Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de la cryothérapie du corps entier à visée thérapeutique – 2019

Depuis plusieurs milliers d’années le froid est utilisé en médecine pour lutter contre les douleurs et l’inflammation. Depuis quelques dizaines d’années, on observe un engouement croissant pour les soins à base de froid, en particulier ceux qui consistent à installer les sujets durant quelques minutes dans des chambres ou des cabines dont la température peut descendre sous ‑110°C. On parle alors de cryothérapie corps entier.

Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de la cryothérapie du corps entier à visée thérapeutique Expertise scientifique réalisée par l’unité Inserm 1178 dans le cadre d’une convention entre le Ministère de la Santé (Direction Générale de la Santé) et l’Inserm. Juin 2019

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Elle se décrit en deux modalités : la cryothérapie corps entier proprement dite qui consiste à l’exposition du corps entier, tête comprise dans une chambre cryogénique pendant 2 à 3 minutes à un froid sec (-110 à ‑170°C) et la cryothérapie corps partiel qui consiste à l’exposition dans une cabine cryogénique ouverte au niveau de la partie supérieure afin que la tête ne soit pas exposée à un nuage de gaz liquéfié à très faibles températures (-110 à ‑195°C).

A l’origine, ces appareils étaient destinés aux sportifs de haut niveau afin de prévenir ou traiter les douleurs musculaires après l’exercice. Désormais, ils sont aussi proposés à des patients douloureux atteints de maladies inflammatoires comme la spondylarthrite ankylosante ou souffrant de maladies neurologiques comme la sclérose en plaque voir pour quelques centres à un éventail de pathologies très large incluant les troubles anxieux et dépressifs, le psoriasis, les névrodermites, ou les troubles asthmatiques. A l’opposé, la cryothérapie corps entier est également utilisée en dehors de tout contexte pathologique, pour se sentir bien, voire pour des considérations esthétiques. En France, aucune réglementation ne restreint actuellement l’exploitation de cabines de cryothérapie corps entier à une profession donnée. Les séances de CCE ne sont pas conventionnées par l’Assurance Maladie.

Des mécanismes biologiques sont régulièrement proposés pour expliquer l’effet bénéfique du froid sur le corps. Ces explications sont diversement convaincantes et ne sont, en tous cas, pas suffisantes. Elles doivent être étayées par des études cliniques, en particulier par des études dites randomisées où l’on attribue par tirage au sort soit la cryothérapie corps entier, soit un autre traitement ou une prise en charge « neutre » (comme rester quelques minutes dans une cabine dont la température est amenée à seulement ‑5°C). De telles études existent, réalisées dans diverses indications (sportives ou médicales, notamment dans les douleurs lombaires, la fibromyalgie, les maladies inflammatoires rhumatismales). Globalement, les résultats sont décevants. D’une part, quand ils sont en faveur d’un effet positif de la cryothérapie, ces résultats sont modestes et mesurés uniquement à très court terme. D’autre part, la qualité méthodologique des études laisse beaucoup à désirer, ce qui doit amener à relativiser d’autant plus les effets positifs rapportés.

Il est difficile de blâmer à l’excès les investigateurs pour la faible qualité des études réalisées. Ces études sont difficiles à mettre sur pied, nécessitent une expertise très spécialisée et un budget conséquent. Or il n’existe aucune structure permettant d’aider les investigateurs potentiels à améliorer la qualité de leurs projets et les financements spécifiquement dédiés à l’évaluation de tels soins sont trop rares.

La cryothérapie corps entier pose par ailleurs d’authentiques problèmes de sécurité. Des effets secondaires bien réels ont été matérialisés par les études de cas publiées, des témoignages de professionnels et des affaires en justice : brulures locales au 1er ou 2ème degré, céphalées ou accentuations des douleurs présentes, urticaire chronique au froid, panniculite à froid, intolérances digestives et plusieurs cas d’ictus amnésique. Un cas de dissection de l’aorte abdominale a enfin été décrit.

Dans un tel contexte, on réalisera facilement à quel point il est indispensable de mieux étudier, évaluer la cryothérapie du corps entier.

Des études biologiques, des études cliniques, des registres de suivi des effets indésirables sont nécessaires. Il faut bien sûr que les conditions de ces évaluations soient rendues possibles par un soutien institutionnel, matériel et intellectuel des professionnels du champ.

Au total, il est difficile de se prononcer sur l’efficacité de la cryothérapie corps entier. Il est possible qu’à court terme cette prise en charge ait un certain effet. Il est vraisemblable que cet effet soit au mieux modeste, surtout à distance de l’intervention. En tout état de cause, la cryothérapie ne peut en aucune façon revendiquer de traiter efficacement des cancers ou d’autres pathologies somatiques sévères. On peut alors se demander l’origine du succès d’une telle technique. L’effet antalgique évident du froid, que nous avons tous pu expérimenter au moins ponctuellement ; les explications biologiques rassurantes car relevant d’un discours scientifique ; le caractère naturel, non chimique, de l’exposition à des basses températures sont autant d’explications possibles qui peuvent nous pousser à croire que la cryothérapie corps entier « marche bien ». Cette croyance peut d’ailleurs participer à l’effet thérapeutique, et pourquoi pas. Mais non seulement il ne faut pas négliger les effets indésirables observés dont certains ne sont pas anodins et, par ailleurs, comme pour toute approche thérapeutique, il est indispensable d’étudier scientifiquement la nature, l’importance et la durabilité de l’efficacité alléguée.