Romain Quentin : Comprendre l’apprentissage pour l’améliorer

Spécialiste en neurosciences cognitives et computationnelles, domaine dans lequel des outils mathématiques sont utilisés pour développer et tester des théories sur le fonctionnement cérébral, Romain Quentin caractérise les mécanismes neuronaux qui ont lieu au cours d’un apprentissage. Lauréat d’un financement Atip-Avenir qui lui a permis de former sa propre équipe, il souhaite identifier comment améliorer la façon dont notre cerveau mémorise de nouvelles compétences.

Si en matière de recherche l’erreur a souvent été source d’innovation ou de découverte inattendue, elle constitue aussi une pierre angulaire de l’apprentissage cognitif, et ce dès le plus jeune âge. Romain Quentin, chercheur Inserm, se penche justement sur l’exploration des processus neuronaux impliqués dans la façon dont nous apprenons de nos erreurs – par exemple lorsque nous réajustons le lancer d’un ballon de basket vers la droite après l’avoir lancé trop à gauche lors d’un premier essai. Pour comprendre comment cela se passe, le chercheur exploite le potentiel d’une technique particulièrement performante : la magnétoencéphalographie (MEG). « Cette méthode de neuro-imagerie enregistre les signaux magnétiques cérébraux avec une très bonne résolution temporelle, de l’ordre de la milliseconde, et une bonne résolution spatiale, de l’ordre du centimètre et parfois même du millimètre », explique-t-il. Couplée à des algorithmes de machine learning, elle lui permet d’identifier les mécanismes neuronaux qui sont impliqués dans le maintien de l’information relative à une erreur d’un essai à l’autre.

Portrait de Romain Quentin
Romain Quentin

Pour conduire ce travail, Romain Quentin a bénéficié en 2021 d’un financement Atip-Avenir qui lui a donné la possibilité de recruter des collaborateurs et de monter sa propre équipe. Ensemble, ils conduisent des expériences comportementales, des tests d’électrophysiologie cérébrale et de stimulation cérébrale non invasive dans l’objectif de percer les mystères neuronaux de l’apprentissage. « Sur la base de nos découvertes, notre souhait serait de pouvoir développer des interventions qui permettraient d’améliorer les processus d’apprentissage, que ce soit en stimulant le cerveau ou en développant des protocoles d’entraînement mental particulier. » Mais pour cela, il est nécessaire d’également comprendre les autres processus d’apprentissage.

Romain Quentin a donc élargi les travaux de son laboratoire à l”« apprentissage statistique », encore appelé « apprentissage des régularités ». « Celui-ci intervient lorsque de courtes séquences d’évènements ou de stimuli se répètent à nous de façon identique. Notre cerveau finit par prédire la survenue de la suite de la séquence dès que celle-ci débute. On pense que c’est un processus important pour l’apprentissage du langage : le cerveau ferait des statistiques et repèrerait les successions de syllabes fréquentes et celles qui sont plus aléatoires. Cela permettrait au nourrisson de distinguer les mots les uns des autres lorsqu’une personne lui parle. » Et là encore les mécanismes à l’œuvre restent à identifier : « Nous explorons actuellement plusieurs hypothèses : est-ce que deux événements associés ont des schémas d’interactions neuronales qui deviennent similaires ? Est-ce que le cerveau rejoue en accéléré ce qu’il vient d’apprendre juste après l’évènement, comme cela a été décrit chez la souris ? Cette sorte de replay neuronal pourrait nous aider à mémoriser l’information. »

De la physique à la neurobiologie

L’attrait de Romain Quentin pour la neuroimagerie n’est pas nouveau. Au début de son parcours universitaire, il a réalisé son mémoire de licence sur la physique de l’imagerie par résonnance magnétique (IRM), une technique d’imagerie médicale voisine de la MEG. Car le chercheur n’est pas biologiste ou médecin, mais physicien. « Au lycée, j’étais passionné par les sciences fondamentales et les sciences cognitives. Dans un premier temps, la physique l’a emporté. Mais lorsqu’un master Neurosciences et neuroimagerie s’est ouvert dans mon université, j’ai sauté sur l’opportunité de combiner mes deux centres d’intérêt », raconte-t-il. À l’issue de cette formation, il s’oriente vers la recherche et prépare son doctorat à l’Institut du cerveau à Paris. Il devient expert en tractographie, une technique d’IRM qui permet d’identifier les connexions entre réseaux neuronaux au sein de la substance blanche, cette zone du cerveau constituée d’axones, les prolongements cellulaires des neurones. « Mon sujet de thèse consistait à caractériser la perception visuelle consciente et à l’améliorer en soumettant les participants à une stimulation magnétique de certaines zones cérébrales. Mais quand on se spécialise sur une technique d’analyse, on s’aperçoit à la fois de son potentiel et de ses limites. C’est un peu ce qui m’est arrivé avec la tractographie. » Alors qu’il avait initialement prévu de s’appuyer sur cette même méthode pour conduire un travail post-doctoral au National Institute of Neurological Disorders and Stroke aux États-Unis (NIH, NINDS), il se tourne finalement vers la magnétoencéphalographie, capable de décrypter finement des processus dynamiques. « Ma trajectoire de recherche a fréquemment changé de direction. Cela montre bien que la carrière d’un scientifique est rarement un chemin linéaire. » Son dernier revirement a lieu lorsque son épouse, également chercheuse en neurosciences, décroche un poste au CNRS. « Nous étions tous les deux aux États-Unis et nous attendions un enfant. Nous souhaitions donc logiquement rentrer ensemble, et conduire notre carrière en France. » Deux ans plus tard, il décroche son financement Atip-Avenir et, après quelques mois, un poste de chargé de recherche Inserm au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

« Le programme Atip-Avenir est un véritable tremplin pour initier sa propre thématique de recherche dans d’excellentes conditions », reconnaît le chercheur. L’autonomie dont il a ainsi bénéficié lui a permis d’adapter ses recherches à son inaltérable curiosité : « Je suis très attiré par les innovations, les nouveaux projets… Et j’ai besoin de flexibilité pour m’épanouir en tant que chercheur. Avec Atip-Avenir, l’Inserm offre une très grande liberté scientifique. Ma thématique va sans doute moins évoluer dans le futur, mais le développement d’aspects plus cliniques que je souhaite conduire est très excitant ». Pour cela, il souhaite exploiter le potentiel élevé de la MEG, encore marginale en clinique, dans l’exploration de pathologies du système nerveux central. Le chercheur explore par exemple les signaux spécifiques enregistrés chez des personnes épileptiques au moment des crises. Avec la MEG combinée au machine learning, il espère identifier les zones épileptogènes du cerveau, plus précisément qu’avec les approches utilisées conventionnellement. Il souhaite aussi identifier des moyens d’améliorer l’apprentissage cognitif après un accident vasculaire cérébral. « Transposer nos découvertes fondamentales en clinique, c’est le Graal ! »


Romain Quentin est responsable du groupe Memory, Error and Learning (MEL) au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL, unité 1028 Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1).


Auteur : C. G.

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