Sophie Ugolini : une visionnaire en immunologie

Sophie Ugolini trace une route inédite dans le domaine de l’immunologie en étudiant l’influence du système nerveux sur la régulation de l’immunité. Un domaine pour ainsi dire vierge quand elle s’est lancée dans cette voie en 2012, après plusieurs années à décrypter les mécanismes de régulation immunitaire. Ce choix audacieux lui a valu d’obtenir coup sur coup deux financements importants qui assurent depuis 2015 le fonctionnement d’une équipe motivée et des travaux novateurs.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°60

Sophie Ugolini, directrice de recherche à l’Inserm et responsable de l’équipe Régulation neuronale de l’immunité au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (unité 1104 Inserm/Aix-Marseille Université/CNRS).

Niché au cœur du parc national des calanques, sur le campus de l’université Aix-Marseille, le Centre d’immunologie de Marseille-Luminy peut se targuer de compter Sophie Ugolini dans ses rangs. Cette directrice de recherche à l’Inserm et responsable de l’équipe Régulation neuronale de l’immunité connaît bien les lieux puisqu’elle y a été formée. Mais si elle y est restée, c’est parce qu’elle a su tirer le meilleur de ses expériences professionnelles pour développer une nouvelle discipline : la neuro-immunologie. Un domaine émergent. « Quand j’ai commencé à m’y intéresser en 2012, personne n’en parlait. Pourtant, le lien entre système nerveux et système immunitaire me paraissait évident et attisait ma curiosité.

Lors d’une infection ou d’une blessure, la douleur perçue par le système nerveux est un signal d’alerte pour l’organisme. Au même moment, le système immunitaire est également activé. J’ai émis l’hypothèse que ces deux systèmes pouvaient “coopérer” pour lutter contre les pathogènes et cicatriser les tissus. Poursuivant cette intuition et grâce à une collaboration étroite avec le neurobiologiste Aziz Moqrich, notre laboratoire a exploré les mécanismes intimes des régulations neuro-immunes », se rappelle-t-elle.

À l’époque certains collègues ne soutiennent pas son projet, qui est jugé trop exploratoire, mais elle monte des dossiers de financement et finit par être suivie. Et même très bien suivie. Elle décroche en 2014 un financement européen du Conseil européen de la recherche (bourse Consolidator). Deux millions d’euros pour cinq ans. Un tournant pour sa carrière. « Un tel soutien permet de mener des projets ambitieux en se focalisant sur ses travaux sans avoir à s’interrompre sans arrêt pour trouver de nouveaux financements », clarifie-t-elle. Elle peut enfin monter une équipe motivée pour se dédier à cette thématique novatrice.

Une nouvelle discipline

« Du concept à la démonstration, il y avait beaucoup de choses à mettre en place pour prouver que mes intuitions avaient une base scientifique pertinente », se souvient-elle. Elle utilise des modèles de souris génétiquement modifiés qui avaient été développés notamment par des neurobiologistes, pour analyser l’impact sur l’immunité de l’absence de sous-population de neurones sensoriels. Son travail est couronné de succès. Son laboratoire démontre par exemple que des neurones impliqués dans la douleur ont un rôle antiviral contre HSV‑1, le virus de l’herpès, qui provoque l’apparition de vésicules douloureuses. Elle prouve aussi qu’une sous-population de neurones sensoriels innervant la peau contrôle l’inflammation et la réparation des tissus cutanés suite à une exposition aux ultraviolets. Ou encore, l’équipe met en évidence le rôle anti-inflammatoire de la protéine TAFA4 produite par les neurones sensoriels. « Une découverte majeure qui pourrait déboucher sur de nouvelles thérapies pour contrôler les maladies inflammatoires », estime-t-elle.

Forte d’avoir créé une véritable dynamique dans ce domaine, elle vient de nouveau d’obtenir la dotation Impulscience de la fondation Bettencourt-Schueller d’un montant de 2,3 millions d’euros pour développer un projet ambitieux sur cinq ans. « Nous allons continuer nos travaux et en particulier nous pencher sur l’effet thérapeutique des caresses ! Nous émettons l’hypothèse qu’au-delà de leur rôle social et réconfortant, les caresses pourraient jouer un rôle direct sur l’immunité. En effet, la molécule anti-inflammatoire TAFA4 est produite par une sous-population de neurones sensibles aux touchers légers. Grâce à de nouveaux modèles animaux nous allons étudier l’impact possible de la stimulation de ces neurones sur l’immunité. »

Les fondamentaux restent

Mais si la voie de la neuro-immunologie fait couler de l’encre par son originalité, elle ne doit pas masquer l’apport de Sophie Ugolini en matière d’immunologie pure, avec près de trente ans au service de cette discipline. Intriguée par les mécanismes de régulation des réponses immunitaires et inflammatoires, elle s’est fixé l’objectif de comprendre comment elles éliminent des pathogènes ou des cellules cancéreuses sans altérer les autres cellules saines environnantes. Elle a notamment beaucoup étudié les cellules tueuses naturelles NK (pour natural killer), qui ciblent les cellules cancéreuses ou infectées par des virus. Cela lui a valu des publications majeures et de participer à un essai clinique fondé sur la perfusion de cellules NK activées chez des patients cancéreux. Des avancées importantes reconnues par le prix Recherche de l’Inserm en 2012.

« Un parcours semé d’embûches mais tellement passionnant », reconnaît-elle. Toute cela est le fruit d’une insatiable curiosité, d’une fascination qui ne faiblit pas devant l’extraordinaire complexité et robustesse des êtres vivants, capables de se défendre contre les agressions, de s’adapter, de se réparer… « Plus on avance dans la connaissance, plus cette complexité se dévoile et ouvre la porte à de nouveaux questionnements, de nouveaux processus qu’on ne soupçonnait pas. Je suis fière d’apporter quelques pièces à ce puzzle qu’on est encore très loin d’avoir terminé. Je suis d’ailleurs fière de mon métier. C’est un tel privilège. On nous paye pour comprendre ! » Toutefois, la curiosité ne suffit pas, il faut aussi, selon elle, une bonne dose de travail, de détermination et de persévérance. À ce sujet, elle révèle prolonger sa quête de connaissances en explorant l’effet placebo : « Cet effet, qu’on peut qualifier de thérapeutique puisqu’il est capable de réduire des symptômes alors qu’il tient à la seule confiance accordée à un traitement en réalité inactif, m’a toujours intéressée. » Autant dire qu’il lui reste un certain nombre de fils à tirer et que la neuro-immunologie a de beaux jours devant elle…


Sophie Ugolini est directrice de recherche à l’Inserm et responsable de l’équipe Régulation neuronale de l’immunité au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (unité 1104 Inserm/Aix-Marseille Université/CNRS).


Autrice : A. R.

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