Rémy Nicolle : Comprendre l’architecture des cancers du pancréas aidera l’innovation thérapeutique

En explorant la diversité de la structure et de la composition des cancers du pancréas, Rémy Nicolle souhaite identifier des pistes qui permettront aux patients de disposer rapidement de nouveaux traitements. Ce travail de recherche translationnelle, qui combine génomique, transcriptomique et intelligence artificielle, a été retenu dans le cadre du programme Atip-Avenir en 2022.

L’adénocarcinome pancréatique représente 85 % des cancers du pancréas. C’est aussi l’un des cancers dont le pronostic est le plus sombre, avec une survie à cinq ans inférieure à 10 %. De nombreux essais cliniques ont cherché à évaluer l’efficacité des différentes approches disponibles pour lutter contre ces tumeurs : chimiothérapies, thérapies ciblées ou immunothérapies… Mais la plupart améliorent peu l’espérance de vie des patients. L’hétérogénéité structurelle, cellulaire et moléculaire de la maladie, observée d’un patient à l’autre mais également au sein même d’une seule tumeur, explique probablement ce constat : elle rend difficile la possibilité de conduire des études cliniques sur des groupes de patients homogènes, aux caractéristiques comparables. De fait, les traitements administrés sont aujourd’hui choisis en fonction de l’avancée de la maladie et de l’état général du patient, et non au regard de particularités de la tumeur, avec les résultats peu satisfaisants précédemment évoqués.

Changer le parcours des patients, une vraie motivation

Pour changer la donne, Rémy Nicolle cherche à comprendre et à caractériser l’hétérogénéité de ces tumeurs, avec l’objectif de conduire à l’identification de nouvelles pistes thérapeutiques. Au Centre de recherche sur l’inflammation à Paris, il a monté et dirige dans ce but le projet de recherche translationnelle GeNeHetX (Génomique translationnelle de l’hétérogénéité des néoplasies pancréatiques). « La structure des adénocarcinomes pancréatiques est très particulière, explique-t-il. Outre cette hétérogénéité, elles sont infiltrées par un tissu cicatriciel qui limite la capacité des cellules immunitaires à y pénétrer pour y exercer leur action antitumorale. Par ailleurs, bien qu’elles aient des anomalies génétiques communes avec d’autres localisations cancéreuses, elles sont globalement peu sensibles aux médicaments qui les ciblent. Enfin, à génétique constante, il peut exister des différences importantes dans le comportement tumoral. Il faut donc caractériser toutes ces particularités. En qualifiant les différents sous-types tumoraux sur le plan génomique, transcriptomique et protéomique, nous pensons qu’il sera possible de développer des traitements plus efficaces. »

Comme dans de nombreux autres projets de recherche, « un des enjeux de GeNeHetX est de trouver l’équilibre entre l’approfondissement des données fondamentales et la capacité à les transposer en recherche appliquée », souligne Rémy Nicolle. C’est plus largement l’objectif de la recherche translationnelle, à laquelle le chercheur, spécialisé en biologie et en bioinformatique, ne se destinait pas initialement : « Durant mon parcours universitaire, j’étais attiré par la recherche fondamentale. Elle permet de se poser mille questions, de tirer un fil et de le dérouler pour voir où il nous mène. C’est intellectuellement très stimulant, notamment dans le domaine du cancer qui relève d’une extraordinaire complexité. » Mais au début de son doctorat, le chercheur a changé sa vision en découvrant les tenants et aboutissants de cette recherche translationnelle : « Savoir que nos découvertes peuvent changer le parcours des patients est une vraie motivation au quotidien. »

Accélérer le passage du phénotypage à la pratique clinique

Avec l’équipe qu’il a recrutée, Rémy Nicolle utilise des analyses génomique, histologique, biologique et moléculaire, combinées à des algorithmes d’intelligence artificielle, pour profiler l’architecture tissulaire des tumeurs pancréatiques sur le plan cellulaire et moléculaire. « Nous utilisons notamment des algorithmes, comme ceux employés par Google pour la reconnaissance d’objets. Elles apprennent petit à petit à reconnaître l’organisation et la composition tridimensionnelle du tissu dans les différentes zones de la tumeur. » Le chercheur souhaiterait ensuite caractériser les facteurs extracellulaires (comme la fibrose ou certaines médiateurs biochimiques) qui limitent l’infiltration de la tumeur par les cellules immunitaires. « Nous pourrons ainsi envisager de les cibler avec des médicaments et de tester des immunothérapies. »

Il voudrait aussi pouvoir identifier des signatures moléculaires qui faciliteront le développement de traitements adaptés et la décision clinique. « Nous avons déjà décrit le rôle de signatures, obtenues par analyse du niveau d’expression de gènes spécifiques. Elles sont assez différentes d’un patient à l’autre, ce qui peut conduire à une sensibilité variable aux chimiothérapies qui sont aujourd’hui utilisées dans le traitement de l’adénocarcinome pancréatique. Nous conduisons actuellement la première étude clinique dans laquelle le choix du traitement s’appuie sur cette signature moléculaire. » Pour l’heure et en l’absence de traitement spécifique, identifier ces différents sous-groupes de patients fera sans doute peu de différence sur le pronostic de leur maladie. Mais si leur intérêt est confirmé, ces signatures ouvriront le développement de traitements plus efficaces.

« Mon rêve serait de voir l’utilisation de cette approche, dite du phénotypage, investir de plus en plus la médecine de précision, insiste le chercheur. Contrairement au génotypage, qui caractérise la présence ou l’absence de gènes ou de mutations génétiques dans les cellules tumorales, le phénotype, lui, est le reflet de l’expression des gènes, c’est-à-dire du transcriptome. Il passe par la quantification des ARN messagers présents dans la tumeur. Et il faut reconnaître qu’il est plus difficile à caractériser car ces ARN ne sont pas toujours spécifiques des cellules tumorales : ils peuvent aussi appartenir aux cellules saines que contient la tumeur ou qui l’entourent. C’est une des raisons pour laquelle la caractérisation du phénotype est encore peu développée en cancérologie. Mais les perspectives sont nombreuses. »

« Même si elle encore peu accessible aux patients en dehors d’un protocole de recherche clinique, je suis convaincu du potentiel de la transcriptomique pour l’avenir de la médecine personnalisée. J’espère que sa place va rapidement se développer et qu’elle s’implantera dans les hôpitaux, au bénéfice des patients. Je souhaite en tout cas participer à ce mouvement-là ! » Le travail que Rémy Nicolle et son équipe conduisent au quotidien est important dans ce processus. « Chaque membre de l’équipe a sa propre expertise, sa propre analyse et apporte sa vision sur un sujet. Cela modifie parfois les orientations que l’on avait initialement prévues pour un projet, c’est assez extraordinaire de voir la richesse que l’on tire de la confrontation des points de vue. »


Rémy Nicolle est responsable de l’équipe Génomique translationnelle de l’hétérogénéité des néoplasies pancréatiques au Centre de recherche sur l’inflammation (unité 1149 Inserm/Université Paris-Cité), à Paris.


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