Chômage et difficultés financières ont fragilisé la santé mentale durant le confinement

Depuis plus de 10 ans, la cohorte Tempo permet de suivre la santé mentale de près de 1 200 personnes. Un suivi spécifique a été mis en place ces dernières semaines, pour étudier l’impact de la crise sanitaire et du confinement. L’analyse des premières données ainsi recueillies met en évidence la vulnérabilité des personnes socio-économiquement fragilisées.

Chacun peut témoigner de l’influence de la crainte du virus et du confinement sur son moral. Mais pour caractériser cet impact de façon scientifique et précise, les enquêtes en population sont précieuses. Or, il est souvent difficile de recruter et maintenir le suivi d’une cohorte en population générale sans perdre de vue les participants. Par ailleurs, pour interpréter avec rigueur les phénomènes observés, il est nécessaire de connaître le niveau de bien-être et de santé mentale des répondants avant la pandémie. 

Le travail conduit par l’Équipe de recherche en épidémiologie sociale (Eres)* à Paris permet de s’affranchir de ces différents problèmes : depuis 2009, cette équipe suit 1 200 personnes recrutées dans cohorte Tempo. Les participants sont périodiquement interrogés sur leur état de santé mentale et leur consommation de produits addictifs. Cela permet aux chercheurs de disposer de photographies régulières de l’état de santé mentale de cette population, de son risque de troubles dépressifs, anxieux ou d’autres pathologies psychiatriques, et cela selon la situation professionnelle, familiale et économique des participants. 

Chaque semaine depuis le 24 mars, les chercheurs interrogent les membres de la cohorte au sujet de la situation particulière que nous vivons. « Cette étude – Tempo-Covid-19 – va être très utile car nous connaissons déjà la trajectoire de santé mentale et la vulnérabilité des participants grâce aux évaluations menées en 2009, 2011, 2015 et 2018″, souligne Maria Melchior, responsable de la cohorte. De plus, tous les participants ont un parent issu de la cohorte Gazel, mise en place en 1989. « Ainsi, nous connaissons même leurs trajectoires depuis l’enfance, selon l’environnement et les évènements auxquels ils ont été exposés. »

Impact du confinement : épiphénomène ou influence durable ?

Près de 600 participants ont répondu à au moins un des questionnaires qui leur ont été envoyés durant le confinement. Parallèlement aux questions habituelles sur la santé mentale, le risque d’anxiété, de dépression et la consommation de substances addictives comme le tabac, l’alcool ou le cannabis, des items ont été ajoutés pour évaluer spécifiquement la situation actuelle, avec des points relatifs aux conditions dans lesquelles le confinement des personnes interrogées se déroulait (travail à l’extérieur ou à domicile, seul ou en famille, configuration de l’habitation...).

Les chercheurs posent différentes hypothèses : les personnes isolées, celles qui vivent dans une habitation moins adaptée ou celles qui ont perdu leur emploi pourraient avoir plus de difficultés à vivre la période de confinement. L’évolution des paramètres mesurés durant la période, rapportée à la période antérieure, apportera des réponses. 

Les toutes premières analyses, menées mi-mai, montrent que la proportion de ceux qui ont des difficultés financières est passée de 11,7% à 14,8% du fait du confinement, voire à 24,6% en incluant ceux qui déclarent un découvert bancaire. Or, à l’issue de la troisième semaine de confinement, 34,3% des personnes qui avaient des difficultés financières liées au confinement présentaient des symptômes anxiodépressifs, contre 20% de celles qui n’avaient pas ces difficultés. 

Les analyses se poursuivent et apporteront de nouveaux enseignements dans les semaines à venir. D’ici quelques mois, le suivi de la cohorte permettra aussi d’évaluer si le confinement a durablement marqué la santé mentale des français. 

Note :
*unité 1136 Inserm/Sorbonne Université, Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique, Équipe de recherche en épidémiologie sociale (Eres)