Chez les collectionneurs de protéines

Connaissez-vous la protéomique, cette science qui s’intéresse au protéome, l’ensemble des protéines de l’organisme humain ? À Rennes, l’équipe de la plateforme Protim travaille activement à faire progresser les connaissances dans ce domaine.

Un reportage à retrouver dans le n°49 sur magazine de l’Inserm

Plateforme Protim, à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (unité Inserm 1085) ©Inserm/ François Guénet

« Il y a 20 ans, lorsque le grand programme de séquençage du génome humain a été annoncé, on imaginait qu’une fois celui-ci réalisé, nous connaîtrions tout des pathologies humaines. C’était surtout une façon de parler, car en réalité ce n’est pas le gène qui porte la fonction, mais la protéine ! », explique Charles Pineau, directeur de la plateforme Protim*. Pour preuve, nous possédons à peu près le même nombre de gènes que la souris ou que le ver Caenorhabditis elegans, mais les protéines codées par ces gènes sont très hétérogènes d’une espèce à l’autre. Cela explique les immenses différences de phénotypes qui nous séparent de notre cousin rongeur, ou du plus célèbre des vers de laboratoire. Qui plus est, chez l’Homme, un gène ne code pas pour une protéine unique, mais pour sept protéines en moyenne. D’où l’intérêt d’identifier l’ensemble des protéines que l’organisme humain est capable de produire, si l’on veut comprendre leurs interactions, leur implication dans telle ou telle voie métabolique ou encore dans le développement de certaines maladies. C’est précisément la mission du consortium international Human Proteome Project (HPP). Lancé il y a 10 ans, il a permis de publier, en novembre dernier, la première carte du protéome humain, complétée à plus de 90%. « Chaque pays participant a synthétisé les informations disponibles au niveau international sur un chromosome spécifique. La France, par exemple, s’est chargée du chromosome 14, détaille le chercheur. Avec cette équipe, qui réunit des scientifiques de quatre plateformes françaises, nous sommes parvenus à caractériser plus de 300 protéines manquantes, c’est-à-dire des protéines dont on soupçonnait l’existence, sans pouvoir la démontrer. » Comment les chercheurs s’y sont-ils pris ? Pour comprendre, visite guidée de la plateforme rennaise. 

A gauche, Charles Pineau, responsable de la plateforme Protim. A droite, un appareil d’imagerie par spectrométrie de masse Maldi ©Inserm/ François Guénet

Charles Pineau, directeur de recherche à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset), est responsable de la plateforme Protim, qui a participé à la réalisation de la première carte du protéome humain, affichée à l’écran. Chaque portion du cercle représente un chromosome. Pour chacun, la part des protéines déjà identifiées (18 357 au total) est indiquée en vert et celle dont on suspecte seulement l’existence (1 421) apparaît sous d’autres couleurs en fonction du niveau de preuve avancé. Grâce aux équipements dont elle dispose – ici, sur la photo de droite, un appareil d’imagerie par spectrométrie de masse Maldi –, la plateforme Protim permet aux chercheurs de l’Irset de mener leurs propres recherches, de collaborer avec d’autres équipes ou de proposer des prestations de services. Elle s’intègre ainsi dans le réseau de plateformes technologiques du Grand Ouest en sciences du vivant et de l’environnement : Biogenouest. 

Blandine Guével ©Inserm/ François Guénet

L’approche bottom-up, qui part de l’élément le plus fondamental puis élargit l’échelle d’observation, est la plus courante pour identifier des protéines. Première étape : le dosage protéique, ici réalisé par Blandine Guével, ingénieure d’études, permet de déterminer la quantité totale de protéines dans un échantillon. La méthode utilisée, dite « Micro BCA », aboutit à la formation d’un complexe coloré : plus les puits de la microplaque sont foncés, plus ils contiennent de protéines. Un comptage essentiel pour préparer la quantité de matériel biologique nécessaire à l’étape suivante 

Plateforme Protim ©Inserm/ François Guénet

Deuxième étape : la digestion des protéines. Celles-ci ne sont en effet pas analysées entières, mais digérées grâce à un cocktail d’enzymes, en vue d’obtenir des fragments de protéines, appelés « peptides ». Ces derniers sont solubles dans la solution qui sera injectée dans le spectromètre de masse. La digestion est cruciale dans la préparation des échantillons : si elle est incomplète, l’identification des protéines sera difficile. 

Fractionnement des peptides obtenus après digestion, réalisé par électrophorèse ©Inserm/ François Guénet

Troisième étape : le fractionnement des peptides obtenus après digestion, réalisé par électrophorèse. Cette technique permet de faire migrer, sous l’effet d’un champ électrique, les différents peptides en fonction de leur masse – les plus lourds migreront moins volontiers. Objectif : vérifier la qualité de la digestion. 

Régis Lavigne ©Inserm/ François Guénet

Ultime étape : l’analyse dans le spectromètre de masse, ici réalisée dans le milieu sans poussière d’une salle blanche par Régis Lavigne, ingénieur d’études. Cet équipement permet de mesurer la masse de chacun des peptides issus de la digestion des protéines. Si certaines masses correspondent aux informations présentes dans les bases de données existantes, les chercheurs peuvent reconstituer, comme un puzzle, la protéine entière, déterminer sa séquence en acides aminés et ainsi l’identifier.

Lames préparées pour la spectrométrie de masse ©Inserm/ François Guénet

Les lames pour le spectromètre de masse sont préparées à partir de tissus congelés, ici de l’épididyme, un canal reliant le testicule à la prostate. Les tissus sont préalablement découpés en très fines tranches de 10 à 20 μm d’épaisseur par un appareil appelé « microtome ». L’échantillon est ensuite recouvert de matrice (en jaune), une petite molécule organique qui, sous l’effet du laser, va transférer des électrons sur les protéines qu’il contient et permettre leur détection 

Spectrométre de masse Maldi ©Inserm/ François Guénet

Fleuron de l’équipement disponible au sein de Protim, l’appareil d’imagerie par spectrométrie de masse Maldi est capable d’identifier des protéines contenues dans un tissu, sans les digérer au préalable. Cette nouvelle approche permet d’étudier des protéines entières, de les localiser dans les tissus ou encore de suivre leur expression au cours du temps. A droite, cette plaque contient les échantillons à irradier dans le spectromètre. Une fois les échantillons irradiés, et les différents spectres de masse générés, un logiciel permet de reconstituer une « carte » qui localise plusieurs composés biologiques déjà identifiés – protéines, peptides, sucres, lipides, métabolites… – et présents simultanément dans un tissu. Une fenêtre ouverte, au temps T, sur leurs possibles interactions ! 

Charles Pineau et Sarah Lennon ©Inserm/ François Guénet

Le faisceau laser UV qui viendra irradier l’échantillon de tissu dans le spectromètre de masse est au cœur des discussions entre Charles Pineau et Sarah Lennon, chimiste analytique et chercheuse à l’institut Pasteur à Paris. Pour chaque zone ciblée, dite « spot », un spectre de masse est généré, avant de passer à un nouveau spot. 

Note :
* unité 1085 Inserm/Université de Rennes 1/École des hautes études en santé publique, Institut de recherche en santé, environnement et travail