Nicolas L’Heureux : Des vaisseaux sanguins artificiels 100 % biologiques

Lauréat d’une bourse du conseil européen de la recherche en 2022 pour son projet de développement de tissus artificiels dans le traitement du prolapsus des organes pelviens, Nicolas L’Heureux, directeur du laboratoire Bioingénierie tissulaire de Bordeaux, a travaillé pendant vingt ans à la conception de vaisseaux artificiels imperméables, résistants et sans produit de synthèse.

Un article a retrouver dans le magazine de l’Inserm n° 55

Portrait de Nicolas L'Heureux
Nicolas L’Heureux est directeur du laboratoire Bioingénierie tissulaire (Biotis, unité 1026 Inserm/Université de Bordeaux), à Bordeaux. © Inserm / François Guénet

Quelles recherches peut-on pousser ? Qu’est-ce qui n’a pas encore été tenté ? Ces interrogations, Nicolas L’Heureux, directeur de recherche Inserm, se les pose au quotidien depuis longtemps, « comme un jeu ». Ainsi a‑t-il eu très tôt l’idée de repousser les limites de l’ingénierie tissulaire vasculaire dans laquelle il s’est engagé dès sa maîtrise. « Quand on réalise un pontage cardiaque ou autre, on utilise de préférence les vaisseaux du patient qui sont prélevés à un endroit et transplantés dans un autre, plus critique. L’autogreffe reste la meilleure solution aujourd’hui encore, mais c’est une ressource limitée. » Les maladies comme les AVC, l’hyperlipidémie ou la thrombose, qui ont la particularité d’être systémiques – elles s’attaquent à tous les vaisseaux à des degrés variables –, ainsi que le vieillissement fragilisent nos vaisseaux. Et plus la nécessité d’une opération est précoce, plus la probabilité d’une seconde intervention est importante. « Une artère transplantée va résister une dizaine d’années en moyenne et une veine six à sept ans. » Restent alors les prothèses synthétiques.

Mais les vaisseaux artificiels en polyesters, PET (Dacron®) ou PTFE (Goretex®), sont loin d’être la solution miracle. Bien qu’inertes, ces plastiques sont agressés dans les premiers jours qui suivent l’opération par un système immunitaire inné hypervigilant, hostile à la moindre intrusion d’un corps étranger. S’opère ainsi une inflammation chronique des tissus implantés qui mènera souvent à l’échec éventuel du greffon. « L’inflammation aux extrémités de la greffe génère une hyperplasie intimale, c’est-à-dire une hypercicatrisation des vaisseaux qui se forme à la jointure entre les cellules natives et la prothèse, plus rigide », précise le chercheur. Ce qui entraîne une compression du vaisseau par épaississement des parois, des phénomènes de turbulences et un bouchage progressif de l’intérieur du vaisseau qui finit par s’obturer. « Et plus le diamètre des vaisseaux est petit, plus les choses se corsent évidemment. »

Des vaisseaux artificiels « nouvelle génération »

Nicolas L’Heureux a donc cherché à contourner ce problème. Au Laboratoire d’organogenèse expérimentale (Loex) du CHU de Québec où il étudiait en 1989 et 1990, le jeune biologiste commence par remplacer les cellules bovines, utilisées au préalable comme modèle animal, par des cellules humaines afin d’augmenter le niveau de tolérance du système immunitaire. Puis il revoit la composition des gels de collagène utilisés alors dans le développement de greffons vasculaires et l’adapte aux contraintes mécaniques des vaisseaux. Ce gel était obtenu classiquement en solubilisant le collagène et en le reprécipitant pour le couler dans la forme du tissu concerné. Au bout du compte, on obtenait un aspic. « Son problème est qu’il se déchire et fond dès que vous le manipulez. » En quête de solution, l’étudiant va utiliser une technique de lyophilisation qui lui a permis de comprimer le collagène, de le traiter pour augmenter sa densité et même de le rouler pour former un tube autour duquel il allait pouvoir greffer des cellules vivantes.

Et c’est à ce moment-là que tout a basculé. Nicolas L’Heureux décide alors de laisser un flacon de cellules maturer deux semaines en culture dans un incubateur, juste pour voir ce qui en sortirait. « Dans certains laboratoires, c’est souvent un défi de garder des cultures cellulaires stériles pendant plusieurs semaines. J’ai voulu savoir ce qui se formerait et, au Loex, ce n’était pas un problème. Après quelques ajustements, l’expérience a fini par produire des feuillets de matrice homogènes et relativement épais. Aujourd’hui cette technique relève de la routine, et sans aucun antibiotique. »

Car là, surprise. Au fond du flacon flottaient un feuillet de cellules et sa matrice extracellulaire qui s’étaient liés et contractés spontanément, jusqu’à se détacher du support plastique. « Pour la première fois, nous obtenions un tissu entièrement biologique qui avait des propriétés mécaniques similaires à celles du tissu natif. Je pouvais l’étirer, jouer avec. » En changeant de type cellulaire, Nicolas L’Heureux a même obtenu ensuite un bien meilleur résultat, avec un tissu plus résistant. Le chercheur tenait une piste solide.

Il multiplie alors les essais, se met à rouler plusieurs feuillets sur des tubes pour obtenir des multicouches, les place dans un bioréacteur pour que les couches fusionnent. Avant de combiner deux types cellulaires, fibroblastes et cellules musculaires, et d’en insérer au centre du vaisseau un troisième, des cellules endothéliales. Le vaisseau artificiel nouvelle génération était né. « Nous étions enfin capables de synthétiser des vaisseaux avec des propriétés remarquables, sans aucun support exogène et qui avaient des résistances mécaniques équivalentes à celles de nos vaisseaux les plus forts, les artères. » Ont suivi la publication d’un article dans le FASEB Journalainsi que plusieurs articles et dépôts de brevets. Puis des essais à grande échelle et de longue durée ont été programmés chez l’animal dès 1995 dans le cadre d’un post-doctorat à l’université de Californie à San Diego (UCSD).

Revenir aux fondamentaux

« Quand je suis arrivé aux États-Unis, j’ai basculé dans un autre univers », relate le chercheur. Un monde ultra-entreprenant, positif, visionnaire. Très proche de l’industrie. « Avec un autre étudiant de l’UCSD, j’ai levé plusieurs financements importants pour démarrer la start-up Cytograft Tissue Engineering. J’ai tenu une quinzaine d’années avec des résultats prometteurs mais cela n’a pas suffi. Le temps de développement était résolument trop long par rapport aux scénarios d’investissement classiques. » C’est alors que Nicolas L’Heureux décide de revenir aux « fondamentaux ». De rejoindre la France pour prendre le temps de pousser à nouveau ses recherches avant de les valoriser en temps voulu. Il obtiendra un financement ANR au laboratoire Bioingénierie tissulaire (Biotis) de Bordeaux en 2015, puis une bourse ERC (European Research Council) Advanced en 2018 pour développer un nouveau modèle et le tester chez l’animal. « J’ai proposé de découper les feuillets en fils avec lesquels nous pourrions utiliser des approches textiles. Et c’est ce que nous avons fait. Nous disposons aujourd’hui de métiers à tisser semi-automatisés circulaires pour fabriquer des vaisseaux très imperméables et très résistants. »

Une nouvelle ère était lancée. Et avec elle, l’ouverture vers de nouveaux marchés. Récemment, l’équipe a obtenu un financement ERC Proof of Concept de l’Europe pour POPTex. Un projet qui débute tout juste et qui vise à remplacer les filets de polypropylène récemment retirés du marché par des maillages biologiques, dans le cadre du traitement contre le prolapsus des organes pelviens, un syndrome qui concerne plus d’une femme sur deux après 45 ans.

Dates clés

  • 1998. Premier article montrant un vaisseau sanguin entièrement biologique issu de l’ingénierie tissulaire avec une force physiologique
  • 2000. Fondation de Cytograft Tissue Engineering, Inc., en Californie
  • 2004. Première implantation chez l’humain d’un vaisseau sanguin issu de l’ingénierie tissulaire
  • 2009. Publication de la première série de patients
  • 2015. Directeur de recherche de 2e classe
  • 2018. ERC Advanced
  • 2022. Directeur de l’unité Biotis à Bordeaux ; ERC Proof of Concept

Nicolas L’Heureux est directeur du laboratoire Bioingénierie tissulaire (Biotis, unité 1026 Inserm/Université de Bordeaux), à Bordeaux.

À lire aussi

Nicolas L'Heureux
Avec leur 2 mm de diamètre, les prothèses vasculaires synthétiques en alcool polyvinylique rejoignent la taille des petits vaisseaux du corps humain.