Quand une maladie génétique rare aide à mieux lutter contre le Covid-19

Seules certaines personnes développent une forme grave de Covid-19. Et ce phénomène ne semble pas directement lié au virus : il est vraisemblablement dû à la nature de la réponse immunitaire développée par l’organisme des patients concernés. Cette dernière présenterait alors des similitudes avec la réponse observée dans certaines maladies génétiques. Mettre à profit les avancées déjà réalisées chez des patients atteints de pathologies rares pourrait donc aider à mieux comprendre et combattre la nouvelle maladie virale.

Une large majorité des personnes infectées par le nouveau coronavirus développe une forme légère de Covid-19. Cependant, parmi les patients jusqu’ici dépistés, 15% nécessitent d’être hospitalisés et 5% devront être admis en réanimation pour une forme sévère. Pour améliorer le pronostic de ces malades, il est indispensable de comprendre s’ils présentent des spécificités. Hormis les éventuelles pathologies associées qui compliquent leur situation clinique, le système de défense de leur organisme semble aussi impliqué. En effet, une semaine environ après le début des symptômes, l’aggravation de l’état respiratoire observée chez certains n’est pas uniquement liée au virus : elle est aussi associée à une réponse immunitaire exagérée. On parle d’« orage cytokinique », un phénomène lié à la production en excès de certains médiateurs de l’inflammation (les cytokines), dont l’interleukine‑6 (IL‑6). D’autres marqueurs de la réponse aux infections, comme les interférons (IFN), semblent en revanche fortement diminués dans les formes graves. Par ailleurs, le virus peut être détecté dans les cellules du sang, alors que ce n’est pas le cas chez les patients qui souffrent de formes légères, suggérant un mauvais contrôle de l’infection.

Cette réponse immunitaire particulière présente une certaine ressemblance avec celle qui est observée dans la vasculopathie de l’enfant associée à STING (SAVI), une maladie génétique notamment responsable d’une atteinte pulmonaire. Ce constat a conduit l’équipe de Frédéric Rieux-Laucat* (Institut Imagine, Paris) à collaborer avec les services hospitaliers de l’hôpital Cochin à Paris (en particulier avec Benjamin Terrier en médecine interne et Solen Kernéis en infectiologie) prenant en charge des patients atteints de Covid-19. Leur objectif : mettre à profit les connaissances existantes sur le SAVI pour aider à mieux lutter contre les formes sévères de la nouvelle maladie virale. 

Des points communs entre Covid-19 et SAVI

Frédéric Rieux-Laucat explique : « Les patients SAVI présentent une mutation activatrice du gène STING qui conduit à la production en excès d’IFN et de cytokines inflammatoires comme l’IL‑6. Elle conduit aussi à une infiltration de cellules immunitaires, dont des lymphocytes B, dans les poumons, mimant en quelque sorte une infection virale respiratoire constante. Sur le plan clinique, cette maladie se caractérise par des atteintes pulmonaires et/ou cutanées, telles que des engelures ou, dans les formes extrêmes, une gangrène des extrémités. » Or, il est désormais établi que certains malades Covid-19 peuvent présenter des engelures. « Il semble donc que les réponses antivirales des patients qui présentent une forme sévère de Covid-19 aient des traits communs avec celles des patients SAVI. »

Pour vérifier cette hypothèse, le laboratoire du chercheur mène désormais des travaux à partir d’échantillons sanguins, issus de prélèvements réalisés dans le cadre de soins dans l’aile Covid-19 du service de médecine interne de l’hôpital Cochin. Ils vont permettre une caractérisation très fine des cellules immunitaires impliquées dans la réponse qui se met en place chez les patients, ainsi que du taux de cytokines que leur organisme produit. En comparant les taux mesurés chez les patients hospitalisés qui présentent une atteinte pulmonaire sévère ou critique à ceux associés aux formes légères ou modérées, ils souhaitent identifier des mécanismes spécifiques à valeur pronostique : « D’ici quelques semaines, nous pourrions être en mesure d’établir une signature des voies dérégulées dans les différentes cellules immunitaires, qui constituerait un risque de complication. Cela pourrait aussi aboutir à des perspectives thérapeutiques personnalisées. » En effet, il existe déjà de nombreux médicaments disponibles pour moduler les voies moléculaires médiées par les cytokines, comme celles de l’IFN ou de l’IL‑6.

Vulnérabilité d’origine génétique

Par ailleurs, l’hypothèse d’une prédisposition génétique des malades atteints de formes sévères est évaluée par les laboratoires de Jean-Laurent Casanova** et de Laurent Abel***, également à l’Institut Imagine à Paris. Leur cœur de métier est justement de caractériser les altérations génétiques impliquées dans les formes graves d’infections virales. Par le passé, ils ont déjà identifié une centaine de mutations dont la résultante est une modification de la réponse immunitaire à une infection virale (perte ou accentuation de certaines voies de réponse), comme la tuberculose, l’herpès ou la grippe. Par séquençage du génome de patients atteints de Covid-19, ils cherchent aujourd’hui à identifier des particularités génétiques qui accentuent la sévérité de l’infection par le SARS-CoV‑2 ou, à l’inverse, qui limitent l’apparition de symptômes, parfois jusqu’à leur absence complète (cas des personnes asymptomatiques malgré une exposition certaine à l’infection).

Notes :
* unité 1163 Inserm/Université de Paris, Institut Imagine, Laboratoire d’immunogénétique des maladies auto-immunes
** unité 1163 Inserm/Université de Paris, Institut Imagine, équipe Génétique humaine des maladies infectieuses : prédisposition monogénique
*** unité 1163 Inserm/Université de Paris, Institut Imagine, équipe Génétique humaine des maladies infectieuses : prédisposition complexe

Un phénotype immunologique unique et inattendu chez les patients atteint de formes graves du Covid-19

Dans une étude parue dans Science le 13 juillet, ces mêmes équipes de l’Inserm et de l’Université de Paris à l’Institut Imagine ainsi que des chercheurs de l’AP-HP et de l’Institut Pasteur ont décrit un phénotype immunologique unique et inattendu chez les patients atteint de formes graves du Covid-19 : une réponse fortement altérée des interférons (IFN) de type I, associée à une charge virale sanguine persistante et à une réponse inflammatoire excessive. Ces données suggèrent que la déficience en IFN de type I dans le sang pourrait être la marque des formes graves de Covid-19. Elles soulignent en outre l’intérêt d’approches thérapeutiques associant l’administration précoce d’IFN à une thérapie anti-inflammatoire adaptée, ciblant l’IL‑6 ou le TNF‑α chez les patients en prévention d’une forme sévère. 

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