Carcinome hépatocellulaire : un inhibiteur clé identifié pour combattre les tumeurs ?

Renaud Dentin est chercheur à l’Institut Cochin (unité Inserm 1016 / CNRS / Université Paris Cité) à Paris. Avec ses collaborateurs, il vient de démontrer l’implication d’une protéine spécifique dans la prolifération des cellules tumorales d’un cancer du foie, le carcinome hépatocellulaire. Les résultats, publiés cette semaine dans Nature Communications, identifient un inhibiteur qui pourrait permettre de mieux combattre cette tumeur, mais aussi d’autres formes de cancer comme le cancer du sein.

Le contexte

Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est le type de cancer du foie le plus fréquent, mais pour lequel les options thérapeutiques demeurent encore limitées, le meilleur traitement étant le retrait par chirurgie. Cependant, dans les cas où cette maladie est dépistée tardivement, cela ne suffit pas, et la voie médicamenteuse est alors privilégiée. La quasi-totalité des essais cliniques en cours s’intéressent à l’immunothérapie, une thérapie utilisant le système immunitaire, mais 60 à 70 % des patients y sont encore résistants. Il apparaît donc comme essentiel d’identifier les facteurs qui influencent cette réponse aux traitements.

On sait que les cellules cancéreuses présentent un métabolisme spécifique, qui s’adapte pour répondre à leurs besoins énergétiques accrus, leur prolifération rapide nécessitant en effet une dépense énergétique considérable par rapport aux cellules normales. Cibler ces métabolismes particuliers pourrait ainsi constituer une approche potentielle pour restreindre la multiplication des cellules cancéreuses. Ces dernières années, diverses molécules ont été évaluées dans cette perspective.

C’est dans ce cadre que Renaud Dentin et son équipe ont mené un projet de recherche soutenu financièrement par l’Inserm, la Fondation ARC, la Ligue contre le Cancer, la Ville de Paris (projet Émergence), l’Europe (via un financement ERC Starting Grant), le CNRS et Université Paris Cité. L’objectif ? Déterminer le rôle joué par une protéine spécifique, le facteur de transcription ChREBP (Carbohydrate responsive element binding protein), dans l’initiation et le développement du carcinome hépatocellulaire.

Les résultats

Grâce aux informations recueillies auprès de 1 500 patients atteints de CHC, et provenant de 10 cohortes distinctes, les scientifiques ont démontré une augmentation systématique de l’expression de la protéine ChREBP au sein des tumeurs par rapport aux cellules non tumorales. Dans ces diverses cohortes humaines, il a été observé que les patients présentant une expression élevée de ChREBP dans leur tumeur avaient une espérance de vie réduite par rapport à ceux dont l’expression de la protéine était faible. Ces données fournissent la première preuve expérimentale chez l’Homme d’un rôle potentiel de ChREBP dans les mécanismes d’initiation et de développement du carcinome hépatocellulaire.

L’équipe de recherche a ensuite réussi à identifier le premier inhibiteur pharmacologique de ChREBP, qui serait capable de ralentir la croissance des cellules cancéreuses en bloquant certaines actions importantes pour leur développement. De manière significative, il a été observé que cet inhibiteur augmente l’efficacité d’un traitement anticancéreux existant, le sorafénib, qui agit en bloquant les signaux favorisant la croissance des cellules cancéreuses. De plus, cet inhibiteur présenterait également des perspectives prometteuses dans le traitement d’autres formes de cancer telles que le cancer du sein, colorectal et les leucémies.

Les perspectives

Ce type de recherche fondamentale revêt une grande importance : elle permet de comprendre les mécanismes à l’origine du développement du cancer, ainsi que les mécanismes d’actions de nouvelles molécules. Ceci est essentiel pour amorcer des projets de recherche translationnelle situés entre la recherche fondamentale et la recherche clinique, qui visent à évaluer l’efficacité et la tolérance de nouveaux traitements chez les patients. Ces projets de recherche jouent un rôle majeur dans la lutte contre des fléaux sociétaux et environnementaux tels que le cancer.

Cette étude présente donc le premier inhibiteur pharmacologique identifié pour ChREBP, qui pourrait devenir un outil clé dans le traitement du CHC. Son potentiel en tant que nouvel agent thérapeutique pourrait éventuellement aboutir à un processus d’optimisation et de valorisation pharmacologique.


Renaud Dentin est chargé de recherche à l’Inserm, et membre de l’équipe Mitochondries, bioénergétique, métabolisme et signalisation de l’Institut Cochin à Paris (unité Inserm 1016 / CNRS / Université Paris Cité).


Source : E. Benichou et al. The transcription factor ChREBP Orchestrates liver carcinogenesis by coordinating the PI3K/AKT signaling and cancer metabolism. Nature Communications, 29 février 2024 ; doi : 10.1038/s41467-024–45548‑w