José-Alain Sahel : Un combat incessant pour préserver la vision

Pourquoi certaines personnes perdent-elles leur vision centrale ? Comment la préserver et même la restaurer ? Voilà deux des questions qui ont guidé la carrière de José-Alain Sahel, et auxquelles il a déjà apporté de nombreux éléments de réponse. Un acharnement récemment récompensé, à Berlin, par le prix Science Breakthrough of the Year in Life Science.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°52

Photo de José-Alain Sahel
José-Alain Sahel © François Guénet/Inserm

« L’ophtalmologie est une discipline complète, à la fois médicale, chirurgicale, technologique, esthétique et humaine. Ces différentes facettes ont réussi à me séduire en quelques mois, au cours d’un stage à la Fondation ophtalmologique Rothschild à Paris auprès du Dr Jean Ganem, effectué un peu par hasard après mon doctorat de médecine », se souvient le professeur José-Alain Sahel*, directeur de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) parisien FOReSIGHT. Résultat : celui qui se destinait à la cancérologie pédiatrique se lance finalement dans un internat en ophtalmologie, qu’il termine en 1984 aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Il devient alors chef de clinique, tout en se lançant en parallèle dans un cursus scientifique en neurosciences – la rétine faisant partie du système nerveux central. « Je n’avais cependant pas l’ambition de rester à l’hôpital, où le poids des relations hiérarchiques ne me convenait pas. À l’époque, j’espérais m’installer en libéral », note le chercheur.

Oui mais voilà, il y a les patients… et leur impatience légitime, qui va bouleverser ses plans. « Le malade est censé représenter le versant question, et le médecin le versant réponse. Or, les réponses, ce dernier ne les a pas toutes ! Il lui faut les chercher parfois dans des champs improbables, puis jouer le rôle de passeur entre la recherche et la prise en charge clinique. » Au cours d’un post-doctorat à l’université Harvard, aux États-Unis, José-Alain Sahel réalise que cet entre-deux est possible : il sera à la fois clinicien et chercheur. Une voie qu’il va devoir tracer dans ce qu’il appelle « une forme d’illégitimité ». « Je n’ai pas suivi le parcours royal de la recherche : thèse, grand institut de recherche, double cursus en médecine. Mais j’ai continué mon bonhomme de chemin malgré tout, car je ne voyais pas d’autre moyen de faire ce que je voulais faire. » À savoir, combler des vides béants dans la recherche ophtalmologique. « D’un côté, c’était une spécialité très performante et très gratifiante : on pouvait réaliser une opération chirurgicale et en observer les bénéfices chez le patient dès le lendemain, souligne le scientifique. De l’autre, il existait des pans entiers de maladies pour lesquelles on ne pouvait rien faire, notamment celles liées au vieillissement et à la génétique. »

Répondre aux grands défis

Nommé professeur aux hôpitaux universitaires de Strasbourg à seulement 32 ans, José-Alain Sahel y voit l’opportunité de s’installer dans le temps long pour répondre à ces grands défis. Il commence ses recherches seul, puis son équipe s’agrandit progressivement jusqu’à constituer une petite unité Inserm. Il décide alors de se consacrer aux rétinopathies pigmentaires, des maladies héréditaires dégénératives de la rétine, qui affectent en premier lieu les cellules photoréceptrices – les bâtonnets et les cônes. À l’époque, les gènes impliqués ne sont pas encore identifiés et les patients ne peuvent échapper à la cécité. Or le chercheur refuse de se résigner. D’où vient la perte de la vision centrale ? Grâce à ses équipes et à une collaboration précieuse avec le biologiste moléculaire Thierry Léveillard*, il acquiert progressivement des éléments de réponse.

Près de 30 ans plus tard, le mécanisme en jeu est identifié, la preuve d’un traitement sur l’animal apportée et la start-up Sparing Vision, qui portera les recherches en clinique en 2022, créée. « Cela a été long, difficile et plusieurs fois nous avons failli abandonner, retrace José-Alain Sahel. Dans la recherche, on passe toujours par d’intenses moments de découragement. L’important est qu’ils vous fassent grandir. Et si j’ai bien une caractéristique qui prévaut sur les autres, c’est la ténacité. »

Cette même ténacité lui a aussi permis de donner vie à l’un des plus importants centres de recherche intégrée dédiés aux maladies de la vision. En 2001, il quitte ainsi Strasbourg pour rejoindre l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris et se lance dans un projet d’institut : l’Institut de la vision*. Celui-ci est prêt en 2008, mais est détruit dans un incendie un mois plus tard. « Il a fallu tenir un an et demi sans locaux, sans labo, se rappelle le professeur. Rétrospectivement, je ne sais pas comment on a fait. Le courage des équipes a été lumineux. »

D’une centaine de chercheurs en 2009, l’Institut de la vision en accueille trois fois plus aujourd’hui. Ses maîtres-mots ? La multidisciplinarité et la curiosité. « Le plus merveilleux tout au long de ma carrière a été de travailler en équipe, insiste José-Alain Sahel. À l’Institut, nous avons des médecins, des chercheurs et des industriels, réunis autour des patients. Ce sont les questions ouvertes que chacun se pose qui créent des liens fructueux. Ces questions sont alimentées à la fois par l’attente pressante de réponses concrètes du côté des patients, et par notre propre curiosité. »

Des succès récompensés

Une recette qui fonctionne : la recherche progresse à grands pas et a déjà conduit à la création d’une douzaine de start-up destinées à mettre les innovations médicales de l’institut sur le marché. C’est par exemple le cas de Pixium Vision, prolongement d’une autre des grandes aventures de José-Alain Sahel : celle de la rétine artificielle. Commencée en 1996 avec le chercheur de l’Inserm Serge Picaud et le professeur Avinoam Safran, chef du service ophtalmologie aux hôpitaux universitaires de Genève, en Suisse, elle aboutit à la première implantation d’une rétine artificielle en 2008. Aujourd’hui deux essais cliniques internationaux sont en cours, en partenariat avec l’université Stanford, aux États-Unis, avec comme objectif de rendre la vue à ceux qui l’ont perdue par dégénérescence maculaire liée à l’âge.

Dans la liste des succès de l’Institut de la vision, citons également les progrès réalisés en thérapie génique sur les maladies génétiques de la rétine et la neuropathie optique. Ou encore, le premier traitement par optogénétique, qui a permis à deux patients atteints de rétinite pigmentaire de pouvoir à nouveau localiser, toucher et compter des objets. « Les meilleurs moments dans la vie d’un chercheur, ce sont les instants de découverte. Nous avons eu la chance d’en vivre plusieurs », apprécie José-Alain Sahel. En 2021, le prix internationalement reconnu Science Breakthrough of the Year in Life Science, que lui a décerné la fondation Falling Walls, à Berlin, met ainsi en lumière une vie de recherche dédiée au combat contre la cécité.

Après avoir dirigé pendant 12 ans l’Institut de la vision, José-Alain Sahel a laissé sa place à son collaborateur, Serge Picaud, le 1er janvier 2021. Mais il reste directeur de l’IHU FOReSIGHT, qu’il a créé en 2019. Celui-ci rassemble à Paris l’Inserm, Sorbonne Université et le centre hospitalier des Quinze- Vingts autour de l’Institut de la vision et vise à faciliter les recherches sur la perte de la vision en mêlant expertise scientifique et pôles de soin. José-Alain Sahel est également à présent directeur du département d’ophtalmologie à l’université de Pittsburgh, aux États-Unis, où il supervise la création d’un Institut de la vision américain, qui travaille déjà étroitement avec celui de Paris. Son cerveau fourmille toujours de projets et d’idées de recherche, de la stimulation cérébrale pour les aveugles à la régénération du nerf optique, en passant par la dimension sociale de la santé, et des recherches, en collaboration avec des philosophes, sur le vécu des patients. Toujours avec cette même envie : faire la lumière, et aider.

Note :
*unité 968 Inserm/CNRS/Sorbonne Université, Institut de la vision, Paris 

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