Médecine régénérative : de chair et d’os

Jouets, pièces informatiques, prothèses, porte-crayons… Les imprimantes 3D donnent vie aux concepts issus de l’imaginaire ou de la vie courante. Et désormais, aux organes humains ! Selon des procédés qui auraient peut-être enthousiasmé le docteur Frankenstein, l’ingénierie tissulaire permet d’imprimer et de recréer fidèlement des tissus biologiques vivants en trois dimensions, dans l’optique de faire pousser des greffons sur mesure.

Un reportage à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°54

Pierre Layrolle
Pierre Layrolle s’apprête à utiliser une des imprimantes biologiques du laboratoire ToNiC, à Toulouse ©Inserm/François Guénet

Bien que les technologies aient nettement progressé au cours des dernières années, la bioimpression est encore dans son enfance : reproduire l’aspect des organes de façon très convaincante est désormais possible, mais les intégrer durablement dans un organisme hôte, pas encore. Pour la plupart, ces organoïdes se cantonnent au rôle d’outil de recherche et apportent des connaissances toujours plus approfondies sur le fonctionnement du corps humain et des maladies. Ils se font aussi le support de tests thérapeutiques au profit de l’évaluation médicale. Pour autant, des tissus imprimés ont déjà été implantés avec succès chez l’animal et l’humain : l’unité ToNIC, pour Toulouse neuroimaging center, développe différentes techniques de biofabrication d’organes humains ex vivo. Les chercheurs ont entre autres développé, imprimé et greffé, en collaboration avec des chirurgiens, une alternative à la greffe osseuse autologue.

Un chercheur présente des images préparatoires à la greffe d’un fragment d’os bioimprimé
Dans l’unité ToNIC, les chercheurs impriment des morceaux d’os sur mesure, parfaitement adaptés à la morphologie des patients pour la reconstruction de grands défauts osseux ©Inserm/François Guénet

Aujourd’hui, lorsqu’un os est endommagé par un traumatisme ou une tumeur, et nécessite une ablation, les chirurgiens le remplacent par un fragment osseux prélevé au niveau de la hanche ou du péroné. Mais cette technique n’est pas optimale, avec des conséquences souvent invalidantes qui réduisent les mouvements du patient, privé d’un os. Pierre Layrolle et son équipe ont développé une alternative moins invasive. Ils impriment sur mesure des morceaux d’os parfaitement adaptés à la morphologie des patients pour la reconstruction de grands défauts osseux.

L’unité ToNIC sait segmenter et convertir des images médicales de n’importe quel organe en fichier de stéréolithographie, c’est-à-dire prototypé pour l’impression en 3D. Les chercheurs peuvent ainsi fabriquer des guides sur mesure pour les chirurgies, et des biomatériaux anatomiques quasiment identiques à la partie du corps à reconstruire.

L’unité est équipée de trois technologies d’impression 3D : des imprimantes FMD (fused deposition modeling) classiques utilisées pour imprimer des organes en plastique à l’échelle, mais également deux types d’imprimantes biologiques. La première utilise la lumière bleue pour polymériser un hydrogel biocompatible, qui contient les cellules humaines, et se rigidifie après impression. L’autre permet de former un organe complexe couche par couche.

Fragment osseux bioimprimé
Cet objet bioimprimé va servir de support à des cellules souches pour conduire à la reconstitution d’un fragment osseux ©Inserm/François Guénet

Pour finaliser la transformation en os, différentes cellules souches sont ensemencées sur le biomatériau auquel elles adhèrent. Elles sont essentielles à la reconstruction des tissus humains et à la régénération en os : sans elles, le biomatériau 3D reste inerte. Pour chaque type de cellules souches utilisé, différents tissus humains peuvent être biofabriqués. Par exemple, les cellules souches hématopoïétiques se différencient en ostéoblastes, qui produisent la matrice osseuse, tandis que la vascularisation est assurée par des cellules endothéliales. L’encre utilisée pour l’impression des fragments osseux est composée d’un phosphate de calcium analogue au minéral osseux ; il ressemble à une pâte de dentifrice et durcit par hydrolyse, comme le plâtre. Les biomatériaux 3D sont construits avec une porosité interne qui permet de « planter » des cellules souches et de guider la cicatrisation, ce qui garantit une repousse osseuse optimale.

Les différentes étapes mise en œuvre pour implanter un fragment osseux bioimprimé
Implantation d’un fragment osseux bioimprimé au niveau du métatarse d’une brebis. © Inserm/UMR1214/ToNIC

Le biomatériau imprimé est chirurgicalement implanté à l’endroit souhaité ; ci-dessus, le métatarse d’une brebis. Pour vitaliser et accélérer la régénération du tissu, un vaisseau est détourné et placé à l’intérieur du biomatériau. En quelques semaines, la bioimpression 3D se transforme en tissu osseux et remplace l’os réséqué. Pour le moment, ces travaux restent au stade préclinique mais des études pour évaluer la sécurité et l’efficacité de cette procédure chez l’humain sont en cours.

Pierre Layrolle
Pierre Layrolle et son équipe utilisent également les images médicales prises par IRM pour en faire des impressions 3D en polymères réalistes et personnalisées. Bien que ces objets ne soient pas des tissus vivants, ils peuvent être utilisés comme modèles chirurgicaux pour valider des techniques opératoires et vérifier, par exemple, la diffusion d’un agent de contraste dans le réseau vasculaire d’un organe. ©Inserm/François Guénet

Outre l’impression d’organes, le grand défi de la bioimpression médicale est de fournir un support plus réaliste à la science pour mieux comprendre le vivant. En effet les cultures cellulaires classiques en 2D ne prennent pas en compte l’organisation des cellules entre elles : une partie de l’information est perdue. La culture cellulaire en 3D permet de recréer les conditions des différents microenvironnements cellulaires rencontrés dans le corps, et de faire de meilleures prédictions grâce aux modèles in vitro.

On ne sait pas encore imprimer les cellules une par une. En revanche, il est possible de cultiver des gels à base de cellules vivantes qui serviront à construire des tissus spécifiques. Pierre Layrolle développe actuellement une encre super concentrée en cellules souches neurales, encapsulées dans des billes. Elle permet de fabriquer des organoïdes de cerveau à l’échelle millimétrique.

Un mini-cerveau
Un mini-cerveau fabriqué au laboratoire ToNic© Inserm/UMR1214/ToNIC

Le modèle de mini-cerveau présenté ci-dessus, ultra réaliste et fonctionnel, possède des marqueurs spécifiques des neurones, des axones – les prolongements des cellules nerveuses – et de la vascularisation.Il émet même une activité électrique équivalente à celui d’un fœtus de quelques semaines ! À la différence des organoïdes réalisés jusqu’ici, ceux-ci possèdent une organisation spatiale bien structurée, peuvent être reproduits à l’identique et conservés plusieurs semaines en culture. Loin d’être des cerveaux humains, ils permettront de mieux comprendre le développement et les rouages fonctionnels du cerveau, mais aussi de tester l’action de candidats médicaments. À mi-chemin entre modèles in vivo et cultures de cellules in vitro, ce sont des outils prometteurs qui prendront une place cruciale dans la recherche de demain.

Pierre Layrolle est responsable de l’équipe 3D CHIP au laboratoire ToNIC (unité 1214 Inserm/Université Toulouse III – Paul-Sabatier, Toulouse neuroimaging center), à Toulouse.

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