ACE2, le virus a besoin d’une autre protéine cellulaire pour poursuivre sa route : TMPRSS2. Il s’agit d’une enzyme de la famille des protéases qui comprend plusieurs domaines structuraux. Le principal, qui est responsable de l’activité protéolytique de la protéine (domaine sérine protéase), coupe la protéine S du virus en de multiples endroits. Il s’agit d’une étape déterminante pour que le SARS-CoV‑2 entre dans la cellule. On distingue aussi sur TMPRSS2 un site localisé à proximité du site actif, que l’on qualifie d’exosite, et qui joue un rôle crucial pour aider la protéine S à s’orienter correctement avant arrimage. « La TMPRSS2 est une cible thérapeutique intéressante, explique Bruno Villoutreix* qui a dirigé ce travail. Des expérimentations cellulaires menées par ailleurs ont montré que le virus avait d’importantes difficultés à entrer dans la cellule lorsque TMPRSS2 est inactivée ou bloquée. De plus, c’est une protéine de l’hôte : il y a donc peu de risque de voir émerger des mutations qui conduisent à une résistance au traitement si on la bloque, un phénomène plus fréquent lorsque les approches thérapeutiques ciblent des protéines virales ».

La structure 3D de TMPRSS2 n’a pas encore été déterminée de manière expérimentale, mais les chercheurs ont modélisé la protéine afin de pouvoir réaliser des criblages virtuels, in silico. Parallèlement, ils ont généré une base de données comptant plus de 10 000 médicaments, par compilation de plusieurs collections de molécules disponibles dans le monde. Un logiciel dédié et de nombreux scripts informatiques ont ensuite été utilisés pour effectuer le criblage : « Notre protocole teste la capacité d’arrimage de chaque médicament sur les deux sites d’activité de l’enzyme (site actif et exosite), précise le chercheur. Il permet aussi d’établir des scores d’affinité, afin de sélectionner les molécules les plus prometteuses pour les tests expérimentaux ».

À l’issue de cette étape, les scientifiques ont conduit un travail d’analyse et de classification supplémentaire : en effet, si deux structures peuvent être compatibles sur le plan tridimensionnel (comme une clé est adaptée à une serrure), elles peuvent être incompatibles sur le plan physico-chimique (comme les pôles identiques de deux aimants qui se repoussent). Finalement, ils ont pu établir une liste de composés théoriquement capables d’interagir avec le site protéolytique (plus de 150 molécules) ou l’exosite (une centaine) de TMPRSS2, et donc d’inhiber l’intégration du virus dans les cellules de l’hôte, classés par ordre d’affinité. « Il faut savoir que les protéases humaines ont des sites catalytiques dont la structure est souvent assez proche, explique Bruno Villoutreix. Ce qui veut dire qu’une molécule qui bloque celui de TMPRSS2 pourrait aussi interagir avec d’autres enzymes, et donc exposer les patients à des évènements indésirables. Il était donc important d’établir aussi une liste de composés qui bloquent l’exosite, pour éviter cette complication ».

Suite à ces résultats publiés fin juillet, les travaux se poursuivent : en collaboration avec des équipes bordelaise et marseillaise, des expérimentations conduites in vitro et in vivo sur des modèles animaux vont être menées avec les molécules dont le score est le plus élevé, comme le tanogitran, l’otamixaban, l’argatroban, le benexate et plusieurs autres molécules actuellement en phases cliniques. De premiers résultats pourraient être disponibles avant la fin de l’année.

Note :
*unité 1177 Inserm/Université Lille 2/Institut Pasteur de Lille, Médicaments et molécules pour les systèmes vivants, Lille et unité 1141 Inserm/Université de Paris, hôpital universitaire Robert-Debré, Paris 

Source : N Singh et coll. Structure-based drug repositioning over the human TMPRSS2 protease domain : search for chemical probes able to repress SARS-CoV‑2 Spike protein cleavages. Eur J Pharm Sci, édition en ligne du 28 juillet 2020. DOI : 10.1016/j.ejps.2020.105495