Samira Fafi-Kremer : Pour l’amour des virus

Franco-marocaine, femme, jeune, Samira Fafi-Kremer était loin d’avoir une carrière toute tracée. Pourtant la force, la volonté et la curiosité innées de la virologue en ont fait un monument scientifique respecté et récompensé. Elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur de la République française en 2021, puis rentre dans le classement des 40 femmes Forbes 2023. Un succès qu’elle partage aujourd’hui en transmettant ses valeurs à une nouvelle génération de scientifiques, en particulier des femmes de son pays d’origine.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°59

Samira Fafi-Kremer, unité Immunologie et rhumatologie moléculaire (unité 1109 Inserm/Université de Strasbourg), Institut de virologie de Strasbourg. ©Inserm/François Guénet

Arrivée en France à l’âge de 18 ans, Samira Fafi-Kremer se rappelle : « À l’époque, partir seule à l’étranger, pour faire des études longues, était compliqué à tous les niveaux. Néanmoins, je me suis accrochée, et suis très fière d’y être parvenue. » Encouragée et soutenue par ses parents qui restent au Maroc à Meknès, la jeune femme s’installe à Grenoble pour suivre des études de pharmacie et « déchiffrer les compositions des médicaments ». Son intérêt pour la microbiologie naît d’un stage qui l’amène à côtoyer le monde hospitalier. De fil en aiguille, elle y découvre la virologie médicale et la recherche appliquée.

Éprise par cette facette de sa spécialité, elle relate : « Vers la fin de mon internat, j’assiste à un cours sur le virus d’Epstein-Barr (EBV) qui m’a fascinée. Le professeur me propose de faire une thèse de sciences sur le sujet. Au fur et à mesure que j’avançais dans mes travaux, je suis littéralement tombée amoureuse de ce virus. » Samira Fafi-Kremer endosse avec joie les aspects cliniques de sa recherche, en suivant les patients de son étude pendant un an. Elle obtient un doctorat d’État de pharmacie et un diplôme d’études spécialisées de pharmacie en recherche et biologie médicale en 2001, suivis d’une thèse de sciences à l’université de Grenoble en 2005. Elle déménage en octobre 2005 à Strasbourg, où elle adapte son activité aux études sur place. De l’EBV, elle passe au virus de l’hépatite C, avec un intérêt particulier pour les anticorps et les transplantés d’organe qui la suivra tout le long de sa carrière. « C’est tout aussi enrichissant que difficile de passer d’un virus à un autre, décrit Samira Fafi-Kremer. Une fois qu’on a commencé à bien en comprendre un, changer pour un autre vient avec son lot de défis. Peut-être que mon seul regret est de ne pas avoir pu continuer d’étudier l’EBV, mon premier amour de virus, mais la vie en a décidé autrement. »

Un seul credo, l’optimisme

En 2013, un nouveau type de traitement contre l’hépatite C voit le jour, forçant la chercheuse à explorer de nouvelles avenues. « Je devais repartir de zéro, trouver des financements et une nouvelle thématique de travail accompagnée seulement d’une étudiante en master 2. Nous avons passé des moments extrêmement difficiles, d’autant qu’en tant que femme, jeune, en début de carrière, on doute beaucoup, se souvient-elle. Ce fut un vrai challenge. Mais, passionnée, j’ai foncé tête baissée, sans me soucier à l’avance des difficultés que je risquais de rencontrer, avec un seul credo, l’optimisme. »

Samira Fafi-Kremer plonge alors dans l’univers d’un virus peu étudié, bien que très répandu, le virus BK, qui doit son nom aux initiales du premier patient chez qui il a été identifié. Quiescent chez plus de 90 % de la population générale, le virus tend à se réactiver dans un contexte de diminution de l’immunité. Son pouvoir pathogène s’exprime principalement chez les transplantés rénaux, que la chercheuse connaît bien. Tout était à faire, retrace‑t‑elle. « On ne savait pas dire qui était réellement à risque d’infection grave par le virus BK, ni comment prévenir l’infection ou la traiter une fois installée. J’ai eu de la chance. Mon activité hospitalière et ma proximité avec les néphrologues me permettaient d’étudier les patients transplantés en vie réelle. Les problématiques rencontrées constituaient une source intarissable d’idées de recherche : la première visait à trouver un marqueur capable d’identifier les patients à risque. » De découvertes en découvertes, l’équipe de Samira Fafi-Kremer s’étoffe, s’agrandit et prospère. Elle obtient de nombreux financements, dont un de l’Agence nationale de la recherche pour développer un traitement antiviral, avec l’équipe grenobloise de Pascal Poignard, pour lequel ils attendent aujourd’hui l’approbation d’un brevet.

En parallèle, début 2020, la virologue et son équipe se retrouvent sur le front de la lutte contre la Covid-19. L’Alsace est l’une des premières régions de France touchée par la pandémie, et son laboratoire est propulsé en première ligne. « En tant que cheffe de service de virologie, j’ai dû tout réorganiser avec mon équipe pour mettre en place la plateforme de test à l’hôpital pour toute l’Alsace », se souvient la chercheuse. Mais même en période de crise, Samira Fafi-Kremer n’en oublie pas son amour pour les virus et les découvertes médicales. Elle pousse, avec le soutien de ses collègues, pour monter un projet clinique qui suit les patients infectés et étudie leur réponse humorale, c’est-à-dire l’immunité adaptative par production d’anticorps. En collaboration avec l’institut Pasteur, elle montre notamment que les femmes présentent une immunité plus longue que les hommes face au nouveau coronavirus. Elle raconte : « Pour une virologue, étudier un virus au tout début de sa découverte, en temps réel, est une opportunité rare et excitante. Les autres virus, on les apprend et on les comprend dans les livres. Là, on faisait des découvertes tous les jours sur le terrain. C’était exaltant. »

Inspirer, au-delà des frontières

Après 23 ans de service dans le secteur de la santé, en décembre 2020, Samira Fafi-Kremer est nommée chevalier de la Légion d’honneur de la République française. « Ce fut un moment inoubliable, décrit-elle. J’étais entourée de tous mes proches et collègues, tous ceux qui m’ont aidée et soutenue. Pour une femme chercheuse étrangère, recevoir la plus haute distinction française représente une énorme fierté, une consécration pour ma carrière et un modèle qui, j’espère, inspirera au-delà des frontières. » Cet exemple, la scientifique souhaite le porter. Elle participe notamment à la promotion des femmes dans la recherche dans son pays d’origine, à travers des collaborations et interventions au sein du réseau international des Compétences médicales et scientifiques des Marocains du monde. « C’est important d’encourager les femmes, exprime-t-elle haut et fort. On peut tout faire : entreprendre une carrière longue, avoir des enfants et endosser de grandes responsabilités. Mais il faut croire en soi, et rester optimiste ! Notre culture marocaine est une richesse inestimable dont on doit être fières. Mais au-delà de nos origines, de notre sexe, si on s’accroche à nos rêves et qu’on persévère, on peut y arriver. » Ce message, le magazine américain Forbes l’entend, et intègre Samira Fafi-Kremer dans le classement des 40 femmes qui ont marqué l’année 2023, une nouvelle source d’inspiration pour les générations de chercheuses – et de chercheurs – à venir.


Samira Fafi-Kremer est chercheuse dans l’unité Immunologie et rhumatologie moléculaire (unité 1109 Inserm/Université de Strasbourg), à l’Institut de virologie de Strasbourg.


Auteur : M. R.

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