Glaucome

Mieux dépister pour lutter contre une cause majeure de cécité

Le glaucome est une maladie de l’œil associée à la destruction progressive du nerf optique, le plus souvent causée par une pression trop importante à l’intérieur de l’œil. Cette pathologie constitue la seconde cause de cécité dans les pays développés. A ce jour, des traitements permettent de stopper son évolution mais ils ne permettent pas de restaurer la vision lorsque la maladie est déjà évoluée. Le dépistage précoce du glaucome est donc primordial.

Dossier réalisé en collaboration avec Christophe Baudouin, chef du service III au Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts (Paris) et du service d’ophtalmologie de l’Hôpital Ambroise Paré (92), directeur de recherche à l’Institut de la vision, unité 968 Inserm/CNRS/UPMC (Paris)

Comprendre le glaucome

Le glaucome est une maladie oculaire associée à la destruction progressive du nerf optique sous l’influence de plusieurs facteurs. Le plus fréquent de ces facteurs est l’hypertonie oculaire, c’est à dire une pression trop importante à l’intérieur de l’œil. L’atteinte visuelle causée par la maladie touche d’abord la périphérie du champ visuel, puis s’étend progressivement vers son centre. Le glaucome est souvent diagnostiqué à un stade déjà très évolué, lorsque la vision centrale est menacée. Le handicap visuel est alors irréversible. 

La pression oculaire en cause

L’hypertonie oculaire le plus souvent à l’origine de la maladie est causée par un problème d’évacuation du liquide intraoculaire qui nourrit le cristallin et la cornée. Ce liquide, nommé « humeur aqueuse », s’écoule normalement au travers d’un filtre appelé « trabéculum ». 

Dans la plupart des cas de glaucome, une altération du trabéculum d’origine génétique entrave l’écoulement de l’humeur aqueuse. On parle alors d’un glaucome à angle ouvert. Il s’agit de la forme la plus fréquente de la maladie, d’évolution lente. Le filtre retient le liquide intraoculaire, la pression monte et se répartit dans l’ensemble de la sphère oculaire. Elle retentit sur le nerf optique en détruisant progressivement les cellules nerveuses qui le constituent. 

Schéma d'un œil atteint de glaucome : le trabéculum se bouche et la pression intra-occulaire augmente.
© Inserm, Frédérique Koulikoff

Moins souvent, c’est l’anatomie de l’œil qui est altérée. L’accès de l’humeur aqueuse au trabéculum peut alors être difficile, voire impossible. Le même phénomène d’hypertonie oculaire se produit mais on parle dans ces cas de glaucome à angle fermé. Celui-ci peut se manifester brutalement par des crises nocturnes, douloureuses et très destructrices nécessitant un traitement en urgence. 

Néanmoins, les crises sont souvent moins violentes, entrainant peu ou pas de douleur. Elles détruisent le nerf optique de manière insidieuse, rapide et irréversible. Ces glaucomes sont particulièrement agressifs. 

Dans de rares cas, le glaucome n’est pas lié à une hypertonie oculaire. Des glaucomes à composante neurologique ou vasculaire, à pression oculaire normale, peuvent entrainer des dégâts similaires. 

Trabéculum glaucomateux
Trabéculum glaucomateux : raréfaction majeure des cellules trabéculaires (iodure de propidium). La coloration verte est due à l’autofluorescence de l’élastine constitutive des mailles trabéculaires.© C. Baudouin

Une maladie fréquente, notamment après 40 ans

Le glaucome constitue la seconde cause de cécité dans les pays développés, après la dégénérescence maculaire liée à l’âge. La maladie peut survenir à tout âge, y compris à la naissance. Toutefois, sa fréquence augmente avec les années, notamment après 40 ans. Le glaucome touche 1 à 2 % de la population de plus de 40 ans et environ 10 % après 70 ans. Environ 800 000 personnes sont traitées en France mais 400 000 à 500 000 présenteraient la maladie sans le savoir. 

Un dépistage indispensable

La destruction du nerf optique est le plus souvent asymptomatique. Le déficit visuel devient réellement gênant quand la maladie est déjà très avancée. Elle est alors irréversible. Les deux yeux ne sont pas toujours atteints de la même façon et l’un peu compenser l’autre, retardant le diagnostic. 

L’atteinte fonctionnelle peut être évitée par un traitement médicamenteux au long cours bien suivi, à condition de le débuter avant la destruction des cellules nerveuses. Tout l’enjeu repose donc sur le dépistage précoce de la maladie.

En raison du caractère le plus souvent silencieux de la maladie et de sa fréquence dans la population générale, un dépistage systématique et régulier est recommandé à partir de 40 ans, notamment dans les familles à risque (dont certains membres ont développé la maladie). 

Ce dépistage repose sur la mesure de la pression oculaire qui doit être inférieure à 20 mmHg (la moyenne étant de 15mmHg) et sur l’analyse de la papille optique au cours d’un fond d’œil. La papille optique tend en effet à se creuser et s’atrophier en cas de destruction des fibres nerveuses. 


Quels sont les facteurs de risque ?

Environ 30 % des glaucomes ont un caractère héréditaire et le dépistage doit être renforcé dans les familles présentant des antécédents de glaucome. Par ailleurs, l’augmentation de l’âge, une très forte myopie, une hypertension, un diabète, une apnée du sommeil ou encore la prise prolongée de corticoïdes peuvent accroitre le risque de glaucome. 


Une évolution plus ou moins rapide

Le glaucome à angle ouvert, le plus fréquent, évolue lentement. Il s’écoule généralement plusieurs années, voire dizaines d’années avant la survenue d’un déficit visuel invalidant ou même simplement ressenti. Le glaucome à angle fermé évolue beaucoup plus rapidement et peut entrainer des séquelles au bout de quelques mois ou même quelques semaines si la pression intra oculaire est très élevée, au delà de 40 mmHg. 

L’atteinte du nerf optique peut être évitée par un traitement au long cours bien suivi, débuté précocement. Quand la pression intraoculaire est modérée, un traitement médicamenteux permet de la normaliser et de protéger les cellules nerveuses dans la grande majorité des cas. 

Plusieurs classes de médicaments peuvent être utilisées et éventuellement associées entre elles : les prostaglandines ou encore les bêta-bloquants. Ces médicaments sont le plus souvent administrés sous forme de collyre et doivent être pris à vie. 

En cas d’échec du traitement, de mauvaise tolérance ou de pression intraoculaire très élevée, le laser ou la chirurgie sont des alternatives intéressantes. Le laser stimule les cellules du trabéculum sous l’impulsion de l’énergie lumineuse et augmente le flux découlement de l’humeur aqueuse. La chirurgie consiste quant à elle à libérer le trabéculum sous anesthésie locale. 

La maladie peut être contrôlée par une monothérapie médicamenteuse chez environ la moitié des patients atteints de glaucome chronique. Chez les autres, il est nécessaire d’associer plusieurs médicaments et de recourir au laser et / ou à la chirurgie pour stopper l’évolution de la maladie. 

A ce jour aucun traitement ne permet de restaurer la vision quand le nerf optique est touché. 

Contre les forces obscures – animation pédagogique – 2min23 – vidéo extraite de la série A bord du Nanotilus (2011)

Les enjeux de la recherche

« Voir » les glaucomes

Le Centre d’investigation clinique de l’hôpital des Quinze-vingts (Paris) bénéficie des technologies de pointe en matière d’imagerie médicale. Des outils de plus en plus performants permettent des observations toujours plus précises des différentes structures de l’œil. Le balayage au laser offre par exemple la possibilité d’observer un trabéculum obstrué. L’optique adaptative permet quant à elle de voir la tête du nerf optique et de discerner la perte de quelques fibres nerveuses sur les 1,5 millions que compte un nerf optique. 

Ces technologies facilitent le diagnostic en permettant la détection très précoce de la destruction des cellules nerveuses, avant la survenue du déficit visuel. Elles renseignent également sur les mécanismes de la maladie. Récemment, les médecins du Centre d’investigation clinique ont par exemple constaté que les pores par lesquels passent les fibres nerveuses qui vont au nerf optique sont désorganisés chez les personnes atteintes de glaucome. Reste à savoir si ces altérations constituent des facteurs de risque de la maladie ou des signes précoces d’atteinte.

Améliorer la tolérance aux traitements disponibles

Les médicaments sont le plus souvent efficaces pour abaisser la pression intraoculaire mais ils s’accompagnent la plupart du temps d’effets indésirables liés à la présence de conservateurs destinés à retarder la contamination de la solution après son ouverture. Ces composants entrainent un risque d’inflammation, de rougeur et de sécheresse oculaire. De récents travaux de toxicologie ont permis d’identifier les substances en cause et d’en tester de nouvelles pour permettre aux industriels de proposer des collyres mieux tolérés, notamment parmi ceux à base de prostaglandines. 

Une nouvelle classe thérapeutique en cours d’évaluation

Une équipe de l’Inserm a récemment montré que le glaucome est associé à une inflammation locale induite par une molécule particulière. En bloquant l’action de cette molécule chez des rats présentant une hypertonie oculaire, les chercheurs sont parvenus à restaurer l’écoulement normal de l’humeur aqueuse, à diminuer la pression intraoculaire et à protéger la fonction visuelle de ces animaux. Ces résultats très prometteurs ouvrent la voie à l’évaluation d’un nouveau traitement chez l’homme.

Réparer le nerf optique

Le traitement du glaucome repose aujourd’hui sur l’abaissement de la pression intraoculaire, mais il ne permet pas encore de préserver ou de réparer directement le nerf optique. Plusieurs équipes de recherche travaillent dans ce sens. Elles ont déjà montré de façon expérimentale que certaines molécules présentent un potentiel neuroprotecteur. Parmi ces molécules, les alpha‑2 agonistes, qui stimulent des molécules protectrices et favorisent la sécrétion de facteurs neurotrophiques, sont déjà commercialisés comme collyre antiglaucomateux. Les antagonistes des récepteurs du glutamate sont également très prometteurs, mais la démonstration de leur efficacité clinique n’a pas encore été faite.