Cancer : Des aliments personnalisés contre la dénutrition

Près de la moitié des patients atteints d’un cancer souffre d’une dénutrition qui met en péril leur survie. Avec une gamme d’aliments personnalisés, réfléchie et développée spécifiquement pour répondre aux envies et besoins des malades, des chercheurs de l’Inserm à Lyon espèrent leur redonner goût à la vie.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°63

La dénutrition a un impact direct sur l’état de santé global et la qualité de vie, en particulier pour les patients atteints d’un cancer. Les médecins estiment qu’entre 10 et 20 % de ces derniers décèdent chaque année, non pas du cancer lui-même, mais des conséquences de ce déséquilibre nutritionnel qui survient lorsque les apports alimentaires ne suffisent pas à couvrir les besoins énergétiques de l’organisme. La perte de poids involontaire qui caractérise la dénutrition, de 5 % en un mois ou de 10 % en six mois, joue un rôle majeur dans la capacité des patients à tolérer les traitements anticancéreux, mais aussi à en tirer bénéfice. Ajouté à cela : un risque accru d’infection, de problèmes cardiaques ou de chute des malades.

« La problématique dépasse la prise de poids et de nourriture », explique Nicolas Benech, gastroentérologue et chercheur au Centre de recherche en cancérologie de Lyon. « C’est aussi souvent un vécu traumatique autour des repas, avec parfois une incompréhension de l’entourage, qui ne saisit pas pourquoi on n’arrive pas à manger, mais aussi une culpabilité de ne pas pouvoir guérir si on n’arrive pas à reprendre des forces et une perte de plaisir pour ces moments de vie, importants dans nos liens sociaux. » Aujourd’hui, la dénutrition est un enjeu médical et psychosocial majeur reconnu par les autorités de santé, qui résonne tant d’un point de vue physique que psychique et relationnel. Pourtant, les médecins disposent de peu d’options pour contrer cette dénutrition – et celles disponibles restent imparfaites, pas toujours bien tolérées. Les compléments alimentaires standards ne sont pas spécifiquement adaptés aux patients sous chimiothérapie. Et quand ils ne suffisent plus, les malades dénutris se voient proposer une alimentation artificielle par sonde nasogastrique ou intraveineuse, « des solutions invasives et contraignantes, qui présentent elles-mêmes leurs propres risques, décrit Nicolas Benech. Aujourd’hui, il n’existe pas de solution spécifique pour les patients qui ont la capacité de s’alimenter par la bouche mais qui n’y parviennent plus. »

Affiner les profils nutritionnels

Le médecin milite pour « redonner un outil aux patients afin de lutter contre leur cancer, mais aussi pour qu’ils puissent redevenir acteurs de leur parcours de soin, en se réappropriant la prise alimentaire et les moments de vie associés. » Avec son projet Onco-Nutribiota, il a pour objectif de développer une nouvelle génération d’aliments sur mesure spécifiquement conçus et adaptés à la physiologie des patients qui sont sujets à la perte de plaisir et d’appétence, ainsi qu’à une modification de leurs fonctions gustatives et odorantes. « Mais pour développer ces recettes ajustées aux transformations perceptuelles que subissent les malades, il faut avant tout les identifier, les décrire, et mieux les comprendre », détaille Nicolas Benech.

Début 2025, environ 200 patients qui vivent avec un cancer prendront part à une cohorte afin d’évaluer finement leurs changements sensoriels. Au menu : tests d’odorat précis, épreuves culinaires avancées, mesures détaillées de leurs capacités à ressentir des textures, en vue de construire des profils sensoriels détaillés. Une nouveauté est également à la carte : l’analyse de leurs microbiotes oral et intestinal, c’est-à-dire l’ensemble des microorganismes qui vivent à ces endroits de leur organisme.

Faire peser le microbiote dans la balance

« Aujourd’hui, il manque cette partie du puzzle. Le microbiote n’est pas pris en compte dans la prise en charge nutritionnelle des malades », précise Nicolas Benech. Pourtant, chez les patients atteints de cancers, le microbiote est régulièrement déséquilibré. La diversité des microorganismes chute, au détriment de bactéries favorables à une bonne santé globale, non sans incidence. En effet, le microbiote est un déterminant majeur de l’état nutritionnel. Il influence le goût, la perception des aliments, la satiété, l’appétit et même la capacité d’absorption des nutriments. En décortiquant l’impact du microbiote chez ces patients, les chercheurs lyonnais espèrent incorporer les connaissances acquises dans la conception d’interventions nutritionnelles ciblées et adaptées, une innovation pour le secteur. « Il nous manque des aliments optimisés qui puissent agir sur le microbiote tout en étant adaptés par leur composition, leur goût et leur texture aux modifications sensorielles et à l’appétence de chaque patient », explique le scientifique qui souhaite développer les prototypes de nouveaux aliments intégrant ces deux dimensions.

Si la cohorte a pour vocation de mieux comprendre les modifications sensorielles observées chez les patients et de trouver des cibles thérapeutiques, des facteurs de risques ou encore des marqueurs métaboliques ou microbiologiques corrélés à l’état nutritionnel, elle permettra également de fournir une liste de courses aux chercheurs. Pour chaque profil sensoriel, il leur sera possible de développer, en collaboration avec l’Institut Lyfe [l’institut de recherche culinaire créé par le chef Paul Bocuse, ndlr.], des aliments qui répondent spécifiquement aux problématiques identifiées. « On imagine une gamme de produits : un dessert glacé, un dessert lacté, un plat chaud, un plat froid ou un élément de pâtisserie…, optimisés pour améliorer leurs propriétés nutritionnelles et le plaisir apporté par leur consommation », décrit Nicolas Benech. La pertinence et l’impact de ces prototypes sur la qualité de vie des patients seront ensuite évalués en condition réelle sur une cinquantaine de patients dans une étude clinique en lien avec le Centre de recherche en nutrition humaine Rhône-Alpes.

Bien que le projet soit encore en cours de maturation, avec une échelle de temps estimée à 5 ans, les retombées sont très attendues. Les aliments pourraient soulager de nombreux patients, au-delà même des personnes qui luttent contre un cancer. « Le projet Onco-Nutribiota n’est que le début d’une histoire qui peut se décliner à grande échelle et concerner de nombreux domaines », conclut Nicolas Benech. À terme, les aliments développés pourront être proposés à l’ensemble des patients touchés par la dénutrition, soit près de deux millions de personnes en France – un enfant sur dix, et près de 40 % des personnes âgées hospitalisées.


Nicolas Benech est médecin gastroentérologue et chercheur au Centre de recherche en cancérologie de Lyon (unité 1052 Inserm/CNRS/Université Claude- Bernard – Lyon 1/Centre Léon-Bérard).


Autrice : M. R.

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