La dyspraxie est liée à une altération de la représentation de son corps

Les troubles de la coordination qui affectent la vie des personnes atteintes de dyspraxie seraient liés, au moins en partie, à une mauvaise représentation de leur corps dans l’espace. C’est ce que vient de montrer une équipe Inserm du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Ce travail ouvre la voie à des interventions précoces pour corriger ce déficit chez les très jeunes enfants et réduire le risque de dyspraxie sévère.

Les troubles développementaux de la coordination, aussi appelés dyspraxie, touchent entre 2 et 6 % des enfants d’âge scolaire selon les études. Ils entraînent notamment des difficultés à effectuer certaines tâches motrices comme écrire, nouer ses lacets, se brosser les dents, sauter ou grimper, jouer à la balle… La dyspraxie complique la vie quotidienne des enfants et leurs apprentissages.

Dyspraxie : maladroit, vraiment ? – animation pédagogique – 1 min 53 – déc 2019 

Alice Gomez étudie cette anomalie du neurodéveloppementau Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Suite à des observations réalisées sur des enfants concernés, elle estime que leurs troubles pourraient être liés à une mauvaise représentation et appréhension de leur corps, qui les empêche de reproduire facilement des mouvements observés ou de se mouvoir correctement dans l’espace. Pour tester cette hypothèse, la chercheuse et son équipe ont recruté 17 enfants de 8 à 12 ans qui présentaient une dyspraxie, 20 autres sans trouble des fonctions motrices, ainsi que 20 adultes également non dyspraxiques. L’ensemble de ces volontaires a été soumis à plusieurs expériences.

Des tests sensoriels et moteurs

La première, de nature sensorielle, consistait à deviner quelle partie de leur main ou de leur pied avait été stimulée par un chercheur. Concrètement, les participants étaient assis avec un bandeau sur les yeux, la main et le pied gauches disponibles pour un contact, sachant qu’ils étaient droitiers. Ils devaient décrire avec le plus précision possible l’endroit où le chercheur avait réalisé le contact. Le second test, moteur cette fois, consistait à poser ses mains sur un écran et à lever uniquement le doigt (de la main droite ou gauche) sous lequel une lumière s’allumait.

Au cours de la première expérience, les chercheurs ont constaté l’incapacité des enfants dyspraxiques à identifier précisément l’endroit touché sur leur main gauche. Alors que les témoins adultes ne faisaient aucune erreur et les enfants sans dyspraxie très peu, les enfants avec dyspraxie ont obtenu de piètres résultats, confondant leurs doigts. « C’est un peu comme s’ils avaient des grosses moufles et qu’ils devaient vivre avec au quotidien », illustre Alice Gomez. Et lorsque les contacts étaient réalisés sur les orteils, les scores étaient bien plus faibles chez les enfants dyspraxiques que chez les autres, avec peu d’entre eux capables de décrire précisément un site de stimulation au cours de l’expérience. La tâche motrice a, quant à elle, été correctement effectuée par l’ensemble des participants qui ont chaque fois soulevé le bon doigt. Cependant, les enfants dyspraxiques réalisaient davantage de mouvements parasites (syncinésies) : en même temps que leur doigt principal se levait, d’autres étaient mobilisés de façon involontaire, à proximité voire sur l’autre main. En comparaison, les mouvements des enfants sans dyspraxie étaient plus précis et individualisés.

Une prévention précoce

Pour la chercheuse, ce travail montre qu’il y a bien une anomalie dans la représentation du corps chez les enfants dyspraxiques, avec des répercussions sensorielles et motrices. « La construction mentale des différentes parties du corps, de leur position dans l’espace et de l’image qu’on perçoit de soi-même se fait mal chez ces enfants », explique-t-elle. Forte de ces résultats, l’équipe souhaite à présent développer des approches préventives destinées à réduire le risque de dyspraxie sévère. Pour cela, une doctorante de l’équipe va mettre en place le programme EnCor (pour « Enfant et Corps ») dans plusieurs maternelles : 600 enfants de 4 à 6 ans seront inclus à partir de janvier prochain. Leurs instituteurs, volontaires pour participer à l’expérience, leur proposeront quotidiennement pendant trois semaines un des 18 ateliers du programme destinés à stimuler leur représentation du corps grâce à des exercices sensoriels et moteurs et à la dénomination de ses différentes parties. Certains ateliers seront ensuite renouvelés pour approfondir certaines notions. « L’objectif est d’améliorer la motricité des enfants, mais aussi leurs compétences académiques qui s’appuient sur des représentations physiques, telles que les mathématiques », espère Alice Gomez.


Alice Gomez est chercheuse dans l’équipe Neurosciences de l’expérience subjective et entraînement mental (Eduwell) au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL, unité 1028 Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard Lyon 1).


Source : T. Gauduel et al. Alteration of body representation in typical and atypical motor development. Developmental Science, edition en ligne du 5 novembre 2023 ; doi : 10.1111/desc.13455

Auteur : A. R.

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