Réparer l’os

La bioingénierie au secours de notre squelette

Si les greffes de tissus osseux sont désormais courantes pour réparer un os à la suite d’une fracture ou d’autres lésions, cette stratégie présente des limites. C’est pourquoi les chercheurs tentent de produire des fragments d’os synthétiques ou hybrides (incluant des cellules souches). Cela implique le développement de biomatériaux à la fois souples et résistants, mais aussi poreux afin qu’ils puissent être colonisés par des cellules. Pour obtenir des « pièces » sur mesure, l’impression 3D est d’un précieux secours. 

Dossier réalisé en collaboration avec Hervé Petite, Laboratoire de bioingénierie et biomécanique ostéo-articulaire (UMR 7052 – CNRS/Université Paris-Diderot) – Novembre 2016.

Comprendre la problématique

L’os, un tissu en remaniement permanent

L’os est continuellement soumis à un processus de renouvellement et de réparation : notre capital osseux s’adapte ainsi aux sollicitations biomécaniques de notre existence, en remplaçant le tissu ancien par du tissu neuf.

Comment cela fonctionne-t-il ? Les os sont composés de cellules, les ostéocytes, entourées d’une matrice extracellulaire minéralisée. Cette matrice est renouvelée grâce à l’équilibre entre l’action de deux types de cellules : les ostéoblastes et les ostéoclastes. Les ostéoblastes synthétisent la matrice osseuse, tandis que les ostéoclastes éliminent les tissus osseux vieillissants sous l’effet de différentes hormones et des sollicitations mécaniques.

Ce processus donne à l’os d’étonnantes propriétés d’autoréparation, le rendant capable se régénérer en cas de lésion. Ainsi, après une fracture, le réalignement et le maintien du membre suffisent généralement à la guérison : en générant du nouveau tissu, le processus d’ostéogenèse comble le déficit dû à la fracture, restaurant l’efficacité fonctionnelle de l’os.

Quand l’os ne parvient pas à se régénérer seul

Cependant, dans certains cas, ce processus naturel d’autoréparation est insuffisant : environ une fois sur dix, des problèmes mécaniques ou biologiques empêchent l’autoréparation d’une fracture. Par ailleurs, certaines pathologies (comme la pseudo-arthroses) ou interventions chirurgicales (ablation de tumeurs, de kystes, de foyers infectieux) peuvent aboutir à d’importantes pertes de substance osseuse que l’ostéogenèse ne suffira pas à combler. La reconstruction de l’os doit alors être assistée.

C’est tout l’enjeu de la bioingénierie de l’os. On parle aussi parfois de bio-orthopédie, discipline par laquelle les chercheurs, les médecins et les spécialistes des matériaux visent à reconstruire des tissus squelettiques fonctionnels, dotés de bonnes propriétés biologiques et mécaniques.


Etat de la recherche : Reconstituer les tissus osseux – Interview – 3 min 12 – Film extrait de la plateforme Corpus (2014)

La greffe osseuse et ses limites

L’autogreffe

La première solution envisagée pour réparer un os est de greffer une fraction osseuse prélevée ailleurs dans le corps du patient. On parle alors d’autogreffe osseuse. Le site choisi pour le prélèvement du greffon est souvent la crête iliaque (bord supérieur de l’os du bassin). On prélève la partie spongieuse, corticale ou corticospongieuse de l’os, selon le bénéfice attendu. L’os cortical est plus dense, plus résistant et moins cassant que l’os spongieux ; ce dernier représente cependant un réservoir de cellules souches, capables une fois transplantées de fabriquer du tissu osseux.

L’autogreffe ne produit pas de réaction immunitaire de défense, puisque le tissu provient du patient. Elle aboutit cependant à une mort cellulaire importante dans le tissu transplanté. La capacité du greffon à produire de nouvelles cellules osseuses peut compenser cette perte, mais elle dépend notamment de la vascularisation du greffon. Cette dernière est en effet indispensable à l’os en reconstruction : les vaisseaux apportent l’énergie et les nutriments nécessaires à la prolifération cellulaire. Par ailleurs, l’autogreffe suppose deux opérations (prélèvement puis greffe) pouvant occasionner des complications (douleurs, abcès, névralgies). La taille du greffon nécessaire au comblement représente une autre limite importante.

La greffe avec donneur

Lorsque le greffon osseux provient d’un donneur, on parle d’allogreffe. Les banques d’os utilisées pour cette approche thérapeutique sont essentiellement constituées par les prélèvements effectués lors de la pose de prothèses de la hanche. Le tissu prélevé lors de cette opération (la tête du fémur) fait l’objet de divers traitements pour éliminer les cellules osseuses, cartilagineuses, vasculaires et cellules souches sanguines à fort potentiel de rejet immunitaire. On ne garde que la trame minérale, conservée à très basse température, pour de futures greffes chez des patients.

Toutefois, l’allogreffe n’induit pas de formation osseuse : elle sert tout au plus de guide sur lequel l’os va pouvoir repousser. Mais cette recolonisation est en général très limitée. Aussi, la recherche travaille à produire des substituts osseux présentant des propriétés analogues, mais capables également de former du tissu osseux neuf.

Les enjeux de la recherche

Substituts osseux : portrait-robot du biomatériau idéal

Un biomatériau sert de support physique sur lequel des cellules peuvent adhérer, migrer, proliférer et se différencier. Pour permettre la réparation d’une lésion affectant l’os, le biomatériau doit posséder à trois propriétés importantes :

  • l’ostéoconduction, qui désigne la capacité du matériau à servir de support passif à la repousse osseuse,
  • l’ostéo-induction, propriété d’un matériau contenant des protéines, dont la libération induit la cascade biologique nécessaire à la formation osseuse,
  • l’ostéogénicité, la propriété d’un matériau contenant des cellules capables de synthétiser un tissu osseux.

Il doit en outre être poreux et résorbable :

La porosité du matériau est un des éléments-clés du succès. Son volume de porosité (volume de vide à l’intérieur), la taille des pores et leur interconnexion ont une influence majeure sur la capacité de l’implant à se vasculariser et se résorber progressivement.

La résorption du biomatériau doit s’effectuer de façon concomitante à la néoformation osseuse. En effet, s’il se dégrade trop vite, il ne peut servir de support à la formation osseuse et l’on obtient un tissu fibreux impropre à combler l’os. A l’inverse, s’il se dégrade trop lentement, la persistance du biomatériau va empêcher la formation osseuse, par manque de place.

Dans certaines indications cliniques, par exemple pour le remplacement d’os de la face, on utilise toutefois des matériaux non biodégradables, afin de conserver la forme de la structure. L’écueil est ici de maintenir en place l’os néoformé alors qu’il n’est plus stimulé par des sollicitations mécaniques (ces dernières étant détournées dans l’implant).

Substituts osseux : l’éventail des biomatériaux

Plusieurs types de matériaux sont utilisés comme support passif de colonisation cellulaire et tissulaire : il peut s’agir de céramiques naturelles ou synthétiques, ou encore de différents matériaux d’origine naturelle dont la composition chimique se rapprochent de celle de la phase minérale de l’os.

Les biomatériaux d’origine naturelle utilisés sont de provenances diverses : à titre d’exemple on peut citer l’os bovin céramisé ou l’exosquelette de corail (porites), un carbonate de calcium qui présente des propriétés ostéoconductrices et biomécaniques intéressantes.

Les biomatériaux synthétiques les plus souvent utilisés pour le comblement des défauts osseux sont l’hydroxyapatite et les phosphates tricalciques, deux espèces minérales de la famille des phosphates, purs ou en mélange. Ils peuvent être préparés sous forme de blocs ou de granules. La maîtrise de la densité, de la taille des grains et de la porosité déterminera le comportement du matériau in vivo.


Deux biomatériaux prometteurs

Dans le cadre du projets MATRI+, des chercheurs travaillent à l’élaboration d’une matrice poreuse « prête à l’emploi », de faible coût et biodégradable. Ce biomatériau est composé de polymères naturels et d’hydroxyapatite nanocristalline. Il est dépourvu de facteurs de croissance et de cellules. Il démarre un processus de régénération d’une lésion osseuse au bout de 30 jours d’implantation chez le rongeur. Son développement nécessitera une validation dans un modèle animal de grande taille (comme le mouton) dans deux applications ciblées : en orthopédie et en chirurgie maxillofaciale.

Des chercheurs du laboratoire d’Ingénierie ostéo-articulaire et dentaire (LIOAD, unité 791 Inserm/Université de Nantes), en collaboration avec l’Institut des matériaux Jean Rouxel (CNRS/Université de Nantes), ont par ailleurs mis au point une mousse permettant de réparer plus efficacement et rapidement les fractures osseuses. Les chercheurs ont réussi à créer un ciment très aéré en le mélangeant à de l’air. Cela permet de créer des pores de grande taille, dans lesquels les cellules situées autour de la fracture osseuse peuvent circuler, améliorant et accélérant la régénération de l’os. Ce nouveau biomatériau pourrait être testé dans les cinq prochaines années chez l’homme. A termes, il pourrait être utilisé pour réparer les fractures de vertèbres, ou consolider d’autres fractures osseuses.


Des techniques de fabrication additive récentes permettent de contrôler l’architecture interne de l’implant, ainsi que sa forme. Il est ainsi possible d’obtenir un contact intime entre l’implant et les berges osseuses. Pour cela, on a recours à l’impression 3D, à partir d’un fichier informatique modélisant exactement la forme de l’os à imprimer. Des startups proposent déjà ce type de service en routine.

Les os en vrac – court-métrage – 2 min 35 – Film extrait de la série La boîte noire – Comment réparer l’os cassé de Gus ? Avec des cellules souches et morceaux de squelette de corail ! (2014)

La promesse des cellules souches mésenchymateuses

Comme dans de nombreux domaines de la bioingénierie, les chercheurs réfléchissent actuellement à la meilleure manière d’utiliser des cellules souches, capables de se différencier en de nombreuses cellules spécialisées, pour produire de l’os.

Les meilleures candidates sont certainement les cellules souches mésenchymateuses (CSM), que l’on sait isoler et cultiver. La moelle osseuse est leur réservoir naturel, mais on en trouve aussi dans le tissu adipeux… de sorte que l’on peut produire de l’os à partir de la graisse ! L’idée est d’associer ces cellules à un biomatériau de substitution poreux. Ce dernier va servir de matrice sur laquelle les cellules pourront se développer en formant du tissu osseux. Les propriétés d’ostéoinduction et d’ostéogénicité du biomatériau sont alors déterminantes.

Concrètement, des CSM préalablement mises en place dans un support poreux sont transplantées au niveau de la lésion osseuse à traiter. Les CSM doivent survivre à la transplantation, proliférer, se différencier en ostéoblastes et apposer un néotissu osseux à la surface du matériau. Celui-ci va se résorber de façon concomitante à la néoformation osseuse. Les premiers essais ont abouti à une mort cellulaire massive dans les premières semaines après la transplantation, probablement due à un déficit en glucose dans la période suivant implantation. Les cellules ne recevant plus les nutriments (et donc l’énergie) nécessaires pour fonctionner, elles mourraient. Afin de pallier cette difficulté, les chercheurs tentent de développer des matériaux innovants dans lesquels les CSM peuvent survivre une fois transplantées, malgré l’absence temporaire de vaisseaux sanguins.

C’est l’objectif d’une équipe nantaise (LPRO, unité 957 Inserm/Université de Nantes), qui travaille sur des matériaux hybrides dans le cadre du projet REBORN (pour Regenerating Bone Defects using New biomedical Engineering approaches). Il s’agit de biomatériaux composés de biocéramiques de phosphate de calcium ou d’hydrogels, servant d’échafaudage, associés à des cellules souches et des facteurs de croissance et de différenciation. Ils sont injectables par voie cutanée et stimulent la formation osseuse. Cinq études cliniques financées par la commission européenne sont en cours. Elles sont menées dans huit pays européens et incluent chaque fois une vingtaine de patients : trois concernent le traitement de fractures d’os longs et l’ostéonécrose du col du fémur chez l’enfant et l’adulte. Les deux autres concernent la chirurgie maxillo-faciale, visant soit à l’augmentation de la masse osseuse avant un implant dentaire, soit à la reconstruction de la fente palatine chez l’enfant.


Médecine régénérative : lancement d’un essai clinique pour traiter les fractures non consolidées – animation pédagogique – 2 min 11

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Pour aller plus loin

  • Laboratoire d’ingénierie ostéo-articulaire et dentaire (Lioad, unité Inserm 791)
  • Phy-Os (unité Inserm 1238)
  • Laboratoire de bioingénierie et bioimagerie ostéo-articulaire (B2OA)