Valérie Gabelica, Prix Recherche 2022

La spectrométrie de masse permet d’étudier la conformation des molécules et leurs interactions. De cet outil de chimie analytique qui a plus de 100 ans, la chimiste Valérie Gabelica fait un dispositif innovant pour plonger au cœur de l’ADN et de l’ARN. Ses travaux lui valent le Prix Recherche.

Coup de jeune sur la spectrométrie de masse

Portrait de Valérie Gabelica
Valérie Gabelica, Prix Recherche 2022 – unité 1212 Inserm/CNRS/Université de Bordeaux, ARNA, Pessac ©Inserm/François Guénet

Dès sa thèse de chimie à l’Université de Liège en Belgique, Valérie Gabelica, qui dirige l’Institut européen de chimie et de biologie (IECB) de Bordeaux, n’a eu qu’une idée en tête : faire progresser la spectrométrie de masse, qui analyse la masse des molécules pour en déduire leur composition. À quelle fin ? Étudier la structure des acides nucléiques – ADN et ARN – et leurs interactions avec d’autres molécules. De fait, avec son équipe créée en 2013 grâce à au programme Atip-Avenir, la directrice de recherche Inserm, en outre lauréate d’une bourse du Conseil européen de la recherche, est à l’origine d’avancées majeures. Son premier fait d’armes : la démonstration que la structure des acides nucléiques diffère selon qu’ils sont dans un liquide ou, comme dans un spectromètre, en phase gazeuse. La structure déduite de la spectrométrie n’est donc pas tout à fait fidèle à celle que la molécule avait avant son passage dans l’appareil. « Cette remise en cause de nos analyses, mais aussi de celles d’autres équipes, a entraîné pas mal de discussions animées lors de la présentation de nos travaux, explique la chimiste. Néanmoins, ce phénomène est maintenant reconnu et les chimistes en tiennent compte lors de l’interprétation des résultats. »

portraits des membres de l'équipe de Valérie Gabelica
Éric Largy, Corinne Buré, Matthieu Ranz, Alexander Konig, Frédéric Rosu et Dominika Strzelecka
©Inserm/François Guénet

Des phases et des miroirs

Toujours en matière de méthodologie, l’équipe s’est penchée sur la mesure de la chiralité. Une molécule est dite « chirale » lorsqu’elle n’est pas superposable à son image dans un miroir. Or, chaque version de cette même molécule interagit différemment. L’une peut être thérapeutique, l’autre toxique. D’où l’intérêt de la méthode développée, qui mesure la chiralité de chaque molécule d’un mélange. La spectrométrie de masse identifie les composés présents, et un laser particulier, qui sonde les molécules directement dans le spectromètre, établit sous quelle version elles figurent. « Ces deux technologies sont courantes, mais pour les combiner efficacement, il nous a fallu développer de nouveaux concepts y compris en exploitant des phénomènes physiques, souligne Valérie Gabelica. Ça nous a donné du fil à retordre ! »

La quadruple hélice délétère

Tout comme les derniers travaux qu’elle vient de publier sur les G‑quadruplex (G4), des structures présentes sur l’ADN. Schématiquement, au lieu de la classique double hélice, divers endroits de l’ADN ont une structure en quadruple hélice, ce qui parfois perturbe sa réplication et font des G4 des cibles potentielles pour limiter la prolifération des cellules cancéreuses. L’idée serait d’utiliser des molécules qui stabiliseraient les G4 de l’ADN tumoral. Mais l’affaire pourrait bien être complexe. « Après dix ans de travaux, nous venons de montrer que lorsque la molécule stabilisatrice la plus utilisée en recherche se fixe sur G4, celui-ci adopte une structure complètement différente, explique Valérie Gabelica. Les biologistes vont donc devoir étudier si ce remodelage influe sur la fonction du G4. Et tenir compte de ce phénomène lors de la conception d’autres molécules. »

Ces derniers résultats illustrent l’intérêt des méthodes de chimie analytique développées par la chercheuse pour les biologistes, « auprès desquels j’ai longtemps eu du mal à vulgariser mes travaux », reconnaît-elle. Un écueil aujourd’hui surmonté : en 2021, la direction de l’IECB lui est confiée et elle reçoit maintenant le Prix Recherche. « J’en suis très fière ! Ça témoigne du fait que l’Inserm valorise la recherche interdisciplinaire, assure-t-elle. Et c’est aussi la reconnaissance que des thèmes peu conventionnels, mais créatifs, sont utiles. »

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Valérie Gabelica