Syndrome d’apnées du sommeil

Une altération majeure de la qualité de vie et un risque élevé de maladies cardiométaboliques

Le syndrome d’apnées du sommeil – également appelée syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (ou SAHOS) – se manifeste chez l’adulte par des fermetures répétées du pharynx au cours du sommeil. Il en résulte des interruptions ou des réductions de la ventilation (donc de la respiration) et des micro-réveils incessants dont le patient n’a pas conscience. Ces anomalies ont des conséquences importantes sur la qualité de vie : somnolence, difficultés de concentration ou de mémoire, irritabilité… À long terme, elles augmentent le risque de développer des complications cardiométaboliques. Les chercheurs tentent de mieux comprendre les mécanismes impliqués et de développer des traitements et des modes de suivi plus efficaces et innovants.

Dossier réalisé en collaboration avec Jean-Louis Pépin (unité Inserm 1300, Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaires et respiratoires, CHU de Grenoble)

Comprendre le syndrome d’apnées du sommeil

Le syndrome d’apnées du sommeil de l’adulte est causé par un relâchement des muscles des parois de la gorge (ou « pharynx »). Ce conduit devient mou et l’air y passe difficilement, provoquant au passage des vibrations à l’origine de ronflements. Le débit d’air inspiré est significativement diminué, ce qui entraîne une « hypopnée ». Si les parois du pharynx s’effondrent totalement (« collapsus pharyngé »), le passage de l’air est totalement interrompu : ce phénomène se traduit par une apnée. Un système d’alerte se déclenche alors dans le cerveau et provoque un micro-réveil (d’une durée de quelques secondes) : cet évènement stimule un système neurologique réflexe qui active les muscles pharyngés, permettant la réouverture du pharynx et la restauration du passage de l’air. La respiration reprend… jusqu’à l’obstruction suivante.

Chez les personnes qui souffrent du syndrome d’apnées du sommeil, la fermeture du pharynx – complète ou incomplète – se produit au moins 5 fois par heure de sommeil, pendant au moins 10 à 30 secondes à chaque fois (et parfois pendant une minute et demi ou même plus). Certains patients connaissent plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’apnées/hypopnées au cours d’une même nuit. La fragmentation du sommeil et les perturbations respiratoires qui lui sont associées conduisent à des perturbations importantes de la qualité de vie (fatigue, somnolence…), et à des difficultés sociales et professionnelles (difficulté de concentration, irritabilité…). En outre, s’il n’est pas pris en charge, le syndrome d’apnées du sommeil accroît le risque de maladies cardiovasculaires et métaboliques à long terme.

Apnées obstructives ou centrales ?

Parallèlement aux apnées provoquées par l’obstruction des voies aériennes, il existe des apnées dites centrales : beaucoup plus rares, elles sont causées par des anomalies du contrôle de la respiration au niveau du système nerveux central.

Elles peuvent en particulier survenir chez des personnes qui souffrent de maladies cardiovasculaires (insuffisance cardiaque, fibrillation atriale). Leur prise en charge passe par l’optimisation du traitement des maladies sous-jacentes et, si cette mesure est insuffisante, un mode de ventilation spécifique.

Certains médicaments (baclofène, ticagrélor, opiacés…) peuvent également favoriser l’apparition d’apnées centrales, qui disparaissent lorsque le traitement est suspendu.

Un milliard de personnes touchées dans le monde

Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil constitue un problème de santé publique sous-estimé, mais pourtant majeur : on estime qu’une personne sur 10 souffre d’apnées nocturnes dans le monde. En France, 1,8 millions de patients seraient actuellement traités par pression positive continue (voir plus loin) pour un syndrome d’apnées du sommeil. Le vieillissement de la population et la prévalence croissante de certains facteurs de risque (obésité, syndrome métabolique…) devraient conduire à l’augmentation du nombre de personnes concernées, avec des conséquences sur l’organisation du système de soins et de sa capacité à prendre en charge tous ces patients. Cette perspective incite à développer des méthodes diagnostiques, de traitement et de suivi innovantes.

Âge, sexe et surpoids : les principaux facteurs de risque

L’âge constitue le principal facteur de risque d’apnées du sommeil. Le vieillissement est en effet associé à une perte de tonicité des muscles des voies aériennes supérieures, qui facilite les collapsus du pharynx. De fait, chez les adultes, l’incidence du syndrome d’apnées du sommeil augmente de façon quasiment linéaire en fonction de l’âge : 7,9 % des personnes âgées de 20 à 44 ans, 19,7 % des 45–64 ans et 30,5 % des personnes de plus de 65 ans sont concernées. Néanmoins, ces chiffres sont probablement sous-estimés compte tenu du caractère peu symptomatique du syndrome chez certaines personnes.

Une maladie vue comme masculine, mais qui touche aussi les femmes

Le syndrome d’apnées du sommeil est globalement deux fois plus fréquent chez les hommes que chez les femmes. Cependant, cette différence liée au sexe devient non significative après la ménopause. De plus, les femmes seraient victimes de sous-diagnostic et d’un plus grand délai diagnostique : lorsqu’elles vivent en couple, les hommes repèrent et se plaignent moins souvent des ronflements et des apnées de leur conjointe, et leurs symptômes sont souvent moins sévères et moins bien perçues par elles-mêmes (pour des symptômes de sévérité comparable).

Le surpoids, et a fortiori l’obésité, constituent un autre facteur de risque important. L’apparition de dépôts graisseux autour du conduit pharyngé entraîne en effet un rétrécissement des voies aériennes. Plus de 60 % des individus qui présentent un syndrome métabolique (associant une obésité abdominale et des troubles du métabolisme) ou un diabète de type 2 souffrent d’un syndrome d’apnées du sommeil.

Enfin, il existe une susceptibilité individuelle liée au profil morphologique maxillo-facial : les personnes qui ont un menton en arrière (rétrognathisme) et/ou un désalignement des dents avec une mâchoire supérieure en avant de la mâchoire inférieure (malocclusion dentaire de classe 2) ont un espace derrière la langue (rétro-lingual) réduit qui rend le passage de l’air moins facile. Par ailleurs, une prédisposition existe dans certaines familles : bien qu’aucun gène associé à ce syndrome n’ait été clairement identifié à ce jour, le fait d’avoir un père ou une mère atteinte d’apnées du sommeil accroît le risque pour soi-même.

Sur le plan de l’hygiène de vie, la consommation d’alcool, le tabagisme, certains médicaments, ou le fait de dormir sur le dos vont aussi favoriser la survenue d’apnées. Le cumul des facteurs de risque accroît le risque de souffrir de la maladie.

Des conséquences importantes à court et à long terme

La nuit, les apnées conduisent à un sommeil agité, avec des ronflements, des arrêts respiratoires qui peuvent être perçus par l’entourage, des reprises respiratoires bruyantes à la fin des apnées et un besoin accru d’uriner au cours de la nuit (nycturie).

Au quotidien, la fragmentation du sommeil due aux micro-réveils perturbe la qualité de vie : le patient souffre de fatigue et de somnolence diurne, d’une irritabilité, de difficultés de concentration ou de diminution de certaines de ses performances cognitives (attention, mémorisation…). Le syndrome d’apnées du sommeil expose ainsi à un risque accru d’accidents domestiques ou d’accidents de la route. Il impacte en outre la vie sociale et affective (dépression, isolement) ou professionnelle, (perte de productivité, absentéisme). Ces conséquences délétères sont pour l’essentiel réversibles avec le traitement du syndrome d’apnées du sommeil.

À long terme, il est établi que le syndrome d’apnées du sommeil augmente le risque de survenue de troubles cardiovasculaires et métaboliques : syndrome métabolique, hypertension, troubles du rythme cardiaque (principalement nocturnes), athérosclérose (dépôts de plaques d’athérome sur la paroi des artères), diabète de type 2. Ces complications augmentent le risque d’accidents cardiovasculaires comme l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral, et exposent à un risque de décès prématuré.

Il apparaît que la fréquence et la sévérité des apnées/hypopnées (on parle de « charge hypoxique ») sont prédictives de la mortalité cardiovasculaire. Les micro-réveils entraînent une activation du système nerveux sympathique qui participe à la morbi-mortalité cardiovasculaire. L’intensité des efforts respiratoires pour lever l’obstruction des voies aériennes supérieures entraîne de grandes variations de la pression intrathoracique qui participent aux conséquences cardiovasculaires. Les micro-réveils entraînent quant à eux une activation du système nerveux sympathique qui augmente la morbi-mortalité cardiovasculaire.

Les maladies cardiométaboliques surviennent quant à elles sous l’influence d’une inflammation de bas grade, d’une augmentation du stress oxydant et de l’activation sympathique liées aux apnées.

Des enregistrements du sommeil, nécessaires au diagnostic

Lorsqu’un syndrome d’apnées du sommeil est suspecté, des enregistrements du sommeil doivent être réalisés dans un centre spécialisé ou au domicile du patient :

  • La polygraphie ventilatoire nocturne consiste à enregistrer la respiration pendant au moins six heures, à l’aide d’un capteur de pression nasale, de ceintures abdominales et thoraciques qui permettent de caractériser les mouvements respiratoires, de capteurs de sons qui enregistrent les ronflements et d’un oxymètre placé au bout du doigt pour mesurer l’oxygénation du sang (SaO2).
  • La polysomnographie est un examen beaucoup plus complet qui renseigne précisément sur la sévérité d’un syndrome d’apnées du sommeil. Elle inclut des signaux caractérisant l’activité cérébrale et musculaire, pour reconnaître les stades de sommeil. L’examen combine : un électroencéphalogramme pour analyser l’activité cérébrale, un électromyogramme pour l’activité musculaire, un électro-oculogramme pour les mouvements des yeux, un électrocardiogramme pour l’activité cardiaque et l’ensemble des capteurs respiratoires inclus dans la polygraphie ventilatoire.

En pratique, la complexité et la spécificité technique de ces tests entraînent souvent des délais de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour accéder à un enregistrement qui permettra le diagnostic d’un syndrome d’apnées du sommeil. Une vague d’innovations diagnostiques a émergé ces dernières années avec des dispositifs connectés qui permettent de conduire les explorations au domicile des patients (par exemple le capteur Sunrise). Ces développements offrent la possibilité d’augmenter l’accessibilité au diagnostic et de rendre ce dernier plus fiable en documentant la sévérité de la maladie au cours de plusieurs nuits successives.

Des mesures hygiéno-diététiques à la ventilation en pression positive continue (PPC)

Face à un diagnostic de syndrome d’apnées du sommeil associé à une surcharge pondérale, la première recommandation est d’optimiser son mode de vie, avec une perte de poids et une augmentation de son activité physique. Une réduction de 10 à 15 % du poids initial réduit nettement la sévérité des apnées du sommeil. Les approches positionnelles (dormir sur le côté plutôt que sur le dos, oreiller de positionnement…) aident aussi limiter le collapsus des voies aériennes supérieures.

Au-delà de ces mesures, la ventilation en pression positive continue (PPC) est le traitement de référence du syndrome d’apnées du sommeil. Elle consiste en l’administration d’air en pression continue pendant la nuit, pour éviter la fermeture du pharynx. L’amélioration de la qualité de vie est en général très importante et survient en quelques semaines. L’amélioration du pronostic cardiovasculaire dépend de la durée d’utilisation de la PPC. Cette technique nécessite en effet le port d’un masque relié à une machine pendant toute la nuit : une contrainte qui conduit une personne sur deux à abandonner l’utilisation de la PPC au bout de 3 ans.

Le développement du télésuivi, du suivi numérique, et des téléconsultations permet d’améliorer le suivi de ces patients et de les accompagner de façon personnalisée. Ces technologies de médecine numérique/télémédecine aident également à gommer les inégalités géographiques d’accès au suivi et à la prise en charge.

Une autre approche thérapeutique passe par l’utilisation d’une orthèse d’avancée mandibulaire. Il s’agit d’un appareil amovible qui se porte la nuit et permet d’avancer la mâchoire de quelques millimètres pour élargir le pharynx. Son utilisation est généralement réservée aux syndromes d’apnées du sommeil modérés, et en particulier aux patients qui ne tolèrent pas la PPC. Son indication dépend également des spécificités anatomiques dentaires ou maxillo-faciales du patient et de ses préférences. Ces dispositifs doivent être fabriqués sur mesure. Ils nécessitent le recours à un dentiste spécialisé et à un parcours d’ajustement qui demande généralement plusieurs semaines à quelques mois.

Dans de rares cas, une prise en charge chirurgicale peut être proposée à des patients qui présentent des anomalies anatomiques majeures (très grosses amygdales, mâchoire inférieure reculée…).

Dans tous les cas, les modalités de prise en charge et de suivi sont personnalisées en fonction du profil du patient, des spécificités de son syndrome d’apnées et de ses comorbidités.

Les enjeux de la recherche

Le syndrome d’apnées du sommeil fait l’objet de travaux précliniques et de recherche clinique qui visent à mieux comprendre ses liens avec les complications cardiovasculaires qui lui sont associées et avec la surmortalité observée chez les patients.

De nouveaux biomarqueurs de sévérité

Pour mieux caractériser la maladie, les chercheurs s’attachent à définir et valider des nouveaux biomarqueurs qui aideront à catégoriser les patients selon la sévérité de leur atteinte. En effet, l’indice d’apnées/hypopnées, qui comptabilise le nombre d’évènements respiratoires anormaux par heure de sommeil, ne reflète pas fidèlement la sévérité de la maladie. Il est peu relié aux symptômes et ne prédit pas le risque cardiovasculaire. Disposer de marqueurs plus fortement associés à la sévérité réelle du syndrome d’apnées du sommeil permettrait de mieux prédire l’évolution de la maladie et de suivre l’efficacité des différents traitements mis en œuvre. Plusieurs biomarqueurs sont aujourd’hui à l’étude comme la charge hypoxique, les variations de fréquence cardiaque à la fin des apnées/hypopnées (« réponse autonomique ») ou encore l’amplitude de l’onde de pouls, qui reflète les variations de la pression artérielle liée aux évènements respiratoires nocturnes.

Vers une meilleure connaissance des endotypes

Comme pour beaucoup de pathologies, les chercheurs s’attèlent à caractériser des groupes de patients chez lesquels la maladie repose sur les mêmes mécanismes biologiques sous-jacents (on parle d’« endotypes »). Des études cliniques pourraient alors être conduites dans chacun de ces ensembles homogènes de malades, afin d’évaluer des traitements ciblés qui leur seraient spécifiques, ou encore des séquences ou des combinaisons d’approches qui ont une probabilité plus élevée d’être efficace .

De nouvelles options thérapeutiques, y compris pharmacologiques

Des traitements médicamenteux commencent à être développés pour le syndrome d’apnées du sommeil : Certains visent à améliorer le tonus musculaire des voies aériennes supérieures, pour réduire la fréquence des épisodes d’apnées et hypopnées (atomoxétine, oxybutynine). Les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (acétazolamide, sulthiame) aideraient à stabiliser la commande ventilatoire. Des traitements sont d’ores et déjà remboursés en France pour réduire la somnolence résiduelle sous pression positive continue (pitolisant, solriamfetol). D’autres molécules s’attachent à augmenter le seuil d’éveil, pour limiter les micro-réveils liés aux apnées et hypopnées. Ces médicaments font l’objet d’études cliniques afin de valider leur efficacité et leur sécurité.

En parallèle, les dispositifs médicaux (pression positive continue et orthèse) s’améliorent d’année en année. En offrant un meilleur confort aux patients et combinés avec les plateformes de télésuivi, ils devraient permettre d’améliorer l’observance, c’est-à-dire le respect des traitements.

Par ailleurs, un implant a été conçu pour permettre la stimulation électrique du nerf hypoglosse. Ce nerf commande l’activité des muscles des voies aériennes supérieures et sa stimulation par l’implant induit leur contraction pendant l’inspiration pour éviter les collapsus (fermetures) pharyngés. Pour l’instant, cette technique a démontré son efficacité lors d’essais cliniques réalisés chez des patients sélectionnés, peu obèses et présentant un syndrome d’apnées du sommeil modérément sévère.

L’obésité, fréquemment associée au syndrome d’apnées du sommeil, bénéficie de traitements qui réduisent efficacement l’index de masse corporelle : chirurgie bariatrique, médicaments anti-GLP1... Des études dédiées doivent maintenant être menées pour évaluer s’ils améliorent simultanément la sévérité de l’atteinte respiratoire.

L’apport de la médecine numérique et de l’intelligence artificielle

L’utilisation à grande échelle de la ventilation en pression positive continue, un dispositif médical connecté, permet de recueillir chaque nuit des informations sur l’utilisation et l’efficacité de ce traitement. De fait, la prise en charge des patients français aboutit à des millions de données de suivi disponibles chaque jour, qu’il est aujourd’hui possible d’exploiter pour optimiser la prise en charge des patients. L’exploitation automatisée de ces données par des algorithmes (intelligence artificielle) devrait aider les praticiens à personnaliser les suivis, déclencher des alertes et adapter les prises en charge.

Pour aller plus loin