Comment nos muscles fondent avec l’âge

La fonte musculaire dont souffrent les personnes âgées serait due à la répression, croissante au fil des ans, d’un gène dans nos cellules souches. De quoi altérer leur rôle de maintien de la masse musculaire. 

C’est inéluctable : avec l’âge, nos muscles fondent. En cause, l’épuisement progressif de notre réserve de cellules souches musculaires (CSM), chargées de maintenir notre masse musculaire constante. Mais jusqu’ici, les mécanismes moléculaires à l’œuvre dans cet épuisement restaient mystérieux. A l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, une équipe Inserm* a découvert que cette baisse du stock de CSM est due à l’inhibition progressive d’un gène nommé Sprouty1.

Leur étude a porté sur des CSM humaines, prélevées chez sept volontaires jeunes, d’environ 20 ans, et sur 14 personnes âgées (autour de 80 ans). In vitro, l’équipe a d’abord montré que les CSM âgées ne meurent pas plus que les jeunes. L’équipe a également éliminé une seconde hypothèse, selon laquelle le stock de CSM diminuerait car, en vieillissant, ces cellules deviendraient de moins en moins performantes. 

Les chercheurs sont donc partis sur la troisième grande hypothèse actuelle : une moindre capacité de notre réserve de CSM à s’autorenouveler. Explications : lorsqu’un muscle doit être régénéré ou réparé, toutes ses CSM sont activées et prolifèrent. La plupart d’entre elles vont alors se différencier et fusionner avec les fibres musculaires pour les renforcer. Mais une petite partie se remet en sommeil – les scientifiques parlent de quiescence – ce qui permet de reconstituer le stock initial de CSM. Selon cette troisième théorie, avec l’âge, les CSM perdraient de plus en plus leur capacité à entrer en quiescence. 

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© Inserm/UMRS 974 Projet MYOAGE : Coloration de l’actine grâce à la phalloïdine marquée fluorescente, culture de myotubes humains chez un jeune homme sain. 

Des expériences conduites in vitro ont permis à l’équipe de confirmer cette hypothèse : la proportion de CSM entrant en quiescence est effectivement plus élevée parmi les CSM issues des sujets jeunes (environ 12%) que parmi celles issues de personnes âgées (3 à 5%). Une tendance confirmée in vivo après injection de ces CSM à des souris. Ces chercheurs ont en outre découvert que l’ADN des CSM âgées portait beaucoup plus de marques épigénétiques, en l’occurrence des groupements méthyle (CH3). De plus, ils ont observé que cette hyperméthylation inhibe l’expression du gène Sprouty1, justement connu pour son implication dans le phénomène de... quiescence ! « Ainsi, à cause de l’inhibition progressive de Sprouty1 avec l’âge, de moins en moins de CSM entreraient en quiescence, ce qui épuiserait notre réserve de CSM », résume Stéphanie Duguez, co-auteur de l’étude au Centre de Recherche en Myologie à Paris. 

Pour en avoir le cœur net, les auteurs de l’étude ont déméthylé l’ADN de CSM âgées : le taux de CSM quiescentes, soit la réserve globale de CSM, a alors augmenté. Pour confirmer que la voie Sprouty1 était bien impliquée dans ce phénomène, l’équipe a procédé à une seconde expérience, en déméthylant l’ADN des CSM âgées comme précédemment, mais en inhibant en même temps l’expression de Sprouty1. Résultat : pas d’augmentation du stock de CSM. Enfin, lors d’une dernière expérience, les chercheurs ont bloqué l’expression du gène Sprouty1 dans des CSM jeunes. Et là encore, le rôle de ce gène a été confirmé : mêmes si les cellules sont jeunes, sans expression de Sprouty1, le stock de CSM diminue : seules 3% des CSM entrant en quiescence contre 12% en temps normal. 

Pistes thérapeutiques

Ces résultats ouvrent une nouvelle piste de recherche pour lutter contre le vieillissement musculaire« L’idée serait notamment de développer des molécules thérapeutiques capables d’empêcher la méthylation du gène Sprouty1 », indique Stéphanie Duguez. Ils devraient aussi intéresser les scientifiques qui cherchent à soigner certaines myopathies par injection de CSM : « il faudra sans doute préalablement s’assurer de leur faible degré de méthylation ». En attendant, la chercheuse et ses collègues poursuivent leurs travaux avec un nouvel objectif : découvrir les facteurs à l’origine de cette hausse de la méthylation avec l’âge... et les contrôler. A suivre ! 

Note

*Unité 974 Inserm/CNRS/UPMC/AIM ‑CH Pitié Salpêtrière- Centre de Recherche en Myologie 

Source

A. Bigot et coll., Age-Associated Methylation Suppresses SPRY1, Leading to a Failure of Re-quiescence and Loss of the Reserve Stem Cell Pool in Elderly Muscle. Cell Reports, 13, 1–11, 10 Novembre 2015.