Cancer du rein : reproduire des tumeurs in vitro pour mieux les étudier

Une équipe Inserm vient de prouver qu’il est possible de recréer des cancers héréditaires papillaires rénaux in vitro à partir de cellules souches sanguines de patients, reprogrammées en cellules pluripotentes (iPSC). Une façon d’obtenir du tissu tumoral à volonté pour étudier la maladie et tester des molécules thérapeutiques.

Étudier un cancer et tester de potentiels médicaments nécessitent de disposer de grandes quantités de tissu tumoral. Or les cancers touchent souvent des organes internes, pour lesquels les biopsies sont difficiles à réaliser. Il y a aussi les cancers peu fréquents. Alors dans bien des cas, le matériel biologique disponible pour les chercheurs se trouve en quantité très limitée… A Villejuif, l’équipe d’Ali Turhan* propose une solution concrète pour pallier ce problème dans le cas d’un cancer rare : le cancer héréditaire papillaire rénal (CHPR), lié à une mutation affectant le gène met. Les chercheurs viennent de montrer qu’il est possible de reconstituer in vitro des tumeurs strictement identiques à celles observées in vivo, en utilisant des cellules pluripotentes induites (IPS) .xissues de patients. 

Les cellules IPS (ou iPSC) sont des cellules souches pluripotentes, capables de se différencier en n’importe quel type cellulaire, à l’image des cellules embryonnaires. Elles sont obtenues en prélevant des cellules chez un adulte (fibroblastes, cellules du sang...) et en les reprogrammant génétiquement grâce à l’insertion de plusieurs gènes spécifiques. Cette transformation leur redonne un caractère pluripotent. L’objectif de l’équipe d’Ali Turhan était d’obtenir ce type de cellules à partir d’un patient présentant une mutation du gène met associée au CHPR, puis de les redifférencier en cellules rénales permettant l’expression du proto-oncogène c‑met et, ainsi, la formation de la tumeur in vitro. Et c’est exactement ce que les chercheurs sont parvenus à faire. 

Ils ont prélevé des cellules hématopoïétiques (cellules souches sanguines) d’un patient atteint de CHRP et les ont reprogrammées pour obtenir des cellules IPS porteuses de la mutation c‑met, pouvant se multiplier à volonté sans se différencier. Les chercheurs ont ensuite placé ces cellules dans un milieu de culture spécifique, en 3D, pour obtenir des organoïdes présentant des structures rénales et exprimant des marqueurs types du CHPR (identifiés sur une large cohorte de patients atteints de ce cancer). « Nous sommes très satisfaits de ces résultats car l’étape de différenciation des iPSC vers un tissu spécifique est très délicate. Elle peut même être impossible à obtenir à l’heure actuelle, » confie Ali Turhan dont l’équipe s’est spécialisée dans l’étude de la modélisation des cancers et des leucémies utilisant les iPSC. 

Un micro-rein malade, présentant toutes les caractéristiques de ce cancer rare

Cette fois, placées dans leur « bain de culture », les cellules se sont naturellement organisées en micro-rein malade : « Nous avons retrouvé les tubules et glomérules rénaux présentant toutes les caractéristiques tumorales spécifiques de ce cancer rare », explique Ali Turhan. Les chercheurs ont en effet vérifié que les tumeurs obtenues présentaient toutes les caractéristiques génétiques et moléculaires des tumeurs observées in vivo, grâce aux données histopathologiques de patients suivis à l’hôpital du Kremlin Bicêtre et à l’hôpital européen George Pompidou, ou encore à partir de données déjà publiées. Ils ont également procédé à des vérifications en greffant leurs organoïdes sur des souris immunodéficientes : le cancer se développant sur les animaux présentait là encore les caractéristiques retrouvées chez les patients. « La tumeur reconstituée se comporte sur plusieurs plans exactement comme chez les malades. Nous avons observé la même micro-architecture par microscopie électronique et les mêmes marqueurs tumoraux », clarifie Ali Turhan. 

Enfin, les chercheurs ont testé sur leurs organoïdes des molécules thérapeutiques utilisées pour traiter ce cancer : le cisplatine et le sunitinib. Les réponses aux traitements observées sont tout à fait conformes à celles attendues in vivo.

« C’est la première fois qu’une équipe apporte la preuve de faisabilité d’un modèle de cancer in vitro à partir de cellules IPS. Utiliser cette technique en routine dans les laboratoires qui étudient ces cancers ou en recherche préclinique permettrait de disposer d’une source inépuisable de tumeurs aux propriétés équivalentes à celles présentées par les patients, et cela en deux semaines environ », conclut Ali Turhan. 

Note :
*unité 935 Inserm/Université Paris-Sud, Institut André Lwoff, Villejuif, dirigée par Annelise Bennaceur-Griscelli 

Source : JW Hwang et coll. iPSC-Derived Embryoid Bodies as Models of c‑Met-Mutated Hereditary Papillary Renal Cell Carcinoma. Int J Mol Sci du 30 septembre 2019. DOI : 10.3390/ijms20194867