Association de malfaiteurs dans le cancer du sein

Les tumeurs du sein agressives dites « ERBB2 positives » impliqueraient bien plus d’acteurs cellulaires qu’on ne le pensait jusqu’ici. Une piste sérieuse pour expliquer pourquoi 50% des patientes résistent au traitement actuel... En ligne de mire : de nouvelles pistes pour améliorer la prise en charge de ces patientes.

Près de 20% des femmes atteintes d’un cancer du sein souffrent de tumeurs ERBB2+ ou HER2+, évoluant plus rapidement vers le développement de métastases. Leur nom vient d’une protéine, HER2, surexprimée à la surface des cellules tumorales. Heureusement, certains traitements ciblant la molécule HER2 ont prouvé leur efficacité contre ces tumeurs, tel l’anticorps trastuzumab. Mais un problème de taille subsiste : ils ne fonctionnent que pour 50 % des patientes, suggérant l’implication d’autres acteurs cellulaires... C’est précisément un de ces mystérieux acteurs que des équipes de chercheurs montpelliérains* viennent de démasquer. 

Deux gènes surexprimés

L’étude a démarré par l’analyse génétique de 402 échantillons de tumeurs du sein prélevées sur des patientes. C’est ainsi que les chercheurs ont fait une première découverte intrigante : « Dans plus de 50% des cas, un autre gène situé sur le même chromosome que celui codant HER2 était aussi surexprimé », indique Serge Roche, directeur-adjoint du Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier (CRBM) et co-pilote de l’étude avec Christine Bénistant. Ce second gène code pour TOM1L1, une protéine utilisée pour véhiculer des molécules au sein de vésicules, de l’intérieur vers l’extérieur de la cellule et vice-versa. Pour savoir si cette dernière joue bien un rôle dans l’agressivité des tumeurs HER2+, l’équipe du Dr Charles Theillet s’est d’abord plongée dans les dossiers médicaux des patientes. Résultat : au bout d’environ huit ans, le taux de survie sans métastases n’était que de 50% chez celles présentant cette « co-amplification » HER2/TOM1L1, contre 75% chez les autres. Seconde preuve : in vitro, les cellules surexprimant TOM1L1 envahissaient 2 à 4 fois plus des structures mimant le milieu extracellulaire autour des tumeurs. De quoi expliquer cette survenue plus rapide des métastases. 

Trafic cellulaire détourné

Mais à ce stade, restait encore à comprendre précisément le mécanisme d’action sous-jacent. Les chercheurs ont ainsi découvert une véritable association de malfaiteurs provoquant invasion cellulaire in vitro et métastases in vivo chez des souris. La pièce se joue en cinq actes. D’abord, TOM1L1 s’associe à une autre protéine nommée TOLLIP. Ensemble, elles activent le transport vésiculaire vers l’extérieur des cellules d’un troisième malfaiteur : MT1-MMP, protéine connue pour son rôle majeur dans la dissémination des tumeurs dans l’organisme. Cette dernière migre alors vers des structures de la membrane cellulaire capables de projeter des sortes de tentacules vers le milieu extérieur : les invadopodes. De là, MT1-MMP va dégrader la matrice extracellulaire. Conséquence : la cellule tumorale peut ainsi s’échapper de sa tumeur d’origine... pour aller coloniser d’autres tissus de l’organisme ! 

Ces travaux entrouvrent plusieurs pistes. « Tout d’abord, l’amplification du gène de TOM1L1 pourrait être utilisé comme un marqueur de mauvais pronostic dans les cancers du sein HER2-positifs », indique Serge Roche. On peut aussi imaginer le développement de thérapies capables de bloquer ce nouveau mécanisme mis à jour. « L’idée serait de bloquer en amont l’action de la protéine TOM1L1 et ainsi la perturbation du trafic intracellulaire qu’elle provoque », complète le chercheur. Pour l’heure, ce dernier étudie de près un mécanisme similaire découvert dans le cancer du côlon. 

Note

* Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier), Centre de biologie structurale (CNRS/Inserm/Université de Montpellier), Institut de recherche en cancérologie de Montpellier (unité Inserm U896), unité de recherche translationnelle, Institut du cancer de Montpellier, Montpellier RIO imaging, plateforme de protéomique fonctionnelle de Montpellier. 

Source

C. Chevalier et coll., TOM1L1 drives membrane delivery of MT1-MMP to promote ERBB2-induced breast cancer cell invasion, Nature Communications, doi : 10.1038/ncomms10765, 2016.