VIH : Cache-cache immunitaire

Si le sida n’est plus une maladie forcément mortelle, un obstacle majeur à sa guérison subsiste : la capacité du VIH à se dissimuler dans l’organisme, à l’abri des traitements antirétroviraux. À l’institut Cochin à Paris, Morgane Bomsel et son équipe s’attèlent à découvrir et décrire ces « cachettes », pour permettre le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques et préventives.

Un reportage à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°55

Deux scientifiques pris en photo à travers la vitre d’un laboratoire sécurisé
À l’institut Cochin, dans le laboratoire de l’équipe Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse © Inserm / François Guénet

Aujourd’hui, lorsqu’il est traité, le syndrome de l’immunodéficience acquise (sida) n’est plus une maladie mortelle. La découverte dans les années 1980 de traitements efficaces qui empêchent la prolifération du virus responsable de la pathologie, le VIH, a fait basculer le sida au statut de maladie chronique. Les antirétroviraux permettent en effet au système immunitaire de récupérer après l’assaut du VIH, et de vaincre les conséquences de l’infection. Le syndrome immunitaire ne se développe plus, et les effets à long terme de l’infection ne se font plus sentir. Pour autant, le virus ne disparaît pas. On ne peut pas parler de guérison définitive. Le VIH reste dissimulé parmi les cellules du corps dans des « réservoirs », inaccessible et protégé, invisible aux défenses immunitaires, et prêt à rebondir. Derrière les portes fermées de l’institut Cochin à Paris, Morgane Bomsel et son équipe se sont lancés dans un véritable cache-cache avec le virus évasif du sida. Leur objectif est de mieux comprendre les mécanismes d’infection sexuelle par le VIH et de son évasion, en particulier au niveau des muqueuses génitales car tant que le virus reste invisible, il ne peut être ciblé et éradiqué. Décrire les réservoirs du VIH permettra ainsi de développer des stratégies thérapeutiques et préventives.

portrait de Morgane Bomsel
Morgane Bomsel, responsable de l’équipe Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse © Inserm / François Guénet

Le sida est une maladie sexuellement transmissible. Pour comprendre comment le virus infecte et persiste dans le corps, Morgane Bomsel est donc remontée aux lieux premiers du crime : les organes sexuels. Aujourd’hui les mécanismes de transmission par les muqueuses lors des rapports sexuels, en particulier au niveau des organes génitaux masculins, et l’immunité génitale des muqueuses restent mal connus.

L’équipe travaille sur des cellules in vitro mais également avec du sang et des tissus humains, parfois d’individus infectés par le VIH. Les chercheurs réceptionnent des prépuces provenant d’adultes qui se font circoncire dans le service d’urologie de l’hôpital Cochin. Il arrive même que des tissus de pénis, récupérés du service de chirurgie plastique reconstructive de l’hôpital Tenon, après des opérations de changement de sexe, soient envoyés.

Explant de prépuce humain ©Inserm/équipe M. Bomsel

La circoncision réduit de 60 % le risque d’infection des hommes par le VIH lors de rapports hétérosexuels. Il y a plus d’une dizaine d’années, l’équipe de Morgane Bomsel a montré qu’en effet la face interne du prépuce est l’une des principales portes d’entrée du virus mais pas la seule. Le VIH pénètre également au niveau de l’urètre pénien alors que d’autres régions du pénis, comme le gland ou l’extrémité de l’urètre, résistent à l’infection. Mis au contact du virus, les explants de prépuce et d’urètre permettent de visualiser les étapes de l’infection à travers les différentes structures des tissus et les interactions du virus avec les cellules du tissu humain.

L’équipe a notamment montré que les cellules immunitaires de Langerhans présentes dans l’épithélium stratifié du prépuce sont parmi les premières à capturer le VIH après qu’il ait traversé la surface de la muqueuse. Quelque peu résistantes à l’infection par le virus, ces cellules vont cependant transmettre par contact des particules infectieuses aux globules blancs, plus précisément aux lymphocytes T CD4+ des tissus, qui migreront vers le sang. C’est dans ces cellules que le VIH se reproduit et se cache à vie chez les patients infectés. Mais ce ne sont pas les seules. Boxin Huang et l’équipe s’attachent à identifier d’autres réservoirs du virus.

portrait de Boxin Huang

Dans l’épithélium de l’urètre, il n’y a pas de cellules de Langerhans, mais il contient d’autres cellules immunitaires, les macrophages. L’équipe de Morgane Bomsel y a retrouvé le VIH dormant qui, réactivé, est capable de produire des particules virales infectieuses. Ces réservoirs supplémentaires doivent être pris en compte si on veut espérer un jour éradiquer complètement le virus chez les patients.

Morgane Bomsel devant son ordinateur
Morgane Bomsel examine une image de macrophage (en vert) dans lequel se cachent des particules de VIH (en rouge) © Inserm / François Guénet
portrait de Cécilia Ramirez

Cécilia Ramirez se nourrit de ces connaissances sur ces nouveaux réservoirs viraux tissulaires pour rechercher de nouvelles solutions thérapeutiques. Son objectif : identifier des médicaments déjà présents sur le marché et qui pourraient spécifiquement inhiber la production du VIH, à partir de tous les réservoirs viraux, aussi bien les lymphocytes que les macrophages.

Mais l’idéal serait de bloquer complètement l’infection par le VIH. Certaines personnes en sont capables. En dépit d’un contact fréquent avec le virus, elles ne sont jamais infectées. Comment ?

Une partie de la réponse s’explique par la présence d’anticorps IgA protecteurs ciblant le virus dans leurs muqueuses génitales. Daniela Tudor avec Inès Sahnoune et Andrea Calamarte-Cottignies, étudie les multiples activités antivirales de ces anticorps. L’équipe a ainsi décrit de nombreux mécanismes de protection impliquant ces IgA et a même développé un vaccin muqueux. Reproduisant la protection observée chez les femmes résistantes, le vaccin protège complètement de l’infection génitale chez le singe et a donné des résultats positifs dans des essais cliniques de phase 1.

(portrait de Daniela Tudor
portrait de Yonatan Ganor

L’étude du processus infectieux apporte d’autres solutions préventives. Yonatan Ganor a fait la découverte d’une molécule, le neuropeptide CGRP, sécrété suite à une sensation de chaud, de frottement, de douleur, capable de bloquer les premières étapes d’infection du prépuce par le VIH. Les neurones périphériques qui innervent les muqueuses, en produisant des neuropeptides, participent au dialogue immunitaire qui réduit l’infection par le VIH. Comprendre les mécanismes antiviraux en jeu pourrait avoir des répercussions thérapeutiques.

Le travail de l’équipe résonne dans la lutte contre d’autres virus et notamment le SARS-CoV‑2. Au début de la pandémie, Morgane Bomsel et son équipe ont reçu des échantillons muqueux et sanguins de patients sévèrement atteints par la Covid pour identifier des facteurs ou marqueurs immunitaires prédictifs de formes graves et de décès. Ils ont notamment trouvé que ces patients développent une immunité muqueuse. Cependant, les anticorps muqueux qu’ils développent, bien que persistant assez longtemps, ne sont pas neutralisants. Ils auraient même des fonctions délétères.

Aujourd’hui, la problématique évolue avec 8 % des patients infectés par le SARS-CoV‑2 qui développent des Covid longs. La latence du virus dans les cellules est quelque peu inattendue et l’équipe recherche, comme pour le VIH, la présence de réservoirs viraux qui pourraient expliquer la persistance du coronavirus dans l’organisme et devenir de nouvelles cibles thérapeutiques.

photo de groupe, dans un escalier de l’institut Cochin
L’équipe Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse © Inserm / François Guénet

Morgane Bomsel est responsable de l’équipe Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse à l’institut Cochin à Paris (unité 1016 Inserm/CNRS/Université Paris Cité).


À lire aussi

Cellule infectée par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) examinée en microscopie électronique à balayage (MEB)