Bioterrorisme : un antidote contre la ricine

Une équipe Inserm a largement contribué au développement d’un aérosol capable d’administrer rapidement, au plus profond des poumons, un antidote contre la ricine. Ce produit, très toxique lorsqu’il est inhalé, est extrêmement redouté en cas d’attaque bioterroriste.

Trois ans : C’est le temps qu’il a fallu à une équipe Inserm* du Centre d’étude des pathologies respiratoires (Tours), pour développer un aérosol capable de déposer un antidote contre la ricine au plus profond des poumons. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un consortium international, impliquant notamment l’université de Tours, l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) et la société DTF medical (Saint-Etienne), spécialisée dans les dispositifs médicaux innovants. 

L’enjeu était de taille. La ricine est en effet une substance particulièrement toxique lorsqu’elle est inhalée. Elle gagne rapidement les poumons, puis les alvéoles. De là, elle détruit les cellules de l’hôte et entraine successivement œdème pulmonaire, insuffisance respiratoire aiguë, puis décès en quelques jours. Or, cette substance est extractible d’une plante commune, largement répandue dans le monde, et très facile à produire. Une attaque bioterroriste par la diffusion aérienne de ricine est donc crainte. Elle serait redoutable. A ce jour, si un vaccin préventif est en cours de développement, aucun antidote reconnu n’est disponible en cas d’attaque.

L’armée n’a pas attendu les récents événements survenus en France pour se méfier de cette toxine et se préparer à cette éventualité. Pour preuve, l’IRBA a développé il y a plusieurs années, un anticorps monoclonal, capable de se lier spécifiquement à la ricine et de l’inhiber. Il a également mis au point un test ultrarapide de détection d’une intoxication à la ricine. 

Un bon début mais encore fallait-il adapter cet anticorps pour une utilisation clinique et, surtout, réussir à l’administrer efficacement dans les poumons, en particulier dans les petites alvéoles où la ricine fait des ravages. Voilà pourquoi l’armée a sollicité l’aide d’un laboratoire Inserm spécialisé dans l’administration de biomédicaments par voie respiratoire. Le projet a été financé par la Direction générale de l’armement. 

Un nébuliseur inédit

Les chercheurs ont commencé par modifier l’anticorps pour améliorer son utilisation chez l’homme. Ils ont ensuite testé son efficacité chez l’animal et montré qu’il peut être administré jusqu’à six heures après l’intoxication à la ricine pour être efficace : 100% des animaux intoxiqués sont alors sauvés. 

Mais le défi résidait encore dans la fabrication d’un dispositif d’administration adapté. Plusieurs éléments étaient à prendre en compte : D’une part l’armée a imposé un cahier des charges, incluant des détails pratiques comme le stockage de l’antidote dans des lieux et situations de combat. D’autre part les chercheurs savaient que l’aérosolisation altère souvent les produits biologiques inhalés : « L’aérosolisation stresse les anticorps, qui se dénaturent et peuvent perdre leur fonction ou être mal tolérés en raison de la formation d’agrégats », clarifie Nathalie Heuzé-Vourc’h*, responsable des travaux. Tout devait donc se jouer sur cette étape. « Chaque détail devait être spécifique du produit et a été pensé pour un dépôt efficace dans les alvéoles : la taille des gouttelettes, leur nombre, la technologie du générateur de l’aérosol, la composition de l’anticorps… », explique-t-elle. 

Forts de leur expertise, les chercheurs ont développé un nébuliseur inédit. Il permet de mélanger la poudre d’anticorps, stockée dans une grande seringue, avec une solution adaptée pour son aérosolisation. Le tout est automatiquement transféré dans le réservoir d’un générateur d’aérosol qui fonctionne sur piles. L’aérosol généré est stocké dans une chambre d’inhalation, pour maximiser la quantité d’antidote délivrée à la victime. Celle-ci y inspire et y expire pendant plusieurs minutes, de sorte qu’il n’y a pas de perte de produit et que ce dernier pénètre profondément dans le tractus pulmonaire. 

Les chercheurs ont déjà testé leur dispositif sur des singes. Ils ont ainsi pu vérifier qu’il permettait bien de déposer les anticorps dans les alvéoles, et que ceux-ci y persistaient jusqu’à six heures. Reste à vérifier qu’il en est de même chez l’homme. Il faudra aussi tester l’efficacité du dispositif dans des conditions d’intoxication, chez l’animal. Une étape compliquée à franchir tant l’utilisation de la ricine est contrôlée en France. Les décisions qui permettront de poursuivre le projet appartiennent maintenant à l’armée. 

Note

*unité 1100 Inserm/université François Rabelais, Centre d’étude des pathologies respiratoires, Tours 

Source

R. Respaud et coll. Development of a drug delivery system for efficient alveolar delivery of a neutralizing monoclonal antibody to treat pulmonary intoxication to ricin. J Control Release, édition en ligne du 9 mai 2016