Cirrhose

Une maladie du foie d’origine inflammatoire

La cirrhose est une maladie du foie qui conduit à la perte des fonctions de l’organe et s’accompagne de multiples complications. Alcool, hépatites et obésité : les facteurs de risque de la cirrhose sont bien connus. Pourtant, il reste à ce jour impossible de prédire l’apparition de la maladie et de savoir comment elle va évoluer. Toutefois, la recherche identifie petit à petit des biomarqueurs qui permettront, à terme, de prévoir la progression de la pathologie, le risque de complications et, pourquoi pas, la réponse aux traitements.

Dossier réalisé en collaboration avec Richard Moreau, coresponsable de l’équipe Réponses inflammatoires et stress dans les maladies chroniques du foie (unité Inserm 1149), Centre de recherche sur l’inflammation, Hôpital Beaujon (Clichy) et faculté de médecine Xavier Bichat, Université Paris 7. 

Comprendre la cirrhose

Maladie irréversible du foie, la cirrhose se caractérise par une inflammation chronique. Cette dernière qui entraine la destruction des cellules hépatiques et leur régénération anarchique, sous forme de nodules. La maladie conduit à la perte des fonctions de l’organe et s’accompagne de multiples complications. 

Hépatocytes en culture
Les hépatocytes sont des cellules du foie parfois binucléées. © Inserm/Inserm U49

Sans foie fonctionnel, la durée de vie n’excède pas quelques heures. Cet organe assure en effet de très nombreuses fonctions vitales de synthèse, de stockage et d’élimination. Il stocke le glucose et en produit à partir d’autres substances. Il produit des triglycérides, du cholestérol, des lipoprotéines ou encore des facteurs de coagulation. Il dégrade le cholestérol, les toxines, les médicaments et les produits potentiellement toxiques pour l’organisme, issus par exemple de globules rouges dégradés. 

Environ 200 000 personnes sont atteintes de cirrhose en France, dont 30% ont atteint le stade sévère de la maladie. On estime à 10 000 à 15 000 le nombre de décès qui lui sont associés chaque année. Le diagnostic survient en moyenne à l’âge de 50 ans. 

Alcool, hépatites et obésité, les principaux responsables

Les facteurs de risque de la cirrhose sont bien identifiés : La consommation excessive et prolongée d’alcool, les infections chroniques par le virus de l’hépatite B et de l’hépatite C, ainsi que le syndrome métabolique sont en effet responsables de plus de 90 % des cas de cirrhose. Les autres cas sont liés à des hémochromatoses génétiques ou encore à des maladies du foie auto-immunes comme la cirrhose biliaire primitive. 


Le syndrome métabolique, un facteur de risque en expansion

Le syndrome métabolique, notamment associé à un surpoids ou une obésité, est un facteur de risque de cirrhose moins connu que l’alcool ou les hépatites. Il entraine une augmentation significative de l’incidence des cirrhoses dans les pays où l’obésité progresse vite, notamment dans les pays en développement. 


Toutes les personnes exposées à un risque de cirrhose ne développent pas la maladie. Celle-ci ne se déclare en effet que dans 10% à 20% des cas. Les causes et mécanismes associés à cette vulnérabilité ne sont pas encore connus, mais ils pourraient notamment dépendre d’une susceptibilité génétique. 

Dépistage : des tests non invasifs à la biopsie

La maladie est insidieuse et reste longtemps asymptomatique. A l’examen clinique, le foie est gonflé, dur et présente un bord intérieur tranchant mais indolore. Un bilan sanguin permet de trouver différentes anomalies (diminution de l’albumine, diminution du taux de prothrombine et augmentation des gamma-globulines, notamment). L’échographie apporte des données complémentaires. Mais le diagnostic de la cirrhose repose sur une biopsie, examen consistant à prélever et analyser des cellules du foie.

Le plus souvent, c’est l’apparition d’une complication qui conduit à la découverte d’une cirrhose : 

  • rupture de varices œsophagiennes (rupture de veines dilatées au niveau de l’œsophage)
  • ascite (distension abdominal en raison de l’accumulation de liquide dans la cavité péritonéale)
  • ictère (la peau, le blanc de l’œil et les urines prennent une coloration jaunâtre)...

Néanmoins, le dépistage de la maladie est régulier chez les patients atteints d’hépatite C chronique qui sont suivis pour leur maladie. Ce dépistage se fonde sur l’utilisation de tests non invasifs :

  • le Fibroscan qui permet d’évaluer l’élasticité du foie par ultrasons
  • le Fibrotest, le Fibomètre et l’Hepascore qui permettent l’analyse de plusieurs marqueurs sanguins.

Le développement de nouveaux tests de plus en plus sensibles est une priorité pour les chercheurs. 


Evaluer la sévérité d’une cirrhose

Le score de Child-Pugh permet d’évaluer la sévérité d’une cirrhose. Il associe des données biologiques et cliniques, notamment la présence de complications comme par exemple le volume de l’ascite. Toutefois, un autre score qui intègre uniquement des données biologiques (bilirubine sérique, INR et créatinine sérique), le score MELD, a pris le pas sur ce dernier en raison de sa plus grande objectivité. Il est devenu incontournable dans le cadre des greffes du foie, pour prioriser les patients à transplanter : ceux dont le score MELD est le plus élevé sont prioritaires. 


L’histoire de la maladie, de la fibrose au cancer du foie

La maladie est liée à une inflammation chronique du foie qui provoque la destruction des cellules. On parle d’abord de fibrose. Chez les patients alcooliques et obèses, elle est souvent précédée par une stéatose, correspondant à l’accumulation de graisse dans le foie. 

En tentant de se régénérer, les cellules du foie s’organisent en nodules et perdent ainsi leur fonction. Le foie perd alors également sa souplesse, ce qui provoque une augmentation du volume sanguin dans la veine qui l’alimente. C’est l’hypertension portale. Elle entraine la formation de voies de dérivation et l’apparition de varices œsophagiennes. La mauvaise vascularisation des cellules du foie et la diminution de la quantité d’hépatocytes fonctionnels finissent par provoquer une insuffisance hépatocellulaire.

La vitesse d’évolution de la maladie et la survenue de complications sont imprévisibles. 

De nombreuses complications dont certaines gravissimes

  • Les hémorragies digestives surviennent en cas de rupture de varice œsophagienne. Il s’agit d’une urgence extrême qui nécessite une prise en charge dès le domicile du patient, ou au moins au cours du transport à l’hôpital. L’amélioration du traitement au cours des dernières années a permis de ramener à 10% le taux de mortalité lié à cet événement contre environ 50% en 1970.
     
  • L’ascite correspond à une accumulation de liquide dans le péritoine. Elle se développe chez 30% des patients cirrhotiques. Elle se traite dans un premier temps par la prise de diurétiques associés à un régime pauvre en sel. Des ponctions évacuatrices du liquide accumulé peuvent être nécessaires en cas d’ascite volumineuse ou tendue. Des antibiotiques sont utilisés chez certains malades pour prévenir la survenue d’une infection du liquide d’ascite. Elle est également recommandée au long cours, pour éviter une récidive en cas de primo-infection.
     
  • La cirrhose est associée à une sensibilité accrue aux infections bactériennes car les malades ont un système immunitaire défaillant. Elles constituent une cause majeure de mortalité. Si les infections du liquide d’ascite sont les plus fréquentes, les patients sont exposés à tous les types d’infections (urinaires, cutanées, pneumopathies…).
     
  • L’encéphalopathie hépatique, parfois appelée troubles de la conscience, est due à l’incapacité du foie à éliminer l’ammoniac produit par les bactéries. Elle se manifeste par des troubles de la personnalité, des anomalies neurologiques et électroencéphalographiques, qui vont de la confusion au coma. La prise en charge de cette complication consiste le plus souvent à purger l’intestin avec des laxatifs.
     
  • Une insuffisance rénale peut-être induite par une des complications déjà décrites (hémorragie digestive, infection sévère) ou par la sévérité de l’insuffisance hépatique. Chez un patient présentant une ascite mais dont la fonction rénale est normale au départ, la probabilité de survenue d’une insuffisance rénale est de 40% à 5 ans.
     
  • L’apparition d’un carcinome hépatocellulaire (cancer du foie) est très fréquente sur un foie remanié par la cirrhose. Elle survient le plus souvent après 15 à 20 ans d’évolution.

Le syndrome ACLF (Acute-on-Chronic Liver Failure)

Le syndrome ACLF correspond à une décompensation aiguë de la maladie (aggravation brutale) accompagnée de la défaillance d’un ou plusieurs organes. Six organes/fonctions peuvent être concernés : foie, rein, cerveau, système de coagulation, circulation sanguine, respiration, et ce syndrome peut donc inclure l’encéphalopathie hépatique ou encore l’insuffisance rénale sévère. 

Par rapport à une simple décompensation, l’ACLF est associée à une inflammation systémique qui pourrait être la cause des défaillances d’organes. Les patients présentent des taux élevés de leucocytes et protéine C‑reactive (CRP) circulantes. 

Le taux de mortalité dans les 28 jours est très important. Il est de 20% en cas de défaillance d’un organe, de 35 % si deux organes sont défaillants et 80 à 100% si trois organes ou plus cessent de fonctionner. 

Les personnes qui développent ce syndrome sont souvent plus jeunes et le plus souvent atteintes de cirrhoses alcooliques. Une infection bactérienne aiguë et une intoxication alcoolique excessive favorisent sa survenue dans les trois mois. 


Traiter la cause et prévenir les complications

En dehors d’un recours à la greffe de foie, la cirrhose ne se guérit pas. Toutefois, son évolution peut être stoppée et certaines complications évitées. Quelques rares cas de régression ont même été constatés. 

La prise en charge de la maladie consiste avant tout à traiter sa cause :

  • Dans le cas d’une cirrhose alcoolique, le sevrage est la seule solution.
  • En cas de syndrome métabolique, un régime amaigrissant et le bon contrôle du diabète sont importants.

Dans le cas d’une hépatite virale, il s’agit de traiter l’infection. L’hépatite B se traite bien. Désormais, l’hépatite C également depuis l’arrivée des antiviraux d’action directe qui éradiquent totalement le virus dans 95% des cas. Un suivi un long terme des patients est nécessaire pour savoir si ce traitement permet d’interrompre l’évolution de la cirrhose, voire de la faire régresser et connaitre son impact sur le risque de carcinome hépatocellulaire. 

Des traitements permettent par ailleurs de prévenir certaines complications :

  • Les hémorragies digestives peuvent par exemple être évitées par la prise de bêtabloquants, administrés systématiquement chez les patients présentant des varices œsophagiennes. La ligature endoscopique des varices est une autre solution.
  • Le risque d’infections peut également être limité par une bonne hygiène buccodentaire et cutanée. Par ailleurs, certaines vaccinations sont recommandées, notamment celles contre l’hépatite B, la grippe et les pneumocoques.

Enfin, la détection de lésions ou nodules suspects, évocateurs d’un carcinome hépatocellulaire, est primordiale. Elle repose sur un bilan sanguin (alpha-foetoprotéine, marqueur de tumeur du foie) et une échographie pratiqués tous les six mois. 

La greffe de foie

La transplantation hépatique est le seul traitement à proprement parler de la cirrhose. Les premiers patients éligibles sont ceux dont le score MELD est le plus élevé et dont l’espérance de vie à trois mois est la plus faible. La priorisation des patients candidats à cette intervention reste très délicate en raison des besoins supérieurs au nombre d’organes disponibles et les critères de sélection sont régulièrement réévalués. 

Chaque année, environ 1 000 patients sont transplantés en France, avec une survie à cinq ans de plus de 80% et une durée de vie du greffon de plus de 20 ans. 

Compte tenu de ces bons résultats, des équipes de recherche travaillent à l’allègement des traitements immunosuppresseurs associés à un risque d’hémopathies ou de cancers des voies aérodigestives. Pour en savoir plus, consulter le dossier Transplantation d’organes.

Les enjeux de la recherche

Comprendre l’exposition au risque de cirrhose et de carcinome hépatocellulaire

Les chercheurs tentent d’identifier les facteurs impliqués dans la survenue d’une cirrhose et de ses complications en cas d’exposition à un risque (alcool, hépatite…). Il peut s’agir de facteurs personnels (prédisposition génétique, comorbidités…) et de facteurs environnementaux (apports alimentaires…). Ces études s’appuient sur les données relatives à des cohortes de patients exposés à un risque de cirrhose et exploitent les « ‑omiques » pour identifier des facteurs qui conduisent à la survenue et à la progression de la maladie hépatique. L’objectif est de mettre au point de nouveaux outils pour prédire l’apparition de la maladie et son évolution.

Des travaux conduits par des chercheurs de l’Inserm, en 2015, ont par exemple montré que le diabète réduit les chances de survie des sujets atteints de cirrhose associée à une hépatite C chronique, en augmentant le risque de complications fatales. 

Les scientifiques s’attèlent aussi à améliorer les connaissances relatives aux mécanismes à l’origine de la survenue d’un cancer du foie. L’objectif est d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques qui permettront le développement des traitements plus efficaces que ceux qui sont actuellement disponibles. 

Identifier les facteurs de risque de syndrome ACLF

Des travaux importants sont par ailleurs en cours pour identifier les facteurs de prédisposition au syndrome ACLF. L’étude de cohorte CANONIC a montré que les victimes de ce syndrome développent souvent une infection bactérienne sévère dans les trois mois qui précèdent la défaillance des organes et présentent une inflammation systémique. Cette cohorte a inclus 1 343 patients admis dans 29 hôpitaux européens pour un épisode de décompensation de leur cirrhose en 2011. 

La fondation européenne EF-CLIF a décidé de poursuivre les investigations avec deux nouvelles cohortes de patients hospitalisés pour une décompensation de cirrhose sans syndrome ACLF mais à risque d’en développer un (PREDICT et Aclara). Les chercheurs vont exploiter les « ‑omiques » (génomique, transcriptomique, métabolomique ou encore métagénomique) pour comprendre les mécanismes et les causes de survenue de ce syndrome, par exemple les facteurs individuels associés au risque d’infection sévère. 

L’objectif est de pouvoir dépister précocement les sujets à risque d’ACLF à partir de marqueurs biologiques pour une prise en charge optimale, et d’identifier les réseaux moléculaires en jeu pour développer des traitements personnalisés. Des antibiotiques prophylactiques seraient par exemple prescrits aux sujets à très haut risque d’infection sévère identifiés à l’aide de ces approches. 

La cohorte PREDICT (Predicting Acute-on-Chronic Liver Failure in Cirrhosis) est en cours de recrutement et inclura à terme 1 200 sujets européens. Le recrutement de la cohorte Aclara débutera en janvier 2018. Elle inclura 1 200 patients sud-américains (Mexique, Colombie, Pérou, Brésil, Argentine et Chili), le syndrome ACLF étant plus fréquent et souvent plus sévère dans ces pays. A terme, l’ensemble des données des cohortes CANONIC, PREDICT, ACLARA, ainsi que celles de deux cohortes chinoises et une indienne, devraient être compilées pour une interprétation plus fine des résultats et afin d’expliquer la diversité du syndrome ACLF sur les différents continents.

Découvrir l’impact du microbiote intestinal 

Des travaux suggèrent que la composition du microbiote intestinal joue un rôle dans la cirrhose. Par exemple, le fait de développer une maladie hépatique en cas d’exposition à une consommation excessive d’alcool pourrait dépendre de la composition du microbiote intestinal.

Il a été décrit que des modifications de cette flore sont associées à la cirrhose, avec notamment une diminution de Bacteroidetes par rapport à des sujets sains, ou encore une augmentation d’autres espèces comme Proteobacteria et Fusobacteria. Des différences signent même l’origine de la cirrhose : les personnes atteintes de cirrhose alcoolique présentent par exemple un excès de Prevotellaceae, contrairement à celles atteintes de cirrhose provoquée par une hépatite B. 

Un index – CDR (Cirrhosis Dysbiosis Ratio) – a été créé pour refléter le degré de dysbiose, c’est-à-dire de modification du microbiote, associé à la cirrhose. Il est de 2 chez un patient sain et diminue en cas de cirrhose. Il tombe à 0,9 en cas de cirrhose compensée et descend jusqu’à 0,3 chez des patients avec épisode infectieux. Des équipes étudient actuellement la pertinence d’inclure ce score CDR dans l’évaluation du pronostic de la maladie. 

La composition du microbiote intestinal est également étudiée dans le cadre du syndrome ACLF. Des données de métagénomiques permettront de savoir s’il joue un rôle dans la survenue ou la gravité de celui-ci. Les patients présentent en effet une inflammation systémique, or le microbiote intestinal est impliqué dans l’immunité. En outre, la perméabilité de la barrière intestinale des patients à risque est augmentée favorisant le passage de composants bactériens qui accroit l’inflammation.

Rétablir l’immunité des patients

Les patients atteints de cirrhose sont particulièrement vulnérables aux infections. Les chercheurs tentent de comprendre pourquoi et d’identifier les mécanismes de cette immunodépression. Les patients présentent entre autres, un déficit de la phagocytose et un problème de perméabilité intestinale qui permet aux bactéries intestinales de passer dans le sang. Des équipes travaillent donc sur les altérations de la réponse immunitaire chez ces patients. 

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